L'eau est à 24°. L'air à plus de 30°. Tout le monde est joyeux, les autoroutes se gonflent d'orgueil, les moteurs poursuivent leur rôle de protagonistes polluants. Les pieds claquent au rythme des tongs, les orteils sont peints, les épaules et les quarts de fesses arborent le langage des tatouages. Les odeurs se mélangent, les yeux jaillissent des visages jadis pâlots, les blonds tournent au blanc, les châtains au cendré. Les pores respirent. Vivent les vacances ! L'euphorie du changement est remplacée par une autre routine. Le polar veut détrôner la thèse sur l'allégorie de la mélancolie dans les textes russes au milieu du XIXème siècle. Les lunettes sont de soleil, les montres oubliées, les propos allégés comme la mayonnaise, le yaourt et le beurre. Le vital n'est plus le même sous le chaud soleil du bord de mer. On est des autres, on fait comme les autres. On rit à pleines dents, le détartrage d'avril rend légitime notre investissement hors nomenclature (pour les initiés, c'est lorsque la sécurité sociale ne rembourse pas les frais). En bref, on est détendu, la ville colle à la réalité de nos vies d'estivants et nous partageons le même mot d'ordre collectif : être beau. Néanmoins, on est rattrapé par l'antan, l'hier, le jadis, l'essentiel des préoccupations : il nous manque cruellement l'univers livresque de nos profondeurs intérieures, on veut retrouver notre place assise de concentration, la main qui écrit ne peut pas se contenter de l'application triquotidienne de la crème solaire. On veut que les yeux s'imbibent d'encre et de visions imprimées, éditées, dactylographiées, ordonnancées en paragraphes, accolées aux données lexicales et syntaxiques.
On tourne ainsi le dos au confort temporaire des autres et on donne libre cours à notre singularité. On veut rejoindre le lieu déserté par les autres aux heures les plus chaudes de l'après-midi, faire le chemin inverse, aller contre le flux, privilégier notre route. Les cailloux du passage entre ville et mer ne reconnaissent pas notre sens mais le respectent. Les herbes folles ploient sous notre décision et s'écartent cérémonieusement, saluant la solitude de celui ou celle qui l'habite. Le calme est roi, les oiseaux flottent dans l'atmosphère retrouvée d'une liberté précaire, les grains de sable s'estompent de nos chevilles rosies. Nous courons vers le petit cartable cuir pleine fleur, débouchons le stylo plume qui a obtenu 15/20 en philosophie à notre bac littéraire et mettons sciemment un terme à notre flottement d'estivant.
La lecture est la forme expressive la plus sûre. Nous emménageons dans notre forme intérieure favorite : l'écriture.
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Style : autre | Par ab.joly | Voir tous ses textes | Visite : 870
Coup de cœur : 18 / Technique : 14
Commentaires :
pseudo : ficelle
J'aime beaucoup ce texte...
pseudo : ficelle
je te le redis, j'aime beaucoup, on dirait le début d'une histoire
pseudo : etoilefilante
pourquoi vos textes sont ils si longs ?
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