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PAS DE MIRACLE ! par tehel

PAS DE MIRACLE !

La Terre, ce bel élément, aurait pu s’arrêter de tourner; tout le monde autour de lui aurait pu crever, plus rien n’avait d’importance ...

 Ray se moquait de tout, la radio jouait fort, les informations venaient de se terminer, il avait à peine écouté, et le message publicitaire pour les crève-la-faim du Tiers Monde ne l’avait pas du tout ému.  Plus rien ne pouvait le toucher, parce que plus rien ne l’intéressait.

Devant ses yeux fatigués, le flou ondulait doucement.

 Allongé sur son lit de malade, il regardait le plafond lambrissé qu’il connaissait par cœur.  Chaque nœud du bois, chaque lamelle, les moindres défauts et détails du plafond, il les connaissait tous sur le bout des doigts.

 Ray soupira.

 L'accident s’était produit si vite.

Trop bu.

Trop vite aussi probablement.

Un accident ridicule.

Un accident qui lui avait coûté la vie.

Ray s’en était pourtant sorti.

C’est ce qu’avaient dit les médecins et les spécialistes qui, des semaines durant, l’avaient soigné.

Colonne vertébrale sectionnée à deux endroits, affirmait le diagnostique impitoyable.

 Ray était là, allongé sur le dos, immobile, impotent, moins valide qu’il fallait dire.

Moins valide !

Moins valide parce qu’il avait les jambes, le bassin et les bras paralysés pour toujours !

 Faut garder espoir, la médecine peut faire des miracles ! lui avait-on répété des millions de fois.

Des miracles !

Seul Dieu pouvait faire des miracles, mais Dieu semblait avoir oublié Ray.

 Une larme coula sur sa joue mal rasée.

 

Le pire, avec cet accident qui s’était produit 16 mois plus tôt, avait été tout le reste.

 Les visites de plus en plus espacées de ses amis qui avaient fini par ne plus venir prendre de ses nouvelles, ça avait aussi été la perte de son emploi et les difficultés financières qui avaient suivi et ça avait surtout été la perte lente mais certaine de Déborah.

 Déborah !

 De ses jambes ou Déborah, Ray ne pouvait pas dire lesquelles ou laquelle lui manquai(en)t le plus, mais au fond de lui-même, il savait très bien que c’était de cette fille qui était dépendant.

 Ca n’avait pas été facile de lui dire, mais Ray y était parvenu.

 25 ans.

Déborah avait 25 ans, elle était très belle et intelligente, elle avait tout à attendre de la vie, de l’avenir, alors, un handicapé, cela ne pouvait que la rendre malheureuse.

 Durant des nuits entières sans sommeil, Ray avait cherché ses mots, il avait bien tenté d’être désagréable et méchant avec elle, rien n’y avait fait, tous les jours, elle était venue le voir et était restée des heures durant à son chevet, à lui parler et à l’écouter se plaindre ou tout simplement pour le soutenir sans rien dire.

 Alors, Ray avait pesé ses mots et il lui avait demandé de ne plus venir.

 Déborah avait pleuré.

Ray aussi avait pleuré, mais il avait retenu ses larmes, sachant que s’il craquait, la fille ne serait jamais partie pour de bon.

 L’amour doit rester de l’amour, surtout ne jamais devenir de la pitié !  Voilà la plus terrible phrase qu’il lui avait dite.

 Déborah avait compris.  Fallait pas lui expliquer davantage, elle savait pertinemment bien que Ray avait raison, que l’avenir s’était perdu quelque mois plus tôt sur le bord d’une route, elle savait que tôt ou tard, elle finirait par l'aimer un peu moins, puis par ne plus l’aimer du tout et qu’elle finirait par s’apitoyer.

 Alors, elle était partie.

 Elle avait bien tenté de prendre de ses nouvelles, mais Ray ne lui en avait pas données.

 Les semaines avaient passé.

Les mois.

 Et puis, Ray lui avait téléphoné.

C’était pratique, un petit appareil relié à l’ordinateur au pied de son lit.

Une boîte tactile adaptée qu’il actionnait avec des mouvements précis de son menton.

 Déborah n’était pas chez elle ce jour-là, le répondeur s’était mis en marche, la bande sonore s’était enclenchée, et Ray avait écouté sa voix douce qu’il le rendait nostalgique.

 Un message ordinaire.

- "Nous ne sommes pas là, laissez un message après le beep sonore".

 Tout à fait ordinaire.

Sans grand tralala.

Sauf ce "nous" qui avait été bien plus terrible encore que l’horrible choc de sa voiture qui s’était enroulée autour du poteau électrique.

"Nous".

Déborah avait fini par trouver quelqu’un.

 C’est la vie !

 La vie !

Ray s’en moquait de la vie, puisque la vie s’était bel et bien moquée de lui.

 Dans sa tête, Ray avait essayé de se faire une raison, finalement, c’était exactement ce qu’il avait voulu pour Déborah, c’était précisément ce qu’il avait désiré qu’elle fasse.

 Mais l’amour, teinté de jalousie, est plus fort que la raison et Ray s’en était voulu.

Il avait rappelé, il avait de nouveau écouté le message, puis, d’un geste délicat de la tête vers la gauche, il avait raccroché.

 Et les jours qui avaient suivi, avaient été plus noirs encore que les précédents.

 Et puis, quand plus rien ne vous rattache à la vie, la seule, l’unique solution, c’est la mort.

 Bordel !

 La mort, Ray y avait déjà songé.  Des milliers de fois il avait cherché une solution pour partir, comme il préférait se dire à lui-même, mais, quand on les jambes et les bras amorphes, insensibles qui restent immobiles, qui n’obéissent plus à rien, il n’est pas aisé de se donner la mort.

 Alors, il avait rappelé Déborah.

 Il l’avait rappelée, et il lui avait demandé de venir le voir.

 Déborah était venue.

Tout de suite, sans hésiter.

Dans l’heure qui avait suivi, elle était venue chez lui.

 60 minutes durant lesquelles Ray avait encore imaginé pouvoir tout arranger, pouvoir recommencer à zéro, recouvrer l’usage de ses membres et redevenir un homme à part entière.

 Mais il n’y a pas de miracle.

Principalement en 60 minutes.

 Déborah était entrée, elle avait déposé son long manteau sur le canapé et elle s’était assise sur le bord du lit pour l’embrasser tendrement sur la joue.  Elle s’était forcée de lui sourire en lui passant les doigts dans ses cheveux en désordre.

 Déborah avait ouvert la bouche pour parler, mais Ray l’avait aussitôt priée de se taire.

 Parler aurait été inutile.  Surtout qu’il n’y avait rien à dire.

Rien de neuf en tout cas puisque c'était toujours la même chose ...

 - "Je voudrais te demander une dernière chose", avait-il dit doucement, en pesant bien ses mots, "et si tu m’as un jour aimé, je te demande de ne rien dire, de ne pas parler, de ne rien essayer, juste de faire ce que je te demande".

 Déborah avait ravalé sa salive, elle avait serré très fort la main de Ray, mais celui-ci n’avait rien pu ressentir, il avait continué de parler vite, sans s’arrêter.

 - "Tu vas aller dans la salle de bains, dans l’armoire au dessus du lavabo, à gauche, tu sais, là où on mettait les médicaments, tu trouveras un petit flacon.  Des barbituriques".  Déborah avait grand ouvert les yeux, mais Ray avait enchaîné. -" Rapporte-moi le flacon, et puis va-t-en !  Ne me demande rien, Déborah, je n’ai plus que toi, sans toi, je n’y arriverai pas et ce n’est pas l’assistante qui vient tous les jours qui me les donnera.  Fais-le pour moi, au nom de notre passion passée, au nom de nous deux, parce qu’il n’y a pas d’autre solution.  N’essaye pas de me convaincre que la vie vaut la peine d’être vécue, n’essaye pas de me dire qu’il existe encore un futur pour moi ou pour nous deux, fais juste cela pour moi et repars.  Je t’en prie".

 Déborah l’avait regardé l’espace d’un instant qui avait semblé durer une éternité, elle avait soudain eu envie de le serrer dans ses bras et de lui crier haut et fort qu’elle l’aimait plus que tout au monde, mais au lieu de cela, sans même savoir pourquoi, elle s’était levée d’un bond, elle avait marché très vite jusqu’à la salle de bains, elle avait ouvert l’armoire, pris le flacon de barbituriques qu'elle posa ensuite sur le plateau mécanique.

 - "Tu es la fille la plus formidable que je connaisse", avait encore soufflé Ray en la remerciant des yeux, puis, il s’était retourné légèrement sur la droite, et il lui avait demandé de partir.

 Il avait encore attendu qu’elle referme la porte derrière elle, il avait écouté en retenant sa respiration, pour entendre le moteur de sa voiture qui s’éloignait, et puis, il à l'aide du menton, il avait actionné le plateau automatisé et avec ses dents, il avait ouvert le petit flacon.

 Ray les avait comptés, il en restait 13.

13, chiffre porte-bonheur.

13 comprimés, 13 barbituriques.

 Alors, dans un effort surhumain qui lui avait coûté toute son énergie, il avait attrapé les comprimés du bout de sa langue et il les avait avalé.  Un par un.  Tous.  Tous les treize.

Treize barbituriques.

Joli voyage vers la mort.

 Ray avait fermé les yeux.

Il se sentit soudain très fatigué.

 Tout allait déjà beaucoup mieux.

Le sommeil l’engourdissait.

 Tout était fini.

Pour de bon.

 La radio jouait toujours aussi fort, l’animateur lança “Only the Good die young”, Ray faillit sourire, mais il en fut incapable - trop fatigué - et puis, il sombra dans une espèce de coma bienfaisant.

 Du plafond lambrissé abandonné du regard bleu profond de l’homme, une mouche aventureuse se laissa virevolter dans l’espace de la chambre.  Elle contourna Ray, pour se poser sur sa main inerte et venir y respirer les premiers effluves annonciateurs d’une mort imminente.

 Soudain, Ray sourcilla, il lui avait semblé sentir quelque chose, un chatouillement sur le dos de la main, une sensation presqu'oubliée, un muscle de son bras avait tressauté intérieurement mais rien n'avait décidé l'insecte à s'envoler. Inconscient, ou presque, l'homme préféra ne pas rouvrir les yeux il était inutile d'essayer de chasser la mouche, il savait très bien qu’il n’y a pas de miracle et qu’il était déjà trop tard !

 Embourbé dans les méandres d'un esprit englouti et embué, il songea encore au diagnostique ferme et définitif des spécialistes, il ne pouvait s'agir que d'une impression, un dernier sursaut, un faux espoir. Alors il se laissa emporter, mais avant de définitivement s'enfouir dans les bras accueillants d'une mort ô combien douce, dans un ultime geste, presque majestueux, la main de l'homme se souleva - pour de vrai - pareille à un gracieux tremplin vers l'au-delà et la mouche disparut.

 93 minutes plus tard sous les facettes à kaléidoscope de la mouche, Ray s'éteignit, son cœur cessa de battre. Définitivement.

  

FIN

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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 572

Coup de cœur : 8 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : obsidienne

Hé, ce n'est pas toi Ray ? Un accident idiot, une mort idiote, mais un texte sacrément bien mené. J'ai adoré

pseudo : VIVAL33

Le titre nous l'indique: Pas de miracle... jusqu'au bout... (pourtant, j'y ai cru). Très bien écrit (comme d'habitude)!