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Nuit de Londres par Frank Beyle

Nuit de Londres

_Le regretterais-je ?
_A priori, non.
J'inspire.
_Quoiqu'il faut toujours se méfier des préjugés, surtout dans ce genre de cas.
Un sourire, qui meurt rapidement. Je n'ai même plus envie de rire, c'est dire si c'est perdu.
Je ne bouge pas, pensif.
_Mais si... Non ! Plus qu'un pas.
Toujours pas.
_Une cigarette, là, ça l'aurait fait.
Mais enfin, tant pis. Une bonne inspiration d'air, bien que pas très pur ici, et tout se calme. Il faut saisir l'instant, je n'aurais peut-être... Ferme la !
Saute et c'est bon.
 
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Ce n'était pas la fin dont j'avais toujours rêvée, mais le saut dans le vide m'avais toujours attiré - assez étonnamment sachant qu'il s'agit d'une des rares choses qui m'ai toujours effrayé - et donc, assez tôt j'avais pensé à une longue chute : se sentir tomber sans but, du Doors en fond. Mais où aurais-je trouvé les dix minutes nécessaires à The End ? Cela m'avait toujours gêné, il m'aurait été impossible de me jeter d'un avion en vol.
Plus tard j'ai eut l'idée d'un monument, du genre de la Tour Eiffel ou de Big Ben. Mais la première avait sans doute trop de signification pour moi, les gens se seraient peut-être mépris sur les raisons de mon acte. Et pour tout autre endroit célèbre, surtout en pays étranger, ça aurait sûrement emmerdé pas mal de monde, et n'ayant probablement pas l'occasion de m'y rendre seul, mes potes en premier.
Enfin bref, sous la pression d'innombrables contraintes techniques, j'ai depuis longtemps renoncé à l'idée d'une fin stylisée. Et même sensée.
Pourtant cela ne me ressemble guère, et on est en droit de ce demander d'où me vient ce mépris du sens.
Il s'est d'abord agi d'un mépris de l'homme, puis de la vie, puis de tout. Une apparemment vaine quête de sens jusqu'à perdre foi en la logique. Point final, c'était le fondement de ma pensée, et donc de mon être.
Il est d'ailleurs assez étonnant que vous puissiez me lire en ce moment. Je me demande par quel procédé artificiel, tout aussi illusoire que toutes les autres choses que nous pouvons vivre, cela est possible. Disons que je n'ai pas encore atteint le sol. J'ouvre brusquement les yeux, alors je me revois aller.

 
Je n'ai pas grand chose à dire sur mon enfance. Je devrais dire "heureuse", mais est-ce qu'une enfance peut être heureuse ou malheureuse ? Elle est, et c'est déjà beaucoup.
Je veux dire qu'alors on ne vit pas vraiment. Il vient qu'on peut être content, tout au plus. Mais étrangement les gens ne font pas la différence; c'est ce le genre de subtilités qu'ils n'ont pas l'air de saisir.
Enfin, comme je disais, enfance plutôt banale, assez agréable effectivement, mais aussi sans grand intérêt.
J'appris par contre beaucoup de chose le jour où un adulte, ici l'un de mes parents, m'ouvrit les yeux sur ce groupe de personnes que je croyais infiniment plus évoluées que les gens de mon âge, moi inclus. Le fait qu'il s'agisse d'un membre de ma famille contribua aussi à fragiliser dans mon esprit ce concept, la famille, pour laquelle nous nous devons moralement de resentir amour et fierté.
Considérant la vie comme une affaire de conscience, c'est ce moment là, peu avant mon neuvième anniversaire, que je pose comme début de mon existence véritable.
Cela n'avait pourtant pas l'air de grand chose; rien de plus qu'une promesse non tenue, une demande d'explication ma foi, légitime, et finalement d'une punition injustifiée. Mais que cette promesse n'ai eut que peu d'importance à mes yeux ou que la peine ne fut somme toute que très légère ne me paraîssent aujourd'hui encore que d'infimes détails devant les abominations que sont le mensonge et l'injustice, négation des rares valeurs en lesquelles j'ose croire.
N'ayant alors évidement jamais remis en doute la supériorité de l'homme sur le règne animal, je considérais la bêtise, ainsi que la méchanceté, comme restreintes aux domaines de l'enfance et de la folie. Mais je m'apercevais alors de ce hiatus, fatal, entre la définition de l'homme en laquelle on veut nous faire croire, et sa nature effective.
Sachant dès lors que personne n'était infaillible, intellectuellement parlant, je pouvais commencer à prendre conscience de la faiblesse de l'homme, et pas seulement de celle de mes camarades - il ne m'avais pas fallu beaucoup de temps pour me rendre compte que même mes plus proches amis et moi-même n'étions pas exempt de défauts et étions loin d'être des génies, ce qui ne m'a pourtant jamais empêché de nous tenir en grande estime.
 
Évidement mes pensées n'étaient pas forcément très bien ordonnées, et j'avais sûrement d'autres préoccupations que la philosophie. Ce n'est donc que plus tard, étant curieux et ayant l'esprit dit "scientifique", que je me posais la question de la distinction entre l'homme et l'animal. A vrai dire, aucun critère ayant pu être donné au cours de l'histoire des sciences ne m'a jamais parut suffisamment convainquant. Je dus me rendre à l'évidence, ce que l'on appelle "homme", n'existe pas, et nous ne sommes rien de plus que des animaux.
Pourtant j'ai eu un but, un idéal d'être qui, je crois, correspond à ce que l'on nomme couramment "homme".
Je voulais atteindre un degré de conscience apparemment supérieur à celui de l'être humain basique, et c'est ce but qui amorça nombre de mes réflexions.
Ainsi, je devenais heureux, et philosophie, pour moi une quête de sagesse, me semblait le meilleur accès possible au bonheur.

Comme je m'engageais sur cette voie, je ne pouvais m'empêcher de songer à sa fin.
Il se trouve que j'étudiais, ou plutôt j'observais, depuis un certain temps les impressions et les sentiments. Ceux-ci me paraissaient modelables, et ayant conscience de la nature de ces "simples" courants électriques, je décidai d'arriver à m'en rendre maître, chose apparemment possible car j'arrivais déjà à contrôler les sensations de chaud et de froids et dans une certaine mesure à annihiler et parfois à provoquer en moi les sentiments de peur ou même de joie.
En fait, je commencais à m'intéresser au stoïcisme, et cet intérêt exprime la méfiance que j'ai depuis ce temps envers le corps et le monde extérieur en général.
C'est là que m'apparut une question assez importante : le corps fait-il partie de notre être, aussi profondément que notre conscience ?
Je finis par conclure par la négative, ce qui me convenais car le contraire n'aurait toléré aucun doute sur la fin, sur l'achèvement de notre vie qui mènerait alors nécessairement au néant, chose qui, de la même manière que le vide, me terrifiait.
Le corps n'étant plus qu'un obstacle à franchir, je me permis d'espérer à une sorte d'élévation, de séparation du corps et de l'esprit lorsque ceux-ci seraient prêts, aboutissant à l'état de conscience absolue que je cherchais.
Cette idée doit pouvoir paraître assez délirante, et elle correspondait d'ailleurs à une prise de distance avec le monde en général. Mais les sensations sont des phénomènes tout à fait explicables, les messages nerveux ne sont que les effets déterminés de causes données, rien ne me permettait de conclure à l'existence effective du monde matériel.
Pourtant il me semble aujourd'hui que ce problème relativement complexe, de prime abord intéressant, n'est qu'un de ces paradoxes sans pertinence aucune qui malheureusement accaparèrent un temps mon attention. Que le monde soit bien réel au sens courant du terme, ou totalement fictif, pure invention de notre esprit, ne change en aucun cas les tenants et les aboutissants de la vie; la question en elle même est un non-sens, mais il me fallu un certain temps avant de m'en apercevoir.
 
Mon esprit, qui je crois fait partie de ceux que l'on qualifie de "mathématique", m'apporta un autre problème. N'ayant alors aucunement conscience des propriétés quantiques des électrons, je commençais à voir le monde comme une suite logique de causes et de conséquences, certes complexe mais parfaitement déterminée. Plus alors de place pour le libre arbitre, ni aucune de ces inepties de choix et de libertés : la notion même de vie était remise en cause.
La seule possibilité de liberté m'apparut donc avec le mouvement pour l'instant imprévisible et apparemment aléatoire de particules subatomiques, mais qu'il soit la source de la vie, que tous les hommes semblent tenir en si haute estime, me paraissait si absurde que non content d'avoir aboli en mon esprit la barrière entre homme et animal, je me permettais d'effacer celle entre matière inerte et être vivant.
Évidement, je considère ici des notions que je me dois absolument de définir. Si l'on considère la vie comme un phénomène physique par lequel un assemblage de matière utilise son environnement pour modifier sa structure et en produire de semblables, alors oui, la vie semble exister, et Gaia sûrement aussi d'ailleurs. Mais ce ne peut être rien d'autre que cela. De même, l'homme est bien biologiquement une race distincte du singe et de tous les autres animaux, mais on ne peut nullement lui trouver une supériorité résidant dans la conscience et la liberté, que beaucoup affirme.
 
En fait, seule l'existence d'une entité divine pouvais contredire ces théories (dont je n'osais évidement parler : nier la vie à mon âge m'aurait valu au mieux l'indifférence de mon entourage). D'où l'idée de mysticisme qui fit son entrée dans mes pensées.
Je ne parle pas ici de religion mais de spiritualité, la religion étant une organisation humaine visant selon toute apparence à promouvoir la survie de l'espèce par son élévation morale, chose qui serait tout à fait encourageable si elle ne freinait pas la spiritualité et la réflexion personnelle à force de règles et de rites.
Rites et traditions, tout comme les interdits, les tabous, sont autant d'automatismes qui perdent leur sens avec le temps.
Et puis, pourquoi vouloir rassembler les gens ? Il m'a toujours semblé étrange de considérer la société comme un fait, indispensable à l'individu. Pourquoi cela ? Au contraire, tout a semblé au début m'indiquer le contraire.
Je définis la liberté par l'existence d'alternatives, des moyens pour choisir correctement, et enfin par le choix lui-même.
C'est pour cela que, l'homme étant dans l'imaginaire collectif sensé être libre alors que sa conscience est loin d'être absolue, c'est-à-dire qu'il ne peut toujours choisir correctement, j'avais vite renoncé à la supériorité de l'homme comme un fait, pour la rechercher individuellement.
Avec cette définition de la liberté, on voit qu'un des avantages de la société réside dans l'éducation. Mais la société n'a pas le monopole de la pensée ni de l'apprentissage et, surtout, le contact d'autrui qu'elle induit par définition, est sûrement l'une des plus importantes sources de notre perte de liberté.
L'enfant sage est celui qui obéit aux règles, alors que l'homme sage est celui qui n'en a plus besoin. Le meilleur exemple en est l'ermite, lui qui s'éloigne des lois pour exprimer au mieux sa sagesse et accéder ainsi à la liberté. Et ces règles sont autant la loi que la morale, les interdits religieux, ou même la politesse en tant que formalité ayant perdu toute signification, toutes dictées par la société dans l'unique but de sa propre survie.
Alors pourquoi vivre en société ? Pour un échange de liberté contre un peu de bonheur nous dit-on. Mais quel bonheur ? Du confort en fait. La société rend l'homme content, mais non heureux. Et cela en étouffant notre liberté.
On a ici une relation plus ou moins analogue à celles qui lient le langage et la pensée, le maître et le disciple, le corps et l'esprit : l'un est une aide pour l'autre qui se doit de la dépasser.
 
C'est pour cela, le dépassement du corps par l'esprit, que la spiritualité faisait partie de ma philosophie.
Pourtant j'ai progressivement fini par abandonner ces histoires d'élévation spirituelle, lorsque le bonheur a commencé à m'apparaître comme une quête et non comme une fin.
Mais parallèlement, le concept de l'absurde, qui me fut présenté en début de lycée ou peut-être un peu plus tôt, en cours de français, commença à éveiller ma curiosité. Étant a priori un grand disciple de la logique et de la raison pure, c'était un sujet qui ne pouvait manquer de m'interpeller.
Malgré l'apparente contradiction que ce concept faisait au principe même de ma façon de penser, je n'ai pas été tout de suite ébranlé dans mes convictions.
En effet j'ai toujours pensé, comme Camus je crois, que Sisyphe pouvait être heureux, tant qu'il était conscient. Ça tombe bien, je nous ais toujours considéré comme des Sisyphes, d'où la relation si étroite que j'établis entre conscience et bonheur.
 
Mais mon entrée dans la vie étudiante m'apporta quelques autres préoccupations. Mon incapacité à pouvoir faire comprendre à une fille que je l'aime - ou plus vraisemblablement qu'elle me plaît beaucoup - a sûrement été pour quelque chose dans ma remise en cause du sens de la vie. On remarque aisément comment un simple instinct peut facilement balayer des années de rationalité.
C'est dans ce genre de moment de faiblesse mentale - il faut bien dire que la prépa, en plus de fatiguer physiquement, m'a pas mal affaibli psychologiquement - que la distinction entre les mots "content" et "heureux" et devenue plus forte.
A force de ne pas comprendre, de m'interroger, de me torturer, d'essayer de m'exprimer, principalement par l'art, j'ai commencé à aimer ma peine. Le seul problème était que cette dernière ne semblait pourtant pas du tout me fortifier. C'est ce que j'ai réalisé après avoir lu les mots de Paul Valéry gravés sur la façade du palais de Chaillot, à deux pas de la tour Eiffel. Mots extrêmement touchants, troublants pour moi.
Un état de mélancolie a alors commencé à s'emparer de moi. Spleen peut-être, correspondant bien à mon goût, aussi bien musical que littéraire, pour le XIXème siècle.
Je me suis alors mis en quête de sens, du sens à donner à la vie pour qu'en toute logique elle vaille la peine d'être vécue. Mais cette logique même qui m'intime de trouver du sens ne m'apparaît d'aucun secours pour y arriver, le bonheur me paraissant alors soit inaccessible, soit bien futile ou fade. Et pendant que je n'arrive plus à avancer, le temps avance et l'édifice tombe en ruine.

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