Le châtiment

 

 

 

 

 

Et je vis : lorsque l'Agneau ouvrit le sixième sceau, il y eut une grande secousse. Et le soleil devint noir comme un sac de crin, et la lune entière devint comme du sang, et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre comme un figuier jette ses fruits encore verts quand il est secoué par un grand vent. Et le ciel se retira comme un livre qu'on roule, et toute montagne et île furent ôtées de leur place. Et les rois de la terre, et les grands, et les capitaines, et les riches, et les puissants, et tout esclave et homme libre se cachèrent dans les cavernes et les rochers des montagnes. Et ils disent aux montagnes et aux rochers : « Tombez sur nous et cachez-nous de la face de Celui qui est assis sur le trône et de la colère de l'Agneau ; car il est venu, le jour, le grand [jour] de leur colère, et qui peut tenir ? »

 

( Apocalypse 6, 12 )

 

 

 

Hier j'ai parlé à Jésus, il n'y a pas eu de miracle.

 

Il restait peut-être d'autres survivants. Dans mon marche-oreilles, j'entendais quelquefois des signaux, des borborygmes confus.

 

Aboyer avec Faust, à quatre pattes, s'arracher un os, il me mordrait des fois, je vais l'abattre un jour ou l'autre. Sa fourrure fauve pour dormir, son halètement saccadé me rassure, il tient chaud. Creuser, creuse, cherche cherche mon chien.

 

Marie-Madeleine n'a pas crû non plus.

 

Le mufle au raz du sol, on parcourait des miles et des miles, on se postait aux aguets, on bondissait pour échapper aux monstres froids, leurs cous géants d'anneaux givrés, leur gueule bardée de crocs noircis, ils bramaient ouhaurrghh ouaurghh dans le désert vide vide vide. Faust hurlait à la mort fallait fuir fuir fuir. Etouffés, haletants de froid, affamés, trouver de l'eau, un abri, du feu, faire du feu.

 

UNE GROTTE, FAUAUSSTTT! J'AI TROUVE UNE GROOOTTTEEEE !

Des vivres, des appareils, de l'eau, du feu, pour des années des années, un abri anti-atomique intact, intouché, un cadeau du ciel !

Faust, ON A TROUVE!

Survivre, brancher le détecteur, le récepteur, l'émetteur, déployer les radars, les sondes, et un matériel du tonnerre, un labo entier, équipé ultra-sophistiqué !

Faust viens ici allons cesse de gratter cette paroi, c'est la roche.

Manger, se désaltérer, se réchauffer, recenser les vivres, s'organiser, utiliser l'horloge numérique, remettre en route les ordinateurs, construire un programme de survie. Produire ?

Agir avec méthode, s'installer, rien ne presse.

Délimiter le territoire, impossible de sortir, les monstres ont empoisonné l'atmosphère avec leur haleine fétide. Se protéger, murer la grotte, filtrer l'arrivée de l'air, tout est déjà prévu, définitivement.

Faust laisse cette roche tu vas t'abîmer les griffes.

Tenir un carnet de bord, continuer à envoyer des messages.

 

extrait :

 

« 25 décembre

On a fêté Noël Faust et moi. Il y avait des bûches glacées au chocolat dans le congélateur. Faust s'est empiffré, il avait l'air heureux. Je fouille la mémoire des ordinateurs.

 

31 décembre

Je dors comme un bébé. J'ai grossi et j'ai repris des forces: maintenant Faust ne me fait plus tomber à la renverse quand il me saute dessus. Je crois que ça ne lui plaît pas.

 

15 janvier

Les vivres vont peut-être manquer, Faust mange trop, je lui en ai fait le reproche aujourd'hui. Il s'est remis à gratter la roche.

 

 

20 février

On a eu une chaude alerte, j'ai cru que l'eau n'était plus potable, Faust avait vomi partout et moi j'avais des douleurs gastriques. Heureusement la pharmacie est bien fournie.

 

30 mars

Remis le calendrier à zéro. Jour UN année UN. Depuis que la grotte est murée on ne sait plus si c'est le jour ou la nuit. J'ai regardé mon visage dans l'écran d'un computer, j'ai vieilli.

 

1er juin

Ce que le programme de survie de l'ordinateur annonçait est arrivé, il ne reste plus qu'une semaine de vivres. Faust est au courant, il s'est rué sur la roche.

 

15 août

Faust et moi on se dévisage comme deux ennemis depuis une semaine, il n'y a plus rien à manger.

 

30 août

Il va falloir que je me décide à sacrifier Faust, c'est la seule solution. Je l'ai enchaîné, il était devenu trop féroce. Il a dévoré tous les câbles, hier il s'est jeté sur moi et m'a arraché un lambeau de chair, j'ai bien cru que je n'arriverai jamais à le maîtriser.

 

31 août

Les gémissements de Faust sont insupportables, il FAUT que je l'abatte.

 

1er septembre

Tout est détruit sauf le réservoir d'eau et le stock d'allumettes. Demain je sortirai, avec Faust?

 

6 septembre

Je me suis réveillé en sursaut, Faust s'est échappé, je l'entends grogner au loin. Il doit être blessé. Je n'ai plus la force de me lever.

 

8 septembre

Ce matin Faust m'a fait peur : il a ouvert sa gueule au-dessus de mon visage... et il m'a léché en jappant. Il ne cesse pas de faire des aller retours dans la grotte. Pire, il se lèche les babines... IL A DÛ TROUVER A MANGER ! ! !

 

9 septembre

SAUVÉS SAUVÉS SAUVÉS, on est SAUVÉS ! ! !

Faust me rapporte à manger, c'est de la viande crue, avec une odeur forte et un goût âcre. Je reprends peu à peu des forces. Je pourrai bientôt me lever.

 

10 septembre

MIRACLE ! c'est un véritable miracle, ce matin Faust est venu avec un livre dans la gueule, UN LIVRE, UN LIVRE. Ça fait des mois que je n'en avais plus vu. Un passage de la Bible, l'Apocalypse selon Saint-Jean.

 

12 septembre

Je m'habitue à la viande crue. Je peux faire quelques pas dans la grotte, je vais bientôt pouvoir aller au ravitaillement avec Faust.

 

15 septembre

J'ai pu suivre Faust. C'était derrière la roche. Il a réussi à creuser une ouverture pour passer. Une grande salle avait été dissimulée. A l'intérieur, des cadavres, il n'y a pas d'autre mot, des centaines de rangées de cadavres dans des coffres comme des congélateurs à êtres humains, mais sans réfrigération. Des hommes, des femmes, des enfants, Faust en a entamé plusieurs.

 

27 septembre

Je suis brûlant, j'ai au moins quarante. Des libellules de toutes les couleurs sont venues nous rendre visite, mais Faust leur a dit de s'en aller. Brave Faust.

 

28 septembre

Ma mère est apparue. Elle avait l'air fâché, et surtout elle a eu très peur de Faust qui s'est mis à gronder comme un chien enragé.

 

29 septembre

Mes camarades de classe sont arrivés pour prendre des nouvelles de ma santé. Leurs visages se transformaient tandis qu'ils chahutaient autour de moi. J'ai reconnu mes collègues de l'Institut. Ils parlaient très fort et se querellaient à cause de moi, certains affichaient un visage cruel, comme s'ils s'apprêtaient à me dévorer, leurs blouses étaient maculées de sang. J'étais terrorisé. Heureusement, mon père les a flanqués dehors.

 

30 septembre

Je me suis disputé avec mon père, il veut m'interdire d'aller jouer au base-ball avec mes copains. J'ai claqué la porte, je ne remettrai plus jamais les pieds dans cette maison. Ma mère a couru pour me rattraper.

 

1er octobre

Tommy le chat gris est mort tout propre. Maman dit qu'il faut se laver tous les jours dans les petits coins. Tommy était dans sa caisse parce qu'on partait en vacances. Je l'ai trempé avec moi dans la baignoire pleine de mousse blanche. Papa et maman étaient très en colère.

 

2 octobre

Je ne peux pas m'endormir sans Tommy pelotonné contre moi; mes parents ne veulent pas acheter un nouveau chat. « Tu n'avais qu'à te dominer », a déclaré mon père.

 

3 octobre

Helen m'a fait une scène parce que nous ne pouvons pas avoir d'enfants. C'est elle qui est stérile et elle ne veut pas l'admettre. Je lui ai dit qu'on pouvait en adopter, comme Bill et Pam. Elle est partie.

 

13 octobre

J'ai reçu ma promotion, je vais diriger l'Institut de recherches Biologiques du Massachusetts.

 

24 octobre

La température a baissé. J'ai besoin de temps pour faire le tour de la situation.

 

26 octobre

J'ai passé la journée dans la salle des cadavres. Il y règne un froid glacial. Il sont tous morts. Mais ils se conservent bien. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes.

 

30 octobre

Il y a des blancs et des noirs surtout. Tous nus. Les femmes mieux conservées que les hommes. D'ailleurs Faust avait entamé les hommes.

 

2 novembre

Il y a même des femmes assez jolies et jeunes. Une belle noire très voluptueuse, les seins encore pleins, la peau presque douce.

 

10 novembre

Cette nuit j'ai rêvé que je faisais l'amour avec cette jeune femme noire, je lui tétais les seins comme un bébé, elle sentait bon et fort.

 

11 novembre

J'ai passé la journée à tâter la peau des femmes. La jeune noire je l'ai baptisée Esméralda. Je ne me lasse pas de lui toucher les seins. Elle est allongée sur le dos, je n'ose pas la retourner pour reluquer ses fesses.

 

12 novembre

J'ai enfermé Faust pour qu'il ne me regarde pas. J'ai enlevé mon pantalon et j'ai pénétré mon sexe dans Esméralda. Je l'ai labourée comme un fou, elle ouvrait de grands yeux, elle aimait bien que je lui morde les tétons, la salope. Je l'entendais crier mon amour mon amour.

 

13 novembre

Je suis vanné. J'ai fait l'amour avec toutes les femmes.

 

15 novembre

C'est Esméralda que je préfère, elle a des seins comme des pastèques.

 

21 novembre

J'ai surpris Faust en train de besogner Esméralda, je l'ai envoyé dinguer contre un gros rocher. Il ne recommencera plus ce salopard.

 

25 novembre

Je fais cuire la viande avant de la manger. Mais c'est toujours Faust qui va à la chasse.

 

24 décembre

J'ai fait un cauchemar. Esméralda accouchait d'un bébé. Un serpent hideux qui parlait comme un être humain.

 

25 décembre

Je viens d'avoir une idée de génie. Mon sperme dans toutes ces femmes, il pourrait rencontrer un ovule et féconder. Mais il faudrait un milieu propice. J'étais biologiste dans ma jeunesse, c'est Faust qui me l'a rappelé. Spécialiste en génie génétique.

 

1er janvier

J'ai préparé les éprouvettes. Quel travail ! Prélever le sperme et une partie des utérus, fabriquer des éprouvettes avec les tubes que j'ai trouvés, mettre des étiquettes, ça m'a rappelé le temps où j'étais étudiant.

A l'époque j'étais amoureux d'une jeune noire, une fille splendide, je n'ai jamais pu me la faire, mes parents étaient racistes.

 

2 janvier

Au lieu de numéros, j'ai donné un nom à chaque éprouvette: Jésus, Marie-Madeleine, Jean, Paul, Pierre, Lazare, Marie, Joseph...

 

7 janvier

J'ai 44 éprouvettes, je les connais par cœur. Il leur faut de la chaleur.

 

31 janvier

Aucun moyen de tenir les éprouvettes à une température correcte.

 

4 février

J'ai retrouvé Faust vautré sur les éprouvettes. Ça m'a donné une idée: il n'est pas idiot ce clébard ! On va se relayer pour couver les éprouvettes !

 

4 mars

Il faut leur parler, les encourager. Le petit Jésus j'ai l'impression qu'il s'est mis à remuer. Un bébé, on va avoir un bébé ! ! Faust est fou de joie !

 

8 avril

J'ai parlé à Marie, ce n'est pas si simple, le miracle tarde à venir.

 

15 avril

Faust devient nerveux ces temps-ci, il tourne en rond dans la grotte en grondant, il m'inquiète.

 

24 mai

J'ai coché les jours, normalement les œufs devraient bientôt éclore.

 

3 juin

En fouillant dans les coffres des cadavres, j'ai retrouvé un vieux morceau de journal, oui, une gazette qui parlait de moi, en toutes lettres :

 

 

 

Incroyable !

Le professeur EISSEM veut lutter contre la mort !

 

Dallas(USA):

Les états généraux de la Santé Mondiale se sont réunis d'urgence après la récente publication pour le moins alarmante des derniers chiffres de l'épidémie. Hier, l'éminent professeur Joseph EISSEM, autorité incontestée dans le domaine de l'embryo-génèse comparative, a fait une déclaration extravagante que ses collègues se sont empressés de mettre sur le compte de la pression insupportable dont les scientifiques font l'objet :

- Aujourd'hui, a-t-il affirmé, nous n'en sommes plus à chercher un vaccin miracle contre ce fléau qui ravage l'humanité. Nous avons acquis la certitude que le virus n'épargnera personne car tous les enfants qui naissent sur la planète en sont désormais porteurs, c'est-à-dire irrémédiablement condamnés...

 

La page était coupée, on ne pouvait plus lire la suite.

 

4 juin

Des souvenirs me sont revenus...

 

6 juin

L'hostilité de mes collègues, les gorges chaudes...

 

7 juin

Ils étaient tous condamnés, personne n'a voulu me croire...

 

8 juin

Heureusement ils m'ont laissé mon fidèle Faust... »