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La passe ... par tehel

La passe ...

 

Miranda ne s’appelait pas Miranda. Comme toutes les filles qui exerçaient dans le quartier, Miranda avait choisi un nom d’emprunt, un pseudonyme qui sonnait bien mieux que son véritable prénom.

Miranda, c’était tout simple, tout à fait ordinaire et surtout facile à retenir, avec en plus cette petite touche d’exotisme que bon nombre de clients appréciaient.

Miranda faisait la pute.

Elle vendait, à qui le désirait et en avait les moyens, ses charmes et son savoir-faire en matière de sexe.

Elle était une pute ordinaire, comme les autres elle tapinait le long des rues malfamées des bas quartiers, mais à chaque fois qu'elle en avait l'occasion, elle faisait payer cher et vilain à tous ceux - hommes ou femmes - qui voulaient passer un moment en sa compagnie.

En 7 ans de “travail”, elle pensait avoir tout connu: des puceaux impuissants et maladroits, aux excités indomptables et insatiables, en passant par les malades et les obsédés sexuels, mais cette nuit-là, elle vécut une expérience supplémentaire qu’elle n’était pas prête d’oublier.

 

Avril

Elle avait chaussé ses talons hauts, passé ses bas de soie à jarretelles coquines, sa minijupe en cuir beaucoup trop courte et un splendide décolleté provoquant qui laissait transparaître sa belle poitrine ronde et ferme.

Elle avait maquillé ses yeux et sa bouche, elle avait encore - au cours d’une séance face au miroir qu’elle surnommait: le camouflage - saupoudré une efficace couche de fond de teint sur ses joues et coiffé ses longs cheveux roux.

Elle avait, comme tous les soirs, quitté son appartement vers 21h00.

21h00, l’heure des mâles, l’heure où les hommes en mal de filles arpentent les rues dans l’espoir de dénicher une pauvre tarte un peu paumée, qu’ils espèrent embarquer avec quelques mots gentils, un verre ou deux et tout leur baratin habituel; 21h00, l’heure où les hommes, poussés par cette envie folle de forniquer et de débauche, ne trouvent personne pour satisfaire leurs travers; 21h00, l’heure à laquelle les filles comme Miranda sortent pour alpaguer ces imbéciles qui s’estiment plus malins en payant ces “vide-poches” comme ils disent, mais en se faisant, tous comptes faits, bien baiser !

Miranda redressa ses épaules, elle alluma une cigarette qu’elle colla lascivement au coin de ses lèvres pulpeuses et elle se mit à marcher le long de la 8ème avenue, ce quartier chaud de la Métropole où elle avait établi son territoire de chasse.

Elle salua d'un clin d'oeil une copine qui s’exhibait en vitrine et continua son chemin, en passant devant la librairie fermée à cette heure tardive, elle lut sans réellement lire le titre accrocheur écrit en lettres capitales et caractères gras: DES ÉTOILES FILANTES ENVAHISSENT NOTRE CIEL, PHÉNOMÈNES INEXPLIQUÉS.

 

Elle leva les yeux vers le ciel noir, sans lune, et elle n'aperçut strictement rien.

378 pas.  Plusieurs fois, en période creuse, les fins de mois difficiles, les jours d’hiver où il fait trop froid, elle les avait comptés.  Il y en avait 378 exactement jusqu’au bout de la rue pour un aller-retour.

Mais d’ordinaire, elle n’avait pas le temps de compter ses pas, elle n’avait pas le temps d’aller jusqu’au bout de la rue, parce que l’un ou l’autre client ou curieux l’abordait pour lui demander son tarif.

Tandis qu’elle observait les automobiles qui ralentissaient en la croisant, elle repéra le tout petit homme à l’allure pataude qui lui adressait un signe discret de son pouce contre son index signifiant: combien ?

Miranda aimait ces gestes-là.  Parler lui semblait si inutile, qu’elle préférait ne rien dire.  Elle leva les cinq doigts de la main pour lu répondre: 50, en recrachant la fumée de sa cigarette.

L’homme, arrivé à sa hauteur, hocha la tête de mécontentement.

- 50 ?

- C’est pas les soldes mon gars, c’est cinquante, à prendre ou à laisser !

- Qu’est-ce qu’on a pour 50 ? l’éternelle question qui agaçait Miranda.  Comme si elle leur vendait un article en super promotion, avec en prime un magnifique gadget à gogo !

- Normal !

- Normal ?

- Je te fais un dessin ou on plante la tente ? abrégea-t-elle.  Elle avait en horreur de discuter avec un client, elle fit un pas, évitant l’homme, mais celui-ci la rattrapa.

- 40, je n’ai que 40 sur moi ! ils étaient tous pareils.  Pas malins pour un centime, pas original du tout.

- Attends la semaine prochaine d’avoir touché ! elle accéléra le pas pour s’en débarrasser.

- 50 ! d’accord pour 50, mais c’est toi qui paie l’hôtel au moins ?

- Tu rêves mon pépère ? c’est cinquante pour moi, le restant, j’en ai rien à secouer !

- Où ?

- Là-bas, viens, tu ne le regretteras pas !

L’homme se retourna, vérifia que personne ne le reconnût et suivit la fille.  Ses yeux ronds oscillaient au rythme des fesses saccadées de Miranda qui le précédait.

- Mademoiselle, vous êtes libre ? lâcha poliment un jeune type en jeans qui surgit de nulle part.

- Je ! non, là, pas tout de suite, mais si tu attends, ... Miranda indiqua, d’un geste du pouce par dessus son épaule, le type qui lui emboîtait le pas.

- Je vous offre le double de ce qu’il vous a promis ! ajouta l’homme qui souriait toutes dents dehors, d'un sourire digne d'une pub pour dentifrice.

Un très bel homme.  Simple, grand, bien bâti, l’air correct.  Un type bien, avec qui, si elle n’avait pas fait la pute, elle aurait couché uniquement par plaisir !

- J’étais avant vous Monsieur, vous attendrez votre tour ! maugréa le nain derrière Miranda.

- Je vous donne 1.000 ! enchérit le jeune gars sans même prendre attention à l’autre.

- 1.000 ? c’est un besoin urgent ou quoi ? Miranda sourit.  L’argent la faisait toujours sourire.

- Et encore quoi ? pour qui vous prenez-vous ? le petit gros bouscula Miranda légèrement en vint se placer entre elle et le grand type.

- Calmez vous ! l’homme en jeans posa délicatement sa main sur l’épaule de l’autre, qui s’esquiva méchamment en fronçant les sourcils, - vous n’avez rien à faire ici Monsieur, vous êtes marié, père d’une petite fille et à cette heure-là, vous feriez mieux de rentrer chez vous !

- Je ... l’autre réfléchit quelques secondes en dévisageant son rival, - comment savez-vous tout cela ?

- Vous portez une alliance et sur la petite chaîne en or à votre cou, il est gravé Poly, la date de naissance est le 02.03.2004.

Le gros homme recula. - Vous n’êtes pas marié vous ?

- Non !

- C’est bien dommage, parce qu’avec la gueule que vous avez, vous devriez ! il s’en alla, fou de rage.

- Je suis désolé mademoiselle, voici l’argent, comme convenu !

Miranda compta les billets, il y en avait dix de cent ! je ne fais ni les sados ni les fêlés !  1.000 pour une passe !  il fallait qu’elle se méfie.

- Juste comme d’ordinaire mademoiselle, rien de plus, si vous le permettez !

- Suis-moi ! Miranda le conduisit jusqu’à l’hôtel quelle avait l’habitude de fréquenter, elle paya elle-même la chambre et ensemble ils y montèrent.

L’homme ne dit rien, elle s’en étonna.  D’ordinaire, les clients posaient des questions stupides, du genre: quel est ton nom ?, pourquoi une belle fille comme toi fait la pute ? tu fais beaucoup de clients par nuit ? tu n’as pas envie de tout arrêter ?  L’homme qui la suivit ne prononça pas un seul mot.

Quand ils arrivèrent dans la chambre, Miranda se déshabilla, l’homme fit de même, elle l’observa pour vérifier qu’il était normalement constitué, question d’habitude, parce qu’elle avait déjà vécu d’horribles expériences avec des phénomènes de la nature, puis, elle s’allongea sur le lit et lu indiqua le petit lavabo.

- Tu te laves un peu et tu n’oublies pas la petite protection ! elle lui montra la boîte de préservatifs sur l’étagère.

- Je donne 1.000, mais à une seule condition: j’utilise mon matériel personnel !

- Tu as des préservatifs sur toi ?

- Les meilleurs ! il lui lança la boîte en se dirigeant au lavabo où il fit couler l’eau.

- Je ne connais pas cette marque, mais soit, tu es le client, tu décides ! Miranda ouvrit l’emballage d’un préservatif au hasard et, en experte qu'elle était, elle en vérifia la qualité. - tu t’appelles comment ? voilà que c’était elle qui posait des questions à présent.  L’homme lui semblait tellement sympathique, qu’elle avait soudain envie de lui parler.

- Je, il réfléchit rapidement, Reaving !  Comme le Président sur les billets de banque ! ajouta-t-il en s’essuyant.

- C’est un parent à toi ?

L’homme sourit et fit signe non de la tête.  Il enfila un préservatif et s’allongea sur Miranda.

Elle n’eut pas le temps de se concentrer ni de fixer le plafond, elle n’eut même pas le temps de faire semblant ou d'émettre des soupirs ridicules qui ne l’amusaient pas du tout, l’homme éjacula très vite.

- Voilà, c’est fini.  Merci pour tout ! ajouta-t-il poliment.

Il se rhabilla.  Miranda l’imita, il lui sembla qu’elle connaissait cet homme au visage angélique, mais ce n’était qu’une stupide impression, si elle le connaissait, elle s’en serait souvenue.  Un type pareil, ça ne s’oublie pas ! Ses traits étaient si parfaits, si stéréotypés qu'il ressemblait à un de ces gars qui pose pour une pub de savon, de rasoir ou de déodorant.

- Dis-moi Reaving, t’es toujours aussi rapide ? demanda-t-elle en remontant ses bas de soie.

- Non.  Mais ce n’était pas la peine de faire plus long, plus on écourte les choses désagréables, moins elles nous paraissent désagréables !

Miranda sourcilla, complètement ébahie.

- Je,  elle cherchait ses mots, il lui sembla soudain qu’elle ne se sentait pas bien, comme une espèce de nausée qui lui donnait le tournis,  je te montre le chemin ?

- Si vous voulez, oui. Le type qui prétendait s'appeler Reaving suivit Miranda, il laissa un solide pourboire au type à l’entrée et il tendit la main à Miranda.

- Au revoir mademoiselle, et encore merci !

- Au revoir dit encore Miranda en lui serrant la main, c’était bien la première fois qu’elle serrait la main d’un client, - reviens quand tu veux, je suis là presque tous les jours ! dit-elle encore en songeant aux billets qu’elle avait glissés dans la poche dissimulée de son sac.

- Non, nous ne nous reverrons plus ! l’homme fit mine de s’en aller, mais il se retourna et ajouta en posant délicatement la main sur le ventre de Miranda qui, surprise, se laissa faire, - Ce sera un mâle, un garçon comme vous dîtes, ne tentez rien pour vous en débarrasser, vous n'y parviendrez pas, à moins de vous suicider !

Miranda faillit éclater de rire, elle en avait déjà entendu des conneries, mais celle-là, on ne lui avait jamais faite. 

Miranda se toucha le nombril, elle respira bien fort pour ne pas s’évanouir, elle songea qu’elle ne devait pas digérer quelque chose et puis, comme elle remit un pied dans la rue, elle chercha le type des yeux.

Il avait disparu.

Exactement comme il était apparu.

Ce soir-là, Miranda vérifia sa plaquette de pilules contraceptives, elle n’en avait pas oublié une seule.

Elle se remémora encore le préservatif qu’elle avait testé à l’hôtel, puis, elle alla se coucher en songeant, malgré elle, toute la nuit à ce bel inconnu et à ses propos étranges.

Ni elle, ni ses copines fécondées elles aussi les jours précédents ou les suivants, ne se doutèrent de quoique ce soit.

Entre janvier et février de l'année suivante, 8.287 prostituées donnèrent naissance à un enfant non désiré et inattendu.

8.287 adorables petits garçons.

8.287 chérubins au visage très pâle et yeux noirs avec un crâne presque démesuré et dépourvu de cheveux.

 

L'invasion avait commencé.

 

 

FIN.

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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 567

Coup de cœur : 10 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Floriane

Waouh ! Surprenant, je dirais...

pseudo : tehel

Merci "Flo". Il est étrange que cette nouvelle n'ait pas rencontré un plus vif succès sur ce site, car sur d'autres, il a véritablement eu l'effet d'une bombe, maints lecteurs réclamant même une suite. Cependant, même si plusieurs suites sont en cours, je ne crois pas les publier, je suis persuadé que cela enlèverait un peu au suspens de la fin et couperait court avec les possibilités augurées par les lecteurs(trices).

pseudo : nananord

captivant

pseudo : Karoloth

Voilà une belle histoire fantastique, sans crime et sans hémoglobine mais pleine d'une jolie imagination.

pseudo : Cécile Caron

C'est génial, j'adore le sens de la beauté, la tendresse, le sexe, l'adultère, le coté fantastique, tous ça n'est pas censé avoir rapport, mais dans ton histoire, ça c'est MAGNIFIQUEMENT bien marié !