« Mon cher Moi, je ne te salue pas ! Non pas que la politesse m’ait été ôtée subitement, ce n’est d’ailleurs que par elle-même que je vais t’expliquer ce non-geste.
Moi, tu me fais pitié ! Je te pensais fort comme le roc, il faut croire que je me suis trompé. Il n’y a sous mes yeux qu’un déchet puant qui se morfond dans ses excréments, une moitié d’être que même les rats refuseraient d’approcher tant l’odeur leur retrousserait les narines. Si tu avais un tant soit peu d’estime de toi, tu te regarderais droit dans les yeux et avouerait que tu n’es réellement plus rien, plus rien sans elle ! Mais non, tu es encore ce tas de chair purulent et vicieux, un zombie qui a demandé à l’être, sans doute la pire immondice que tu aies créée de toutes les vies que tu as rencontrées. Les femmes te prennent dans leurs bras d’épines et tu voudrais t’y pelotonner, quand bien même elles détruiraient ta chair et ton esprit. D’ailleurs, si tu croyais au Diable, tu lui aurais déjà sûrement vendu ton âme en échange de quelque baiser.
Mais sais-tu, Moi, je ne suis pas venu pour te sortir de là. En réalité, je voulais rencontrer le Moi dont tout le monde parle tant. On disait de lui qu’il allumait le feu avec une plume, que c’était un guerrier sans pitié mais que son amour n’avait pas de limites. C’était un dragon, fier et droit, fidèle à ceux qui l’honoraient en leur cœur, dévoué à l’amour et ignorant de lui-même. On raconte qu’il a sauvé des vies, plusieurs fois ! Il a même offert de se sacrifier pour l’honneur de ses amis. La légende raconte qu’après être mort trois fois, ce sont ces mêmes amis qui l’ont ramené à la vie. Mais surtout, il possédait cette force de l’âme, presque surnaturelle, une puissance telle qu’il semblait inébranlable, invulnérable ! Il était cet homme, ce héros, ce démon invincible, sans peur ni faiblesse !
Te rends-tu seulement compte qu’il ait pu exister un tel être ? Je sais que quelque part dans ta mémoire pourrissante, tu l’as déjà croisé. Et quand j’ai enfin l’occasion de le rencontrer, il faut que je tombe sur un débris qu’il suffirait de bousculer pour le mettre au tapis. Moi, tu me déçois profondément ! Être arrivé à cet état de déchéance, c’est un exploit, tu es sans doute l’une des plus grandes tares du monde ! On se souviendra de toi au moins pour ça, l’autre restera une légende que les parents raconteront à leurs enfants. Et à la fin, ils diront : « Mais si tu n’es pas sage, tu deviendras comme ça. » La mère pointera un doigt tremblant vers la pénombre, tandis que le père fixera son fils d’un regard sévère. Alors l’enfant s’avancera, il regardera dans le noir et il te verra, comme le monstre au fond du puits, comme un animal crevé sur la route, une horreur dont personne ne veut et qui fait peur ! Peur, tu entends ! Tu fais peur à voir, peur à sentir, et si je pouvais t’entendre, je me boucherais les oreilles avec des clous pour ne pas avoir à supporter tes gémissements de marcassin qu’on égorge ! Moi ! Tu me fais pitié ! »

Je me suis levé. J’ai dit : « Je ne peux pas te voir, ni te sentir, mais c’est parce que j’ai pu t’entendre que je me suis réveillé. » J’ai posé ma main sur son épaule, et avec mes yeux d’aveugle, je l’ai regardé. C’était lui la légende. Une légende qui me ressemblait beaucoup quand j’étais jeune. Il était temps pour Moi de faire mieux et de lui montrer que ce démon invincible vivait toujours, de Moi à moi.