J'ai déjà un peu écrit sur le hurlement, mais à présent, je souhaite vous offrir une définition plus poussée de ce cri dans les mots.
Le cri est humain. Les animaux ne crient pas, ils aboient, miaulent, bêlent mais ne crient pas. Tous les sentiments peuvent être exprimés dans le cri, et par tous les moyens. Mais que ce soit à l'écrit, en images ou à l'oral, sa particularité reste la même : il est d'une violence extrême. Précisons maintenant le hurlement.
Le hurlement ne peut exprimer un sentiment positif. On ne hurle pas sa joie, ni sa jouissance, encore moins son amour. La difficulté même de prononciation de ce mot le rend mauvais. Le hurlement se crie pour la honte, la tristesse, la douleur.
Tout le monde a déjà crié, tout le monde a déjà hurlé, et au moment où vous avez lu ces mots, vous n'avez pu empêcher quelque douloureux souvenir de remonter à la surface. Une injustice, une erreur, peut-être même une trahison, une perte de tout façon. Il est là. Vous le sentez, il brûle tout au fond de votre ventre, et comme vous vous souvenez petit à petit, il grandit. Vous savez que si vous vous y abandonniez, vous détruiriez tout autour de vous. Vous ne pouvez pas croire qu'il y ait en vous tant de mal, tant de force dans cette violence, ça n'est pas vous, et pourtant si. Impossible de garder cela, ça ne peut vous appartenir ! Alors vos yeux se ferment, vos larmes coulent, ou pas encore, et vous hurlez. Vous hurlez tout ce mal hors de vous, il faut qu'il sorte, qu'il parte et ne revienne jamais, plus jamais vous ne vouliez revivre ça et pourtant c'est bien là, en vous, à vous ronger les intestins. Vous hurlez ! Jusqu'à épuisement, votre bouche se tord, votre voix résonne contre les murs, dans le ciel, les oiseaux s'envolent et vous laissent, seul. Cela ne semble pas avoir de fin, la douleur ne finira-t-elle jamais ? Hurlerez-vous ainsi encore longtemps, à compter les secondes comme des heures, les minutes comme des années ? Et voici que tout s'arrête. Vous êtes vidé, tellement vidé, éreinté. Haletant, vous êtes à genoux, allongés sur le côté, recroquevillés sur vous-même, mais vous êtes en paix.
Ce cri, vous l'avez entendu lorsqu'il est sorti. Bestial, affreux, rendu presque inhumain par tant de mal, un gargouillis incompréhensible de haine et de violence, de tristesse et de solitude. Certains ne savent pas hurler ainsi, ou se l'interdisent. Mais ils ont ce même besoin de l'évacuer, le garder serait se pousser soi-même au suicide. Alors ils se libèrent autrement. Le peintre attrape son pinceau et jette les couleurs et la suie sur la toile, le musicien pince ses cordes et souffle en silence, et puis il y a l'écrivain.
Un stylo, un crayon, et du papier, beaucoup de papier. Il pourrait écrire toute la nuit tant la douleur est grande, tant les mots sont nombreux. Il les choisit avec soin, dans leurs paroxysmes, plus l'écrit se vit, plus l'écrivain vit. Une page, deux pages, dix pages, voilà qu'il ne hurle plus seul. D'autres ont lu ses souffrances, d'autres ne veulent pas s'entendre. L'écrivain écrit d'autres peines, d'autres haines, toutes différentes et en même temps dans la même violence pour qu'enfin, le mal sorte.
Je souhaite vous offrir un hurlement. Bien qu'à mon sens, un texte si violent ne soit pas un cadeau, mais jugez par vous-même, je me trompe souvent à mon sujet. Pour des raisons personnelles, je ne publierai pas encore mon propre hurlement. Aussi, celui-ci appartient à une personne chère à mon coeur, je le publie avec son autorisation.
À toi qui ne me vois pas, j’écris toute ma peine. Toute cette haine de moi, je te la dois. Alors je te la rends. Je maudis le jour où je t’ai vu et bénis celui où tu ne seras plus. Va-t-en, pars, cours, fuis ! Fuis comme si j’étais la peste, une horreur, un vice, celui de t’avoir choisi. Je suis un tonneau de métal, un tonneau de méthane, et je déverse sur toi le mal que je vois. Je vois une femme, un cadavre que tu laisserais pourrir s’il pouvait sentir l’orge et le porc. Je vois un homme, une moitié de rien qui voudrait passer pour quelqu’un de bien. Je ris. Mon amour, tu es risible, même les morts se rient de toi. Je prie pour que leurs tombes s’ouvrent et qu’ils t’ensevelissent, comme tu m’as ensevelie. Tu cries quand je pleure, tu ris quand je meurs, je ne vis plus, j’ai peur.
À toi qui ne me vois pas, je dédie ce froid. Que l’été vienne et t’emmène, tant que c’est loin, je serai déjà en automne. Ne m’oublie pas, ne m’écris pas, mais envie-moi. Tu n’es que toi et cela suffit à te laisser là. J’étais en proie aux flammes et tu t’es retourné, j’ai calciné mon âme pour t’avoir, tu n’as su que hausser la voix. Crève, être froid, et surtout, meurs loin de moi ! Car plus je te vois et plus je suis toi. Mieux vaut être seule au creux de mes bras que seule dans le gouffre des tiens ! Mieux vaut finir aux chiens que dévorée par tes liens !
À toi qui ne me vois pas, tu as raté ta vie, tu as raté ton heure. Je ne suis plus ici, c’est tout à mon honneur, c’est tout à ton horreur, la fin de la mienne. Ce n’est pas une femme qu’il te faut, c’est une chienne, pour ronger tes os crasseux. Tu l’écraseras comme tu m’as écrasée, elle te mordra comme moi. Et quand ta chair n’en pourra plus de pendre, quand même ta boue ne te suffira plus, quand tu ramperas de tout ton gras, je sera là. Je contemplerai mon passé et te laisserai au tien, puisque tu sembles tant l’aimer.
À toi qui ne me verras plus, il n’y a que ton absence qui ne m’ait vraiment plu.
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Style : Réflexion | Par ifrit | Voir tous ses textes | Visite : 634
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Commentaires :
pseudo : Lulu
Je suis très touchée par tes mots Ifrit. On porte tous un cri, un hurlement. Heureusement qu'on a les mots pour le dire.
pseudo : Vanelle
Trash. Sanglant. Ennivrant. Beau. Puissant. Tripant. Triste. Désespéré. Libre...
pseudo : Jojo
Je trouve qu'il y tant de haine dans se texte, mais sa reste superbement écris. Tu es un artiste avec les mots.
pseudo : cha
waouuu exellent! je te decouvre de plus en plus, belle sensibilité, j'adore le dernier paragraphe des fois c'est à se demander si tu n'es pas dans ma tete! Comme toujours un vrai régal
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