Le vendredi 11 juillet, en plein départ de canicule, je me suis retrouvé en gare d'Aix-en-Provence.
Le ciel était d'une grande limpidité, balayé par un mistral encore balbutiant en cette heure précoce de la journée.
Il y avait bien longtemps que je n'avais pris le train.
J'avais soigneusement commandé mes billets TGV pour Mâcon et je les avais serrés dans ma veste comme un sésame pour le Paradis.
J'avais aussi découvert avec stupéfaction et un peu d'irritation que j'avais également droit à une carte Senior. Que j’ai commandée aussi sur Internet.
Mais la carte devait être retirée à la gare. Les billets, non mais la carte, oui. Mystères impénétrables de la Modernité.
Et me voici donc, bien à l'avance, dans la gare d'Aix-TGV.
11 juillet. Les départs en vacances. Donc une gare en effervescence. Une fourmilière : des gens, des couples, des enfants, des groupes, des scouts, des curés et des sœurs.
Au milieu de tout cela un quadrillage soigneux d'agents SNCF. Agents de la sécurité en pantalon noir et chemise blanche. Brassard rouge. Des agents ferroviaires en tenue bleue azur. Des employées à l'espace de vente en chemise standard à lignes verticales. Classe. Pro. Une véritable usine.
En fait, c'est là, à l'espace de vente que les ennuis ont commencé. Je voulais donc retirer ma carte Senior. Je suis tombé sur une employée souriante. Bon, un peu crispé le sourire, un peu stéréotypé, mais un sourire quand même. Je tends mon dossier et la voici à tapoter à toute vitesse sur son clavier. Cinq minutes passent.
- Il y a un problème, Monsieur, me dit-elle.
- Ah bon ?
- Votre transaction n'est pas passée.
Et la voici en train d'émettre plein d'hypothèses sur la date, la liaison Internet, le serveur, le machin,...
En plus, il y avait une employée stagiaire qui buvait ses paroles comme le suppliant écoute la Pythie.
Dix minutes passent. Elle devient nerveuse. Rien ne marche. Excédée, elle appelle un centre de services.
Dix autres minutes s’écoulent. A espérer que quelqu'un décroche.
Pendant tout ce temps, elles parlent chiffons.
Dans la file d’à côté, à l’autre guichet, une dame venait chercher les billets qu’elle avait réservés. Mais sa carte bleue n’était pas la même que celle qui avait servi à commander les billets.
Alors l’employée de lui dire :
- Ce n'est pas la même carte bleue, Madame.
Et la dame :
- Mais c'est un comble, tout est payé...pourquoi avez-vous encore besoin de ma carte ?
- C'est comme ça que ça fonctionne, Madame, nous devons vérifier la validité de la carte.
Et la dame a beau s'énerver, l'employée reste de glace. Pro. Classe. Usine.
La dame a dû acheter un autre billet.
De mon côté, il y avait enfin une réponse à l’autre bout du fil.
L'employée a raccroché et m'a regardé :
- Voilà, je vais devoir vous commander une nouvelle carte.
- Ah bon ? Et pour celle que j'ai déjà payée ?
- Je vais vous expliquer comment vous faire rembourser.
Ont suivi cinq minutes d'explications avec des instructions et des codes à défier un Prix Nobel de cryptographie.
J'ai quand même eu ma carte.
Derrière moi, les gens s'énervaient. Ils avaient un train à prendre, un billet à acheter, un billet à changer, un bébé qui pleurait, une grand-mère qui attendait à cinq cents kilomètres de là. Un homme s'est mis en colère. Alors un agent de la sécurité s'est approché de lui tout sourire. Pro, vraiment pro. Il a calmé l’excité qui a continué à bougonner. Mais qu’importe.
D'ailleurs tout le monde bougonnait, courait, criait.
Un microcosme du XXIème siècle.
Je me suis isolé pour savoir à quel quai je devais me rendre. Un grand panneau lumineux -plasma et tout ça- affichait les trains à venir avec des codes, des cryptogrammes, des icônes. Beau. Incompréhensible…mais beau.
Sur six TGV, quatre affichaient un retard de quinze minutes à une heure trente. J'ai entendu une dame demander à un agent SNCF quelle était la raison de ce retard.
- C'est comme ça, Madame, a répondu l'employé d'un air suffisant et compétent, il est en panne alors on va trouver une solution.
Voilà, c’est ça la Modernité : des problèmes...beaucoup...et des solutions inconnues, hypothétiques et qui se font toujours attendre.
Moi, mon TGV était à l'heure.
Je suis parti à 09h53. Ou presque.
A 10h30, le TGV s'est arrêté en rase campagne. Il paraît que des gens déambulaient sur la voie. On nous a dit : « procédure d'urgence, sécurité et tout le toutim ». Vingt-cinq minutes plus tard, on repartait. En attendant, une dame a fait un malaise, on a demandé s'il y avait un médecin dans la rame. Il y en avait un. C'est bien. C’est aussi ça, le monde moderne. Il y a toujours un médecin bénévole pour vous soigner. Il le fait avec un air ennuyé mais il le fait.
A Lyon Part Dieu, la gare n'était qu'une ruche en ébullition. J'étais en retard pour ma correspondance mais cela n'avait pas d'importance car le TGV qui devait m'emmener à Mâcon avait lui même une heure quinze de retard.
J'ai d'abord voulu aller à l'espace de vente mais il y avait un monde fou. Comme à Aix : énervé, agacé, piaillant, criant.
Alors je me suis dirigé vers une borne automatique. Qui a bien fonctionné. J'ai donc pu prendre un TER.
Et me voici enfin à Mâcon-Ville. Ce n'est pas une très grande gare mais il y avait pas mal de monde. On devait venir me chercher et finalement, comme j’avais pris mes précautions, j'avais un peu d'avance. Alors, je me suis dirigé vers une petite salle d'attente.
L'atmosphère était curieuse. Presque calme. Des gens montraient un panneau. Bien sûr, les trains étaient en retard mais il y avait comme un souffle de paix. Je me suis installé dans la salle et j'ai vu sortir un homme en képi blanc. Il s'est dirigé vers une famille de vacanciers. Il avait une feuille à la main. Il leur a expliqué gentiment ce qu'ils devaient faire pour atteindre leur destination. Il souriait. Ils ont souri aussi et l'ont remercié. Il est revenu à toute vitesse dans son bureau juste en face de la salle d'attente. Là, un vieil homme l'attendait.
- Je m'occupe de vous, Monsieur, dit l'homme au képi blanc.
Il a passé un coup de fil à Pierre ou Paul, je ne sais plus. Alors il a parlé au vieil homme, l’a rassuré et l'homme est parti en le remerciant.
Cela a duré comme ça plusieurs minutes.
Alors, une femme en veste bleue est arrivée. Une collègue de l'homme au képi blanc. J'ai vaguement entendu quelques mots : « tgv...retard...plus d'une heure... ».
Alors, l'homme au képi blanc a dit :
- Bon, je vais afficher ça.
Il est retourné dans son bureau.
Mais il n'y avait pas d'afficheur plasma ou autre dans la gare. J'étais donc surpris.
Deux minutes plus tard, il est sorti de son bureau avec une grande feuille de papier et un rouleau de scotch.
En passant, sa collègue lui a dit :
- Je vais faire une annonce pour les rassurer.
- Oui, fais ça, a dit l'homme au képi blanc.
Quand il est revenu, sa collègue lui dit :
- Il y a un monsieur qui veut aller à Metz.
- Je m'en occupe, a-t-il répondu.
« Je m'en occupe ».
Je me sentais bien dans cette gare. J’y serais presque resté tant il y avait quelque chose de rassurant dans son atmosphère. On s'occupait de vous avec des moyens simples et humains.
Et puis, j’ai dû partir.
J'ai oublié de remercier l'homme au képi blanc et la femme en veste bleue.
La nuit qui a suivi, j'ai fait un cauchemar terrible.
Des technocrates, un cabinet d'audit ou un expert quelconque ont débarqué à Mâcon. Ils ont été effarés du manque de modernité de la gare.
Ils ont mis l'homme au képi blanc à la retraite. Ils ont nommé un chef pour superviser la femme en veste bleue. Ils ont embauché deux autres agents pour manipuler des panneaux lumineux gigantesques qu’on a installés à grands frais. Ils ont aussi embauché un technicien de maintenance afin qu'il puisse appeler un centre hotline au cas où il y aurait un problème avec les panneaux. Les gens sont devenus nerveux et stressés. Alors, ils ont aussi fait venir des gardiens de sécurité et la Modernité est arrivée.
C’est ainsi qu’un autre coin d'humanisme a été rayé de la carte.
Je me suis réveillé en hurlant. Je me suis levé et j'ai écrit ceci.
Pour vous, Madame en veste bleue et vous, Monsieur au képi blanc.
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Style : Réflexion | Par zag | Voir tous ses textes | Visite : 575
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Commentaires :
pseudo : margoton
Bien vu, Zag ! C'est mon manque de goût pour ces diverses joyeusetés qui me font préférer rester chez moi et regretter "le bon vieux temps" où tout était plus clair, plus simple, mieux organisé.Nous devons être hors jeu, vous et moi !
pseudo : zag
Merci pour ce commentaire, chère Margoton. Nous ne sommes pas hors jeu, nous sommes dans un autre jeu, celui de l'essentiel et de la simplicité, non ?
pseudo : margoton
Oui, cette nuance vue par NOUS, et non par l'ambiance actuelle !
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