Le haut-parleur de bakélite cracha un temps encore le souffle nauséabond de la respiration de Pintev. Les pieds de Petrus, aux plantes fragiles, s'enfoncèrent d'un coup dans le plancher. Comme dans un sable mouvant. C'est du moins l'impression qu'il ressentit, alors qu'il venait d'entendre l'impitoyable malfaisant lui rappeler que le temps n'avait pas de prise sur lui. Lui qui aurait tant souhaité être un homme normal.
La honte saisit comme une marée galopante tout le corps de Lazuli. Il fallait réagir, et sauver son instrument. Sa soeur. Sa confidente.
Son amante, peut-être?
Violette Dufam existait-elle vraiment ? L'homme en vert le lui avait affirmé. Et l'homme en vert savait tout. A Sonoritad, il se passait des choses hors du commun. Il se jouait des partitions occultes. Des renaissances orchestrées. Et lui, Petrus Lazuli, l'homme le plus lâche du monde, avait été distingué entre mille pour jouir d'un privilège supprême : marier son talent à la musique incarnée.
Petrus ouvrit le troisième tiroir de son bureau tout droit sorti de la remise d'un antiquaire de Sweden Road. Une petite araignée se hâta sur la couverture d'un dossier contenant quelques feuillets qu'il avait parcourus, distraitement, le jour de ses 17ans : le rapport ultra-confidentiel qui accompagnait le contrat d'accord majeur le liant depuis treize ans à Violette Dufam, sortie des labos de Sonoritad au printemps des Fa.
Il s'empara du cartable en cuir noir rehaussé d'or que son oncle lui avait offert pour sa première audition, y engouffra en tremblant les précieux documents et referma le tiroir violemment. Puis il décrocha la clé minuscule suspendue à la poche de son gilet par une chaînette, la fit jouer dans la serrure de la vitrine de son salon qui consentit à s'ouvrir après le troisième essai. Avec émotion, il décrocha délicatement une simple reproduction d'un pistolet à poudre, héritée d'un lointain ancêtre, pour la glisser à sa ceinture.
Enfin, il eut le courage de refermer l'étui de Violette.
Dans le taxi qui le conduisait à la gare, Petrus se plongea dans les consignes à appliquer en cas d'urgence mentionnées dans le rapport. L'itinéraire y était détaillé avec une précision encyclopédique. Pour réussir le retour aux sources, et rentrer à Sonoritad par la bonne voie, il fallait emprunter un réseau de portées spéciales, dites portées de la séparation. Pour accomplir une bonne renaissance, en effet, il fallait défaire temporairement le lien qui l'unissait à son instrument. Pour mieux le restaurer ensuite. Trois étapes devaient ponctuer le voyage. A chacune des étapes, il passerait la nuit dans l'hôtel de la ligne Orgue Point - Sonoritad.
Sur le quai, quelques musiciens flanqués de leur étui attendaient, transis de froid, le train de minuit. Ils évitaient soigneusement de croiser leurs regards, de peur d'y lire le même désarroi.
(A suivre.....)
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Style : Nouvelle | Par valig patoyea | Voir tous ses textes | Visite : 693
Coup de cœur : 12 / Technique : 8
Commentaires :
pseudo : Un lecteur
Cette suite est tout aussi intrigante que le début ! Difficile de dire encore dans quel univers tu nous emmènes, le surréalisme, la SF, un peu des 2, ou carrément de l'onirisme à fond. J'attends donc le 3 avec impatience ;-)
pseudo : valig patoyea
A mon deuxième lecteur "inconnu" qui se manifeste, après Max Louis pour veille de course : merci pour tes encouragements à poursuivre, c'est vital et fort de conséquences. Tes réactions m'aident en particulier pour plus belle la muse, qui nait d'un jet spontané sur une simple structure (déjà achevée, mais non écrite).
pseudo : Minotaure
Le lecteur "inconnu" c'est moi, mais le jour du commentaire, je me sentais trop paresseux pour me loguer sous mon pseudo. Tudieu, quel horrible franglais ! :-)) Alors ? ce 3ème volet ? Allez, au boulot ;-)
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