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LE PLUS PRÉCIEUX DES TRÉSORS par tehel

LE PLUS PRÉCIEUX DES TRÉSORS

 

- Qui s’est ? Kate avait sourcillé en se rapprochant de la porte blindée verrouillée à double tour.

On avait frappé.

- Facteur, Madame, j’ai un colis pour vous !

- Un colis ?  Je n’ai rien commandé !

- Breeze ? c’est vot’ nom ?

- Katerin Rozansky, veuve Breeze, c’est moi !

- J’ai un colis à votre nom, Madame !

La vieille boitilla jusqu’à l’œilleton et elle espionna l’homme au dehors.

C’était bien un agent des postes, avec un képi et un paquet entre les mains.

- Il y a quelque chose à payer ?

- Non, tout est payé m’dame !

- De qui ça vient ?

- Y a pas d’expéditeur, juste vot’ nom !

Kate hésita, cela faisait des siècles qu’elle n’avait plus vu un visage humain, mais poussée par la curiosité, elle se décida finalement à ouvrir.

Par précaution, elle fixa la chaînette de sécurité au chambranle de la porte.

- Voilà m’dame ! l’homme lui passa le petit paquet brun.

Kate referma aussitôt la porte et jeta à nouveau un œil à l'extérieur via le judas.

- Que voulez-vous encore ? lança-t-elle en s’apercevant que l’homme était toujours derrière sur le seuil.

- Heu, c’est que d’ordinaire, on nous donne toujours quelque chose !

- Quelque chose ? de l’argent ?

- Ouaip ! un p’tit quelque chose, quoi !

- Rien !  Vous n’aurez rien, vous êtes payé pour porter le courrier, et en plus vous voudriez qu’on vous donne un pourboire !

- Mais !?!

- Fichez-moi l’camps, voyou ! malhonnête ! sale jeune petit con !

Tout penaud, le facteur fit demi-tour pour regagner sa camionnette et filer.

- Non mais ! Kate trottina jusqu’à la vieille table bancale du salon et elle y déposa le colis.

Elle s’aida de sa canne pour contourner la table et venir s’asseoir sur la seule et unique chaise en osier effiloché.

La bouche plissée d’une grimace austère, elle étudia le colis.

C’était un petit paquet emballé du rituel papier brun des postes et furieusement ficelé d’une cordelette blanche.

Elle étudia le fameux colis.

Kate était une femme peu ordinaire.

Elle comptabilisait 97 hivers (en ce qui la concernait, il valait mieux compter en hivers et surtout pas en printemps), et autant de dizaines de millions qu’elle s’était jurée ne partager avec personne, si bien qu’elle vivait seule, séparée de tout le monde, en parfaite autarcie !

Ses voisins les plus proches avaient été priés, des années auparavant, de ne plus s’approcher de son domaine, elle s’était arrangée pour disputer avec ses dernières connaissances et elle avait renié Pol, son unique neveu qu’elle n’avait plus rencontré depuis plus de 4 ans !

Elle tira de toutes ses forces sur le tiroir coincé sous la table et elle en sortit un coutelas élimé avec lequel elle découpa la cordelette qu’elle rembobina ensuite précautionneusement autour de ses doigts griffus déformés par l’arthrite.

Kate ne jetait jamais rien, depuis toujours elle stockait des tas de choses, économisant sur tout, ne gaspillant jamais rien, recyclant sans cesse !

Une cordelette, cela pouvait toujours être utile !

Elle remisa le coutelas avec la cordelette dans le tiroir.

Elle récupéra le papier brun en songeant qu’il servirait à allumer le feu du soir et elle retourna s’asseoir pour examiner le paquet.

C’était un paquet cadeau.  Avec un magnifique emballage aux coloris riches et constellé d’étoiles brillantes.  Vraiment superbe !

Qu’était-ce ? qui pouvait bien lui envoyer un paquet cadeau ?

Kate avait beau réfléchir, elle ne voyait pas !

Délicatement, elle détacha les bords de l’emballage et découvrit la boîte de carton.

Une petite boîte d’un volume proche d'un double décimètre cube.

Elle l’ouvrit.

Sous une fine pelure de papier crépon, elle dégagea le coffret.

C’était un coffret chinois.

Un véritable coffret chinois: un casse-tête chinois !

Ce coffret-là ne comprenait pas moins de 67 tiroirs et autres trappes qu’il fallait soit ouvrir, soit fermer, tirer ou faire coulisser pour permettre à d’autres de pivoter, tourner, s’emboîter ou se libérer.  Quand les 67 tiroirs étaient judicieusement placés, alors seulement parvenait-on à déloger l’axe principal et à ouvrir le boîtier.

Kate chercha une explication.  Seule une toute petite banderole de papier écorné gisait au fond de l’emballage.

- Joyeux Noël ! - disaient les lettres imprimées du papier.

- Joyeux Noël ? Kate n’avait qu’une vague idée de l’époque où elle vivait, cela faisait des années que plus rien ne l’intéressait et le calendrier écorné et jauni qui ornait la cheminée, datait de 1987.  C’était peut-être Noël, elle n’en savait rien et s'en fichait pas mal.

Elle oublia la petite banderole et étudia le coffret.

C’était un magnifique coffret, harmonieusement décoré, avec sur le dessus, ou du moins sur une face qu’elle soupçonna être le dessus du coffret, des lettres dorées enchâssées dans le bois d’ébène qui disaient: Le plus précieux des Trésors.

Le plus précieux des Trésors ? Kate sourcilla, sa bouche gercée de rides labourées par des années de mauvaise humeur, se fendit en un sourire étrange et la lueur fantomatique d’un vif intérêt enlumina ses yeux noirs enclavés dans leurs orbites profondes.

Un Trésor !  Si Kate se moquait éperdument de tous les cadeaux qu’on pouvait lui faire, celui-ci suscita cependant sa plus grande attention, et même si elle se doutait que tout cela n’était qu’une vaste blague, elle décida malgré tout d’ouvrir le coffret pour y voir à l’intérieur.

Aucune explication !  Aucun mode d’emploi !

Elle ouvrit un premier tiroir, en poussa un autre, elle décala une lamelle de bois, en fit tourner une autre, délogea une goupille, inversa deux compartiments, fit coulisser trois parties qui semblaient correspondre.  Déjà, quelques gouttes de sueur perlèrent sur son front crevassé et l'arthrite de ses doigts lui rappela combien ses pauvres mains usées la faisaient souffrir.

Kate repoussa son châle.  Elle retourna le coffret et recommença.

Elle eut beau réfléchir, observer, étudier les angles, s’imaginer les conséquences de ses gestes, augurer tous les plans qu’elle pouvait, le coffret refusait de s’ouvrir.

Au comble de l’énervement, elle faillit même jeter le coffret par terre pour tenter de le briser, mais elle se ravisa, relevant le défi et s’obstinant à vouloir l’ouvrir à tout prix.

Elle essaya donc encore.

Ses mains comme enflammées et meurtries d'élancements s'étaient mises à trembler.

Le plus Grand Trésor était décidément bien difficile à atteindre.

Les tiroirs valsèrent, tourbillonnèrent, s’ouvrirent et se refermèrent; quelques lamelles tournèrent comme des ailes de moulin, d’autres restèrent en place, le coffret exécuta des dizaines de tours savants entre les mains de la femme, une fois même il retomba lourdement sur le bord de la table, Kate souffla, à plusieurs reprises, elle leva les yeux au plafond, elle se mordilla la lèvre inférieure, puis se mit à respirer par saccades, accélérant ses gestes et ses essais.

Une fois seulement le couvercle sembla bien vouloir se déverrouiller, il se souleva d’un millimètre ou deux, mais quand la vieille essaya de l’ouvrir carrément, celui-ci resta bloqué, solidement refermé sur lui-même par l'une ou l'autre entrave encore en place.

Kate râla, puis elle recommença.

A l’infini...

Tout le restant de la journée, sans se préoccuper du temps qui passait, elle s’entêta.  Bien après que la nuit fut tombée, Kate était toujours attablée face au coffret chinois et si en pleine nuit quelqu’un était passé à hauteur de sa fenêtre, il aurait aperçu la vieille dame tentant d’ouvrir le fameux coffret.

...

Quatre jours.

Il fallut quatre jours.

Coriace la Tante kate !

Quatre longs et interminables jours pour qu’elle crève.

Crise cardiaque !

Fatale !

Imparable !

Quatre jours à s’énerver, à perdre patience, à s’obstiner, à mourir à petit feu.

Quatre jours vains, car le plus précieux des Trésors demeura inaccessible !

...

Les chromes polis du corbillard reflétaient les rayons pâles du soleil, Sally et Pol, les yeux rivés sur le cercueil, se tenaient face à la dépouille de leur tante Kate.

Le curé fit signe à Pol qui s’avança vers la tombe, et au lieu de jeter une poignée de terre comme l’homme l’avait invité à le faire, Pol déplia un petit papier gris qu’il offrit en hommage à Kate, cette tante que lui et sa petite famille n’oublieraient jamais car elle leur avait laissé, malgré elle, de quoi vivre comme des rois durant des générations.

Un petit papier gris qui disait: "Le plus précieux des Trésors, c’est savoir attendre !", un bel adage chinois qui tombait à pic.

 

- C’est tout de même étrange qu’elle soit morte si subitement, aux dernières nouvelles, elle était pourtant en bonne santé, non ? interrogea Sally.

- Tu ne penses pas qu’on a assez attendu ? plaisanta involontairement Pol.

- Si ! dit encore Sally en lui prenant la main.

 FIN.

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