La vie s'étire langoureusement sous la caresse tendre d'un soleil de fin d'après-midi. Les rayons rosés, semblables à des bras trop longs, jettent un monde en folie dans les rues. Spectacle désopilant : regarder les gens obéir aveuglément comme des machines à des signaux verts, oranges ou rouges. Avec un peu d'imagination, on pourrait se croire au cirque où des chimpanzés répètent sagement la même scène apprise des milliers de fois. Au bout cependant, aucune récompense... Que se cache-t-il derrière les rondeurs de toutes ces formes de visages voguant dans un bruit assourdissant ? Nul ne le sait mais toute cette agitation dérisoire a quelque chose de factice. Même l'amour dans ce tohu-bohu prête à sourire béatement, comme si les humains n'éprouvaient plus de sentiment. La vie, décidément, s'apparente à un grand carnaval ! Les rues en sont la piste et les hommes, les femmes, les passants, tous ces anonymes figés dans un sourire crispé, retenus dans un empressement comique, l'animent dans des allés et venus sans fin et sans but. Manquent les clowns ! Les figurants se statufient devant les vitrines de l'inaccessible trésor, pantins désaxés entre hier et demain, marionnettes des paradoxes quotidiens transformés par la force de l'habitude en oublis morbides. A quoi ressemblent les promesses et les serments jurés à tout jamais ? A rien ou... presque. Ils n'ont plus d'autre valeur que celle du souvenir qu'ils laissent comme un remords inassouvi. Pourtant, leur sincérité ne peut et ne doit pas être mise en doute. Personne n'aime s'entendre traiter de parjure. Dans l'instant, ils étaient vérité mais cette dernière est volage. Le messager y a cru un moment fugace et cela lui a suffi pour y croire à tout jamais tout en faisant le contraire de ce qui avait été juré. Etrange comme les serments peuvent changer de peau comme serpent au printemps. L'homme se réfère à son passé, s'étouffe sous les réminiscences des souvenirs en pensant poursuivre son évolution. Les crabes marchent de travers, lui avance en reculant. Pour se donner l'impression de ne pas régresser, il s'est doté de cadres stricts fondus dans le plus désespérant du conventionnel. Cela lui donne l'impression d'originalité. Il n'hésite pas alors à user, avec grandiloquence, des serments les plus fous perdant toute signification rapidement. Comme toujours, ils finissent oubliés. Oubliés ? Pas vraiment ! Aussitôt divulgués, ils sont enfouis dans un coin de mémoire afin d'éviter autant que possible de les honorer. Les serments se transforment en autant de prétextes bons pour trahir mais... trahir quoi ? Ce que représente le serment ou la promesse de le tenir qui ne sont jamais respectés ? La promesse... quelle promesse ? Elle n'a plus d'existence dans le temps. Elle se conjugue toujours au futur jusqu'à devenir un futur antérieur et n'a pas plus d'évidence que le soleil en pleine nuit. La promesse se lasse vite de se promener de lèvres en bouches aux quatre points cardinaux de la vie. Elle n'a pas besoin d'être tenue pour soutenir. Soutenir, quel mot surprenant ? Ne faut-il pas tenir pour soutenir ? Puis... soutenir qui ? Peut-être ces gens qui se pressent dans les rues compressées par les maisons qui écrasent le soleil sur l'horizon. Tout s'estompe derrière une vaste déferlante d'inconscience. On se croit heureux, on se fait son cinéma mais ce sont des images surfaites pour procurer le grand frisson à ce peuple inadapté à la nature. Qu'est-ce qu'il fout là ? Il n'en sait rien mais puisqu'il y est, il essaie de se dissimuler derrière de bonnes raisons bien réfléchies pour rester. Il jette sur l'écran un ramassis de critères arbitraires pompeusement qualifiés de "valeurs humaines" pour flouer les crédules. Les valeurs ! Il faut les défendre à tout prix par n'importe quel moyen, y compris des serments déguisés en promesses intemporelles. Discours délirants ! Il faudrait pourtant les remettre en question, parfois, ou les détruire par de nouvelles mais il serait trop long et fastidieux de bâtir d'autres conventions créant des croyances novatrices. Tout finirait toujours par retomber de la bouche des hommes qui fabriqueraient de nouveaux serments à contourner. Mensonge ? Le mot n'est pas véritablement adapté, exact. Il s'agit juste d'une cicatrice de réalité fuyant par un chemin en pente douce qui entraîne inexorablement l'humain à sa perte. Il doit le parcourir le plus longtemps possible avec le maximum d'arguments pour se tailler une part du gâteau terrestre. La terre se prostitue. Elle se vend au plus offrant. La terre finit par ressembler aux hommes dont elle a accouché. Ils l'ont pourtant combattue pour la transformer. Ils se sont cru vainqueurs parce qu'ils l'ont travaillée pour se nourrir de sa sève. Ils sont parvenus à leurs fins dans une folie homicide. La terre se désertifie. Les hommes, par les serments échangés, sont devenus le levain de la planète malgré les promesses éludées. Risibles, ils étalent leur masque pour rue de six heures dans l'insouciance de l'irrémédiable. Nouvelle tirée du recueil Du blues à l'âme
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Style : Nouvelle | Par MARQUES Gilbert | Voir tous ses textes | Visite : 576
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