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Le chalet fournaise par valig patoyea

Le chalet fournaise

Le chalet  dans la neige sentait le feu. La fumerolle grise qui hésitait au-dessus du toit dans l'air figé dessinait un point d'interrogation.
Bientôt un panache plus dense et sombre s'échappa de la petite cheminée de brique, au-dessus des rondins.
Comme d'habitude. Comme chaque année, un mois avant Noël. Cela durait toute une semaine, pour cesser soudain la veille du grand Jour. Jusqu'à l'année suivante, lorsque le chalet réapparaissait.
Arnaud Bostille avait  la concession d'une parcelle de bois au Nord de la  forêt d'Estève. A cette époque de l'année, il surveillait la croissance de ses arbres, des pins immenses, mesurant le diamètre des fûts et comptant les nouvelles branches.
Il avait installé son bivouac le 25 novembre, près de la rivière aux ours. Curieux de vérifier, une fois encore, si le mystérieux chalet était réapparu, comme un champignon sorti du sol gelé.
Sa curiosité avait été satisfaite.

Cette année il n'était pas venu seul. Il s'était fait accompagner par Rogel des Mandules, son compagnon des tournées difficiles. Il fallait travailler vite et bien. Et puis le mystère du chalet fantôme commençait à vraiment le préoccuper. Il avait décidé d'élucider cette année l'énigme qui faisait de plus en plus jaser au village. Mais il ne voulait pas s'y aventurer seul.
A la fin du premier jour, après avoir travaillé d'arrache-pied pendant presque douze heures d'affilée, à courir une parcelle de plusieurs hectares, les deux hommes n'avaient pas tardé à s'endormir sous leur tente recouverte d'aluminium. La fatigue avait chassé loin de leur esprit l'autre raison de leur présence en ces lieux : percer à jour le secret du "chalet  fournaise".

Le lendemain, l'étrange scenario s'était reproduit.
Un chalet absent la veille, et une fumerolle qui se transforme en panache noir sur le toit.
Après un solide petit déjeuner pris à l'abri des arbres, Arnaud et Rogel entreprirent de pénétrer dans l'intrigante masure, qui semblait assez proche de leur bivouac.

Ils eurent d'abord bien du mal à rejoindre l'endroit, qui semblait s'éloigner à mesure qu'ils s'en approchaient. A tel point qu'Arnaud finit par croire qu'il s'agissait s'un mirage. Ils allongèrent leurs pas, qui tassaient  la neige de plus en plus profondément, laissant des traces qui, bizarrement, se refermaient derrière eux, comme s'il leur était interdit de retourner en arrière. Bientôt, il ne fut plus possible aux forestiers d'évaluer le chemin parcouru, ni de supposer s'ils atteindraient un jour leur but.
Trois heures passèrent, à marcher péniblement dans la neige. Arnaud et Rogel n'en pouvaient plus de fatigue, et de lassitude mêlée d'une anxiété grandissante. Soudain, sans prévenir et sans qu'il soit possible de savoir pourquoi, à cet instant précis où ils avaient  franchi une dernière rangée de pins, une lueur crue et orangée avait percé l'air blafard, et ils s'étaient retrouvés brusquement au seuil de l'inquiétante demeure.
Rogel, qui était le plus costaud, donna un vigoureux coup d'épaule contre la porte qui s'entrouvrit en grinçant. Sous le choc, un paquet  de neige tomba en produisant un bruit sourd.
Arnaud entra le premier, suivi de son ami, qui avait pris soin de caler la porte avec une bille de bois, pour le cas où ils auraient à s'échapper d'urgence.
Et leurs pupilles se dilatèrent.

A l'intérieur, c'était un autre monde, plongé dans la pénombre. L'air chaud qui avait soudain pris à la gorge les deux  hommes leur fit immédiatement oublier qu'ils venaient du froid.
Le chalet qui semblait banal, vu de l'extérieur, se révélait être à l'intérieur comme un manoir aux pièces longues et profondes. A la façon des couloirs des pyramides qui débouchent de temps à autre sur des chambres minuscules et oppressantes, dans une nuit éternelle.
Après avoir allumé leurs torches électriques, ces hommes rudes et accoutumés aux angoisses de la solitude se sentirent redevenir des petits garçons craintifs. Des traces rougeoyantes, poisseuses comme du sang, coulaient  doucement sur les murs en perdant de leur substance, au fur et à mesure que les cloisons les buvaient de leurs lèvres ourlées en bois de résineux. Une chaleur de brasier étreignait les deux hommes, comme si un monstre invisible eût cherché à les étrangler de ses mains multiples. La sueur coulait à leurs tempes. Ils frôlèrent en passant des montagnes d'objets hétéroclites, aux formes exotiques, entassés comme des carcasses abandonnées dans l'ombre. Ils crurent même entendre les gémissements de créatures enfermées dans une pièce attenante, êtres mythiques, dont ils devinaient le piétinement des sabots et le cognement des bois.
Ils débouchèrent enfin, pétrifiés, dans une pièce qui leur parut immense, au fond de laquelle des bras inconnus projetaient à grandes pelletées, comme des cheminots à leur machine, de pleins cartons de petits papiers dans les flammes d'un feu d'enfer.

D'un coup, une lumière crue éclaira toute la scène. Un lutin venait d'actionner l'interrupteur.
Le Père Noël, grand gaillard de plus de deux mètres, surpris par la soudaine apparition des intrus qui portaient leurs torches au poing comme des cornets de glace, poussa un grand cri  en les voyant, engoncés dans leurs habits de grand froid. Puis il se ressaisit et leur déclara d'un air détaché :
"-Euh, cela faisait longtemps que j'attendais que des reporters viennent m'interviewer. Mais vous avez tardé à venir. Voyez, je brûle les notes que j'ai prises cette année sur les agissements de tous les enfants de la Terre. Il doit y avoir quelque-chose au sujet de vos petits enfant, Arnaud Bostille!"

***

 

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Style : Nouvelle | Par valig patoyea | Voir tous ses textes | Visite : 849

Coup de cœur : 13 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Minotaure

Rogel des Mandules et Arnaud Bostille ! Des anagrammes ?? Encore un texte à chute, inattendue comme il se doit. J'ai bien aimé la progression du "suspense" dans ce conte. Qui ne mange pas de pain mais qui se lit bien.