Moi l'Etranger, dans la Part de l'Ombre qui m'a été réservée dans ma cellule moisie, je vis dans l'attente du jour de mon exécution. Vivre est trop dire sans doute, mais au fond de moi-même, je garde un espoir incertain qui me donne un bout de courage pour faire face à chaque nouveau matin qui échappe aux griffes de la nuit. «...Je vois le ciel et je ne vois que lui. Toutes mes journées se passent à regarder sur son visage le déclin des couleurs qui conduit le jour à la nuit.»
Les couleurs disparaissent petit à petit laissant au ciel son visage impitoyablement gris, froid, solitaire...Tiraillé entre le doute, la peur et le désespoir, je me trouve au carrefour des Chemins du Vide à voir les civilisations se défaire ou plutôt cesser « de se faire et refaire », véhiculées par cet intermédiaire qu'est l'argent, un bout de papier. « Quelle réalité humaine peut avoir un bout de papier, de quelle sueur, de quelle qualité est-il lui-même chargé ? »
Des tonnes de bouts de papier qui décident de nos vies, de nos pays, de nos sorts, de nos torts. De l'argent qui nous bouffe, qui nous empêche de savourer la beauté des étoiles, la grandeur du soleil, la fraîcheur d'une bouffée d'air, l'infini bleu de la mer...De l'argent...Encore plus d'argent...L'argent donne le feu vert aux chars, aux canons, aux bombes pour dévaster la terre que nous sommes, dévorer les âmes qu'on assomme.
Suspendu au-dessus d'une fournaise sans fil conducteur de mes Cent Ans de Solitude, je vois les mythes et les personnages indissolublement complices venir meubler ma cellule d'une manière fabuleuse. Pilar Ternera, la sorcière, assise dans son fauteuil à bascule en rotin n'arrête pas de me jeter des coups d'œil furtifs. J'ai toujours eu de l'admiration pour ce personnage étrange qui a su dicter sa volonté même après sa mort. « Conformément à sa dernière volonté, on l'enterra dans son cercueil, assise dans son fauteuil à bascule dans un énorme trou creusé au centre de la piste de danse. » Ironie du sort ?! Absurdité de la vie ? Ambiguïté de la mort ?!
Et moi, je ne peux même pas avoir une dernière volonté. Ils m'exécuteront à leur façon, à l'heure qu'ils choisiront, là où ils jugeront bon de le faire. Une Enquête au pays est menée à fin de décider mon sort dans le Château des Destins Croisés... Les tarots sont jetés, éparpillés sur la table sans qu'aucun des joueurs n'eût envie d'entamer une partie, « encore moins de se mettre à interroger l'avenir » puisqu'ils paraissaient « mutilés d'avenir, comme retenus dans un voyage inachevé et qui ne s'achèverait pas.»
Mutilé d'avenir, je le suis...Désormais, mutilé de présent, d'existence...Mon voyage risque de s'achever d'un moment à l'autre Par-delà Bien et Mal. Le Ministère de la Peur n'a même pas pris la peine d'attendre la fin de l'enquête pour sauver les apparences...Il n'y a pas de compte à rendre...Je partage la torture et l'angoisse d'Arthur Rowe, cet homme qui a autrefois tué pour mettre fin à la souffrance d'un être cher. Nous avons vécu ensemble le drame de l'homme à la recherche de l'absolu. « Si le jugement des hommes avait été miséricordieux, Arthur ne s'en jugeait pas moins sévèrement, et certainement s'il avait été condamné à être pendu, il aurait sans doute trouvé, une fois au pied de la potence et durant les quelques secondes le séparant de la mort, une justification à son acte qui lui avait apporté le repos intérieur. »
Il a plaidé non coupable tout en sachant au fond de lui-même qu'il l' était vraiment, n'ayant pas pu supporter les souffrances de sa femme alors qu'elle les endurait sans se plaindre. Ce fil tangible entre la culpabilité et la non culpabilité était pour lui une sorte d'échappatoire.
Personnellement, je ne peux même pas discerner les limites de ce fil et mes Mille et une Nuits d'insomnie ne vont pas arrêter ma potence. Même la clairvoyance de Chérazed ne peut pas m'épargner la torture de l'âme, l'obsession par les Ombres et leurs Cris. Pour pouvoir oublier Arthur Rowe, je me plonge dans le Journal d'un Fou en jetant de temps à autre un coup d'œil aux couleurs déclinantes du ciel par-delà les barreaux de ma cellule. En me voyant dévorer ce livre, le gardien vient me le confisquer en me traitant de fou incurable. Il m'accuse d'avoir manqué aux règlements qui interdisent strictement toute lecture. Refusant d'accepter ce règlement, je me jette à son cou et je le bats à mort. J'ai failli lui briser la Tête contre le Mur, suite à quoi on me déporte dans l'Archipel du Goulag où ma descente vers l'enfer gelé commence.
Dans le Pays de Neige , j'ai côtoyé les Obsédés et les Frères Karamazov. J'ai assisté à la vente des Ames Mortes comme l'Idiot par excellence. Tous ces gens m'ont fait voir de toutes les couleurs et m'ont traqué comme la Bête Humaine ou la brebis galeuse du camp. Ils m'ont évité comme la Peste.
La Difficulté de Vivre, le froid glacial de la Sibérie m'ont aidé en grande partie à faire la Part des Choses, à m'arrêter le Temps d'un Soupir pour m'embarquer dans ma première Cavale en compagnie de l'Homme Eternel qui est devenu mon unique ami et qui m'a rendu le sens du merveilleux.
Bien que les Nourritures Terrestres soient précaires, nous avons vécu tout au long de notre Voyage au Bout de la Nuit dans l'euphorie éphémère des Paradis Artificiels, nous contentant de Pain Nu et d'eau fraîche, nous régalant de l'Insoutenable Légèreté de l'Etre.
Tous mes sentiments de détresse me reviennent le soir quand je me retrouve seul à veiller sous le ciel glacial en guettant l'interminable chemin de la liberté. Le fantôme de la Chute se dresse au bout du tunnel, et la Mort dans l'Ame, je me vois semblable à la Statue de Sel qui se dissout petit à petit sous la pluie le lendemain d'un Songe d'une Nuit d'Eté.
Malgré l'incertitude de mon avenir, la compagnie de mon ami éternel m'a appris à revivre les Années d'Illusion, à revoir toutes les Belles Images, à ressentir les plus fortes Passions de L'Ame. J'ai redécouvert que la Vie n'attend pas et que le Soleil se Lève Aussi en dépit des Fleurs du Mal. Bien que je soie encore incapable de comprendre le crime dont on m'accuse, je suis conscient de la gravité de l'attentat sur la personne du gardien. Je regrette seulement de ne pas l'avoir tué. La façon dont il m'a agressé, le regard plein de mépris qui m'a transpercé, les Mains Sales qui ont déchiré mon livre me donnent la Nausée.
Sans trop m'attarder sur cet incident, je sens que la Métamorphose grâce à mon amitié avec l'homme Eternel, me pousse à une Seconde Considération Intempestive de la Vie à travers La Mise à Nu de tout mon être. La Nuit Sacrée tant attendue est venue et je me sens prêt à noyer tous mes soucis dans le Lac où gît Nôelle aux Quatre Vents, à me sauver par la Porte Etroite en emportant Les Lettres Volées qui vont sans doute m'aider à tourner la page et faire un nouveau départ comme L'enfant de Sable à la recherche d'Alice au Pays des Merveilles.
NB : Les parties soulignées sont les titres d'œuvres célèbres et les citations sont tirées de quelques unes d'entre elles.
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Style : Nouvelle | Par zenaidi | Voir tous ses textes | Visite : 871
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