Je crois que j’ai eu la passion de l’archéologie le jour où l’on m’a mis entre les mains une céramique étrusque. Il y avait une telle douceur dans sa surface que je ne pouvais pas croire qu’elle sortait ainsi du sol. Alors, j’ai acheté le matériel ad hoc et je me suis lancé dans l’aventure.
Je n’aurais pas dû.
J’ai creusé des tranchées avec une frénésie violente et vidé des puits antiques avec une énergie insoupçonnée. Mes premières découvertes furent maigres : une pièce de 1725, un bouton de bronze, plus ancien probablement, et chose étrange, le livret militaire à moitié carbonisé d'un soldat de la Grande Guerre.
Mes recherches durèrent plus de vingt années. J'avais acheté une petite maison pas loin d’un site riche en vestiges de tous les âges afin de consacrer le maximum de temps à mes fouilles. La maison devint rapidement le plus épouvantable capharnaüm jamais vu. S'y entassaient les vestiges les plus divers, couvrant toutes les époques, depuis la dernière guerre jusqu'aux temps préhistoriques.
Je devinais au travers de tout cela comme un fil ténu dont je ne saisissais pas encore l'importance.
Ma plus belle découverte fut certainement cette tombelle celtique inviolée. Le squelette d'un grand guerrier y était couché. A ses côtés, un glaive rouillé au manche d'ivoire. A ses pieds, deux récipients intacts. Le plus intéressant était la poignée d'ivoire. Elle était sculptée avec délicatesse et représentait un arbre dont les racines gigantesques s'enroulaient autour de l'image d'un dieu dont le visage m'était familier. J'approchais du but. Lentement. Mais je ne comprenais pas encore.
Aujourd'hui, à l’instant même où j’écris ces lignes, je sens ma confession approcher à sa fin et la peur s'empare de moi. Le jour se lève …me permettra-t-il de survivre à ce que j’écris ? Je ne le crois pas. Ma connaissance est encore fragmentaire mais trop dangereuse déjà. Je voudrais arrêter là et gagner ainsi un ultime sursis. Mais à quoi bon ?
Que me vaudraient les heures qui restent sinon la souffrance du corps et de l'âme ? Alors, achevons cette histoire.
Au fil des années, ces travaux de fouille sont devenus de plus en plus pénibles. Je n'avais pas loin de soixante-dix ans et mon dos me faisait horriblement souffrir. Pour dix minutes de tranchée, je devrais dire de travaux forcés, j'en passais trente à tenter de décrisper des muscles devenus rebelles. C'est ainsi, qu'un jour, occupé à me déplier lentement, je vis une vieille femme pénétrer dans le bois. Je venais de sortir de mon trou et ma respiration haletante m'empêchait de la héler. Il me semblait bien qu'elle portait un bouquet de fleurs. Ce n’était pas la première fois que je la voyais passer. Toujours avec des fleurs. Mais c’était seulement à cet instant précis que cela m’avait intrigué. Comme si la fin approchait. Mais quelle fin ?
Elle ressortit du bois cinq minutes plus tard. Sans son bouquet. Je n'avais toujours pas la force de l'appeler mais ma curiosité était sérieusement excitée. Je me rhabillai lentement et rassemblai mes outils. Je partis lentement vers le bois à la recherche du bouquet.
Je le vis peu après, posé avec soin au pied d'un arbre. Mais il n'y avait rien d'autre à observer. Pas de gravure sur l'écorce de l'arbre. Rien. Sinon que l'arbre se dressait entre des rochers qui semblaient constituer comme une garde fidèle. Je voulus en savoir plus long et me rendit chez le notaire. Il me reçut comme un ami de toujours avec cette déférence affable teintée d'ironie.
J’entrai dans le vif du sujet.
- Je viens de mon terrain et j'ai vu une vieille femme pénétrer dans le petit bois.
- Oui, me dit-il, il doit s'agir de la veuve B...
- Ah ? Qui est-elle ?
- C'est une pauvre femme qui n'a connu que des malheurs dans sa vie. Ne prenez pas ses visites de mauvaise part.
- Ses visites ?
- Oui, chaque année, elle se rend sur le lieu de la mort de son fils.
- Son fils ?
- Oui, c'est une triste histoire. Elle avait seize ans quand elle accoucha d'un magnifique bébé. Un jour qu'elle pique-niquait avec son enfant qui devait à peine avoir un an, un orage s'est levé. Il était d'une violence épouvantable et est resté longtemps gravé dans la mémoire de nos anciens. La foudre a frappé l'enfant de plein fouet. Depuis lors, à chaque anniversaire de sa mort, la vieille va poser un bouquet à l'endroit précis du drame...il y a déjà soixante-dix ans de cela.
Une faible lueur s’alluma dans mon esprit.
- Où est enterré le petit ? demandai-je précipitamment.
- Au cimetière, derrière l'église.
Et j'y courus comme un fou. Il me fallut une heure pour découvrir la tombe, une petite dalle de pierre grise nichée entre deux cénotaphes géants. Dans un petit médaillon de métal et de verre, la photo d'un bambin. Sur la pierre, deux dates.
La première était celle de la naissance.
La seconde était celle de la mort.
16 février 1939.
La date exacte de ma propre naissance.
Depuis lors, je ne vis plus, je ne mange plus, je ne dors plus.
J’ai fait des recherches à propos de la famille B., de la mère, de l’enfant, du village, mais rien, rien de rien.
En fait, il ne me restait plus qu’une chose à faire : aller voir la vieille.
Quand je suis entré chez elle, elle a eu l’air de me reconnaître tout de suite. Elle n’a pas dit grand-chose, elle a juste souri en me tendant un vieux parchemin.
C’était une liste de noms.
Le mien y figurait.
Avec ma date de décès.
Et c’est la date de demain.
Il me reste peu de temps pour mettre un peu d’ordre.
Afin que le suivant trouve le parchemin lui aussi.
Alors, si vous lisez ceci...vous êtes peut-être la suivante ou le suivant ?
Bonne chance à vous alors. Je vous aime déjà.
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Commentaires :
pseudo : chollet mikael
La réincarnation est un thème qui m'intéresse particulièrement sur le plan philosophique. Je trouve que ton texte est excellent sur ce sujet.
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