Lorsque la célèbre cantatrice Elsa Halenboot, par exemple, avait reçu une déclaration codée d'un admirateur qui n'osait lui signifier en clair sa flamme ardente, Mania avait été le seul capable de trouver la clé du message, grâce aux charges émotives cachées derrière certains signes universellement utilisés dans les billets doux. L'auteur, partagé entre le désir de se déclarer, et la crainte de se dévoiler, avait d'ailleurs incorporé la clé de ses aveux au texte, laissant au hasard le soin de sceller son destin. L'affaire avait valu au Professeur l'estime toute particulière de la chanteuse lyrique. Celle-ci n'avait pas été insensible au charme élégant de Zelmut, et avait bien vite éconduit le malheureux codificateur, sitôt le mystère éclairci. Le Professeur, quant à lui, était resté de marbre, bien décidé à conserver un rôle purement cérébral dans le dénouement de l'anecdote.
Mania avait également découvert, quelques années auparavant, dans le registre d'une hostellerie datant du XVème siècle, le code d'accès en latin à une cave dans laquelle étaient entreposées plus de 300 bouteilles d'un vin d'une vigne aujourd'hui disparue.
On disait aussi qu'il détenait des informations secrètes concernant de mystérieux alignements de mégalithes situés dans la province du Katamaran, en Alzune mésopotamique, grâce au décryptage de signes gravés sur la pierre centrale du dispositif.
C'est ce même Mania qui avait percé le sens caché des formules africaines gravées sur des djembés de cérémonie rapportés d'expédition par un ami ethnologue.
Bref, le Professeur avait accumulé de hauts faits en déchiffrage, mais ce soir-là le grand Zelmut n'avait plus son intuition coutumière. Il résolut de rentrer chez lui pour se reposer. Une bonne nuit lui remettrait probablement l'esprit en place.

L'intermède nocturne avait été pénible. Son sommeil agité.
Aussi, lorsqu'il se dirigea le lendemain matin vers son cabinet de travail, Zelmut Mania était de méchante humeur, tout comme la veille.
Pourtant, au fond de lui, il se demandait s'il ne commençait pas à prendre un certain plaisir à se heurter ainsi à une énigme aussi banale. Car la nuit ne lui avait pas, comme d'habitude, apporté la solution au problème. Il ne tenait encore ni l'auteur du message, ni l'explication de son contenu.
Lorsqu'il entra dans le vieil immeuble, Zelmut sursauta : Sonia l'attendait déjà, l'air pincé, devant le pas de la porte.
"-J'ai décidé de rester à votre service, Monsieur Mania, mais uniquement en souvenir de votre regrettée mère, qui a toujours été si bonne avec moi. Dieu du ciel, si vous vous entêtez dans votre mauvais caractère, oui, je le jure, je chercherai un autre patron. Au fait, voulez-vous s'il vous plaît me rendre le papier sur lequel j'avais pris note de votre planning de ménage, Professeur? Je vous ai quittée hier si fâchée, que je l'ai oublié sur votre bureau."
Zelmut resta sans voix. Lentement, il tourna la clé dans la serrure, ouvrit la porte, puis se dirigea vers son fauteuil, dans lequel il se laissa choir, comme frappé par un soudain malaise. Il ouvrit son portefeuille, en sortit le morceau de papier froissé. Les mains tremblantes, il tourna l'objet d'un quart de tour, de sorte que les sigma redevinrent les M qu'ils n'avaient jamais cessé d'être. Puis il rendit le pense-bête anodin à sa propriétaire.
L'idée ne lui vint pas qu'il était en train de vieillir. Enfin détendu et pris d'un sentiment d'humilité inhabituel, il sourit à sa femme de ménage et s'excusa.
Au contraire, c'était pour lui la preuve rassurante qu'il n'était pas infaillible.
Une vigueur nouvelle emplit ses veines durcies par la certitude, qui le paralysait jusqu'alors, d'être condamné à réussir. Ce premier échec, qui le rabaissait au rang des néophytes, lui rendait du même coup la jeunesse.

Sonia était repartie.
Mania tendit la main, et, pour la première fois, caressa Mystère.

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