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Les enfants du Loup par Anne Mordred

Les enfants du Loup

Méditation (24 Novembre 1989)

De l’Influence de la Dévotion sur

les Légendes Germaniques.

 

Pour leurs péchés, Dieu leur avait envoyé des jumeaux!

Et ce qui, d’ordinaire, dans une famille chrétienne, est une grâce, devint pour le Baron et la Baronne Von Äsgurd, le chemin du calvaire où ils s’engagèrent sur les bienheureux pas du Supplicié.

Le Père Nidhogg, leur chapelain et directeur de conscience, baptisa les enfants dans la plus grande intimité, gage de la ferveur dans laquelle on se doit d’administrer les saints sacrements, surtout dans les familles de l’aristocratie, qui ont reçu de Dieu le privilège de guider, par l’exemple de leur piété et de leur simplicité, la faiblesse du bas peuple.

Les proches des deux époux furent invitées à la cérémonie. Et le repas qui suivit ne comporta que cinq rôts. On ne fit tuer que trois cochons, car on était à la veille du Carême. Sur l’injonction du chapelain, seul le boudin fut distribué aux pauvres.

“Les plus nécessiteux d’entre eux pourraient, poussés par le besoin, avoir l’inconscience de conserver le lard plusieurs jours et tomber ainsi dans le pêché, en rompant le jeûne dès le Mercredi des Cendres.”

Pour ne pas les induire en tentation, on nourrit les chiens avec les restes du banquet.

Les parents avaient prénommé l’héritier Freiy, comme son père, et la fille Gerd.

Le prêtre borné et sectaire, qui méprisait toutes les légendes au point de ne même pas connaître la mythologie grecque, n’y vit aucun inconvénient...

Ce fut une belle cérémonie, émouvante et exemplaire par la piété des participants. L’accouchée, dont les relevailles étaient toutes récentes, fut très exceptionnellement admise par ses médecins, à quitter la chambre pour l’occasion. Elle fit l’admiration des vieilles les plus pieuses par l’expression extatique de son visage et la ferveur de ses prières. On dut l’arracher à son prie-dieu pour la conduire dans la salle du banquet. A la fin du repas, auquel elle n’avait goûté que du bout des lèvres, elle s’évanouit d’émotion lorsqu’on porta un toast à la fécondité de son union avec le Baron, que Dieu ne manquerait pas de combler de nombreuses fois encore.

 

 

*

 

Les jumeaux grandirent en sagesse et en âge. Ils étaient inséparables, comme il se doit.

Leur père qui fréquentait les cercles aristocratiques, l’hiver, quand il séjournait à la ville sans son épouse, y avait fait la connaissance d’une jeune veuve fort dévote.

Il réussit à convaincre cette dame qui possédait toutes les garanties de moralité souhaitées, de prendre en main l’âme et l’éducation des enfants qui avaient besoin le plus tôt possible d’un magistère féminin capable de leur enseigner les voies de Dieu. Leur mère, en effet, sainte femme absorbée par ses exercices de piété quotidienne, n’avait pas manifesté le souci de s’occuper de former leurs jeunes esprits. Elle prétendait se consacrer, exclusivement, aux prières qui, disait-elle, étaient indispensables pour écarter de ses enfants les embûches que le Démon ne manquerait pas de dresser sur leur route. Elle semblait tout entière à la crainte d’avoir procréé, dans un instant de faiblesse, de nouveaux pécheurs pour ce monde. C’est à peine, à présent, si elle quittait son oratoire. Elle touchait le moins possible à ses repas. La nuit, elle s’enfermait pour prier encore.

La gouvernante, dont l’union avec un vieillard malade était restée stérile, s’occupa des enfants comme s’ils avaient été les siens. Dans le voisinage, on admira son zèle et son dévouement pour le Baron Von Äsgurd. La piété des deux enfants, sous la direction d’une personne aussi pénétrée du respect de la religion, ressemblaient en tous points à celle de deux anges blonds quand on les voyait agenouillés dans la chapelle de chaque côté de l’autel.

Si profond semblait l’air de pureté qui se dégageait de ces petits êtres, pourtant si jeunes, qu’un peintre de passage, appelé au château pour des travaux de réfection sur les fresques de la grande salle, fut ébloui de leur beauté et demanda l’autorisation d’en faire le portrait. Malgré la réticence de leur mère qui ne voyait dans les arts que des divertissements sataniques et futiles, le Baron céda. L’artiste représenta les jumeaux, enlacés dans la prière, le front tourné vers un ciel où le Christ en gloire les appelait en souriant. La Baronne rassurée par le sujet du tableau, accepta même qu’il fût accroché dans son oratoire.

Les deux jumeaux comblèrent ainsi tous les membres de la maisonnée par leur présence bienfaisante.

 

 

 

*

 

 

 

 

Vers l’âge de dix ans, on jugea plus convenable de faire donner une éducation séparée aux deux enfants.

Afin de pourvoir à celle de son fils, le Baron, sur la recommandation du chapelain, fit venir de France un jeune abbé, dont on lui avait vanté les mérites et l’habileté. On envoya Gerd au couvent. Elle ne devait en sortir qu’à la veille de son mariage, comme il se devait pour sa bonne réputation.

Séparés, les deux enfants s’étiolèrent.

Freiy se réfugia dans l’étude et les exercices physiques, devenant aussi habile dans la pratique des humanités que dans celle de la chasse. Une certaine force physique n’excluait pas, chez lui, un tempérament tendre et douloureux qui l’incitait trop souvent à la rêverie, au grand désespoir de son père, qui caressait le projet de lui faire confier une charge dans l’armée. Quant à sa piété, elle se nourrit très rapidement aux sources d’un mysticisme exacerbé, encouragé par l’exemple de sa mère. Ses pratiques pieuses répétées ne manquaient pas d’inquiéter son directeur de conscience lui-même, par les formes fiévreuses qu’elles pouvaient prendre.

Le frère et la soeur ne communiquaient plus que par courrier. Et les lettres enflammées de la soeur, en proie, elle aussi, à l’ardeur religieuse la plus passionnée, ne faisaient qu’aviver chez le frère ses tendances à l’exaltation.

Au couvent, bien entendu, on encourageait la jeune fille à conduire l’âme sur laquelle elle semblait avoir un tel ascendant dans la voie de la perfection. Combien d’hommes avait-on vu se détacher de la religion, faute d’une main féminine habile à les diriger! La Supérieure, à qui le Baron Von Äsgurd s’était ouvert de ses craintes, avait rassuré leur père: le jour où il aurait la responsabilité d’une épouse dévouée, son fils retrouverait, à n’en point douter, toutes les qualités viriles que l’abbé ne manquait pas de lui inculquer. D’ici là, ne valait-il pas mieux qu’il fût sous l’influence d’une pieuse personne comme sa soeur plutôt que de subir l’attrait des gourgandines, comme le font si souvent les jeunes gens de son âge?

Or leur ancienne gouvernante avait accepté de rester au château après la séparation des enfants, pour aider le Baron à la conduite du ménage dont la Baronne ne pouvait assumer la charge en raison du peu de disponibilité que lui laissaient ses exercices spirituels. Elle voyait d’un oeil de plus en plus chagrin l’intimité se développer entre le frère et la sœur. Et la brave femme ne semblait pas se rassurer à si bon compte. Déjà, du temps où elle en avait la charge, elle avait remarqué le caractère absolu de leur affection, et à la suite de l’épisode du portrait, s’était alarmée du rapprochement passionné que cette expérience avait occasionné chez les deux enfants. La nourrice avait alors usé de toute son influence auprès de leur père pour que la petite fille fût envoyée au couvent, le plus tôt possible.

Mais le remède avait, semblait-il, empiré le mal. Les deux enfants, incapables de vivre l’un sans l’autre, s’étaient réfugiés dans leur commune pratique de l’exaltation mystique. En ce Christ affable et doux qui les invitait à Le suivre, ils avaient trouvé la Voie où ils cheminaient toujours ensemble, inséparables.

 

 

 

*

 

 

 

 

Il n’y avait jamais eu, entre la gouvernante et la Baronne Von Äsgurd, que des rapports très éloignés.

Cette dernière n’était pas sans savoir que la jeune veuve avait, par charité, accepté de la délivrer des assiduités conjugales du Baron. Soucieuse avant tout de son salut personnel, elle avait fermé les yeux sur une complaisance qui la rendait entièrement à Dieu, mais de nature passionnée, elle ne pouvait, hélas, s’empêcher parfois de certains mouvements d’une jalousie terrestre qui menaçaient son repos. Par conséquent, elle préférait d’ordinaire éviter sa rivale. Celle-ci, de son côté, respectait la pudeur de sa maîtresse et ne cherchait jamais à la rencontrer.

La Baronne fut donc un peu choquée lorsque la gouvernante lui demanda une entrevue, pour s’ouvrir à elle des doutes qui la tenaillaient sur les affinités des deux enfants. Elle accepta néanmoins de la recevoir et l’écouta longuement, puis gravement, tenta d'expliquer à sa domestique comment son esprit dominé par le péché voyait dans l’amitié la plus innocente, la marque du Démon.

L’autre se retira mortifiée mais certaine cependant devant cet accès de morgue inaccoutumé chez la Baronne, d’avoir été entendue.

Ces accusations, où l’on pouvait déceler les ambiguïtés chez une subalterne qui se posait de plus en plus en marâtre avec le père des enfants, auraient dû éveiller la méfiance de la Baronne. Mais elles ne répondaient que trop parfaitement aux inquiétudes qui tenaillaient sa conscience chrétienne depuis que son mari avait imposé à sa chair ses brutalités masculines. Elle crut prudent de s’en ouvrir à son directeur qui, déjà alerté par les allusions de son autre pénitente, lui conseilla de ne pas négliger ce souci et de trouver un bon époux pour la jeune fille dans les meilleurs délais.

Elle ordonna donc que l’on brûlât au fond du jardin la toile qui ornait son oratoire. Puis, sortant de sa retraite habituelle, elle accompagna le Baron chez un de leur voisin. Veuf depuis quelques années, il cherchait à se remarier.

L’homme était juste et bon, et de surcroît fort riche. Il se souvenait de la beauté de l’enfant qu’il avait admirée autrefois. Il accepta avec enthousiasme. L’affaire fut entendue.

Soucieux d’éviter aux jumeaux le déchirement de se revoir pour se trouver séparés de nouveau, le Baron et la Baronne Von Äsgurd, avaient mené dans le plus grand secret les négociations matrimoniales. Ils décidèrent de doter leur fils d’une somme rondelette et de lui permettre de voyager à travers les pays voisins, pendant quelques mois. Pour plus de précautions, son précepteur devait l’accompagner. Sitôt dit, sitôt fait. Il partit quelques jours plus tard, non sans avoir pris garde d’avertir sa soeur de ses projets et lui avoir donné l’assurance de lui faire parvenir, à chaque étape, une adresse où elle pourrait lui écrire. Ce qu’il fit avec une régularité admirable.

Les parents, ignorants du complot qui s’était tramé derrière leur dos, le plus naturellement du monde, se sentirent délivrés d’un grand poids. Au retour de Freiy, Gerd serait en puissance d’époux, inaccessible à l’expression des sentiments troubles que les yeux soupçonneux croyaient avoir décelés dans leur affection.

 

 

 

*

 

 

 

Ce qu’il y a de distrayant dans les efforts des esprits chagrins pour traquer les interprétations malveillantes dans les intentions les plus pures, c’est la certitude des désastres où conduisent invariablement les précautions inutiles. Les auteurs de comédies ont longuement glosé sur le sujet. Ils n’ont pourtant pas réussi à extirper du coeur des hommes la démesure où les entraîne la peur des sens.

Le mariage fut annoncé dans toute la région. Mais l’on tint, comme il se devait, Gerd dans l’ignorance la plus complète, jusqu’au moment où son père alla la chercher au couvent quelques jours avant la cérémonie. La jeune fille curieuse de la vie comme toutes les enfants de son âge, se réjouit de l’événement quand ses parents le lui annoncèrent. Elle se souvenait de celui qui devait devenir son mari comme d’un bel homme à la figure honnête et ouverte et se montra toute disposée à accorder amour et confiance à son époux comme le lui avaient enseigné les soeurs. Il fut admit à lui présenter ses hommages, et elle accepta sa cour de fort bonne grâce.

Elle s’était naturellement étonnée de ne pas voir son frère en arrivant au château de ses parents. On lui avait dit qu’il voyageait dans des contrées trop lointaines pour avoir été déjà prévenu d’une demande qui était survenue d’une façon imprévisible. Elle avait donc écrit à Freiy, dès le premier soir, pour lui annoncer la nouvelle et lui demander de revenir, toutes affaires cessantes assister à son mariage.

Ignorante des pièges de la méchanceté du Monde, elle avait confié la lettre à une servante. Celle-ci l’avait remise à la gouvernante, laquelle la brûla sans même avertir les parents de cette censure. De la même façon, elle se fit remettre, sous prétexte de décence, les lettres qui arrivèrent au nom de la jeune fille avant de les lui communiquer, et détruisit celles où elle reconnut l’écriture de Freiy.

Le promis remarqua bien que Gerd s’assombrissait chaque jour davantage. Craignant de lui déplaire, il la questionna franchement. Elle se jeta à son cou, en lui assurant qu’il n’y était pour rien et lui confia la peine qu’elle éprouvait d’être sans nouvelles de son frère depuis sa sortie du couvent. Non seulement elle s’étonnait qu’il n’annonce pas son retour pour un événement aussi important mais, comme ce n’était pas dans ses habitudes de rester si longtemps sans lui écrire, elle se mourrait d’inquiétudes à son sujet, craignant qu’il ne lui soit arrivé malheur.

Son fiancé, la voyant dans une telle détresse, promit de s’en ouvrir au Baron pour savoir la vérité. Ce qu’il fit. On lui assura que le jeune homme, sauf retard inopiné, serait au château d’un jour à l’autre.

La veille de la cérémonie, Gerd, désespérant de voir arriver son frère, fut prise d’affreux malaises. Elle garda le lit. Sa mère affolée s’enferma dans sa chambre pour prier le ciel de secourir l’âme de ses deux enfants. Peine perdue. La jeune fille, le jour des noces, était si faible qu’on dut la porter jusqu’à l’autel. Là, elle s’évanouit et tomba sans connaissance aux pieds de celui qui n’avait même pas eu le temps de devenir son époux.

Pour ne pas remettre la cérémonie qui avait attiré tant de monde au château et occasionné tant de dépenses, le Baron, qui avait conduit sa fille jusqu’à l’autel, prononça à sa place les paroles sacramentelles. Le chapelain déclara les deux époux mari et femme. Et les réjouissances purent commencer, à peine assombries par l’absence de la mariée. Après l’incident du matin à l’église, chacun ne voulait penser qu’au soulagement de savoir Gerd enfin dotée du protecteur naturel qu’en Sa grande bonté Notre Seigneur lui avait donné en ce jour.

Elle partit dès le lendemain, accompagnée de son mari, couchée dans une litière, rejoindre le toit conjugal qui n’était qu’à quelques lieues de là. Naturellement le mariage n’avait pas été consommé. Son époux, qui se montra particulièrement délicat, lui assura qu’il saurait attendre son rétablissement avant de lui imposer sa présence dans son lit.

Mais, privée à présent, totalement, de son frère, la jeune fille, loin de se remettre, dépérissait. Au château de ses parents, les nouvelles n’étaient pas meilleures. Freiy interprétant le soudain silence de sa soeur comme une trahison, devenait de jour en jour davantage, sujet à la mélancolie. Enfin, une lettre de son précepteur annonça que son élève avait contracté, à force de veilles et de privations, une mauvaise fièvre. Mais dans le même temps, elle rassurait ses parents: le jeune homme se trouvait, à présent, en de bonnes et pieuses mains. Une famille fort riche et compatissante avait été émue par ses malheurs. Ces gens le soignaient comme leur fils, tant et si bien que l’abbé pouvait déjà prévoir une guérison prochaine.

Or, il se trouva que les hôtes du jeune homme avaient une fille en âge d’être mariée et que de tendres complicités s’établirent entre les deux jeunes gens. Les deux pères s’écrivirent alors pour envisager l’union de leurs enfants. Renseignements pris de part et d’autre, il se trouva que les fortunes concordaient assez bien. Le mariage fut décidé.

On n’avertit Gerd qu’une fois la cérémonie terminée, quand les nouveaux époux annoncèrent leur arrivée au château ancestral. Elle passa par un accès de fièvre si ardent qu’on crut la perdre. Puis comme si la chaleur du corps avait purifié l’âme, elle se sentit moins faible tout à coup. Et, en quelques jours, elle qui s’était tant amaigrie au point d'avoir presque perdu sa beauté, toute à la joie désormais de revoir prochainement son frère, retrouva son corps d’ange et son teint florissant.

De même, Freiy après avoir quitté la demeure de ses beaux-parents encore affaibli par les fièvres, reprenait vigueur et forces au fur et à mesure qu’il approchait de la frontière balte. Il ne parlait que des retrouvailles avec sa soeur, dont il venait d’apprendre le mariage, vantant à son épouse les mérites qu’elle pouvait attendre elle aussi de l’amitié d’une âme aussi délicate.

Sa jeune femme, vive et passionnée comme celles du Sud, ne l’entendait pas de cette oreille. Ayant de prime abord, repérée la rivale en la personne de sa belle-sœur, elle comptait bien écarter, par tous les moyens, son mari des trop pernicieuses joies qu’il attendait du voisinage de sa sœur. Elle se promit au contraire chaque fois qu’elle le pourrait d'éviter de la fréquenter.

Quelques insinuations de la gouvernante la confortèrent, dès son arrivée au château, dans ses craintes les plus secrètes. Mais, elle se garda bien de mettre un obstacle immédiat aux retrouvailles des jumeaux, comprenant que son emprise sur l’esprit de son mari n’était pas encore assez forte pour exiger de lui un sacrifice aussi exorbitant. Ce fut là son erreur.

On donna un grand banquet dans le but de fêter les retrouvailles malgré les réticences du père Nidhogg. On fit confectionner pour l'occasion les costumes les plus riches et les plus seyants de par et d'autre dans les deux familles. Le frère et la soeur qui ne s’étaient pas vus depuis l’enfance ne savaient pas qu’ils étaient beaux et désirables. Ils s’embrassèrent, un peu gênés de leur découverte.

A la fin du repas, ils étaient tombés follement amoureux l’un de l’autre.

Quand la somnolence éteignit l'attention des cerveaux embrumés par la bière, les deux enfants, rayonnant de retrouvailles, s'éloignèrent de la salle de banquet. On aperçut la coiffe de Gerd s'engageant entre les hautes haies du labyrinthe où les jumeaux jouaient quand ils étaient enfants.

Puis personne ne se soucia plus d'eux. Et la nuit recouvrit le jardin de son voile indulgent.

 

 

 

*

 

 

 

Le lendemain, le mari de Gerd trouva une lettre sur la coiffeuse de sa femme.

“Je ne pourrai jamais être l’épouse aimante que vous méritez. J’ai sincèrement essayé de le devenir. Pardonnez-moi de vous faire le mal de ne pas y être parvenu.

Vous réussirez sans mal à faire annuler notre mariage. Nous n’avons jusqu’ici vécu, vous et moi que dans l’état de pureté. Je l'atteste. Trouvez une bonne et honnête femme qui vous comblera.

Je pars expier mes pêchés qui sont immenses.

Laissez-moi à la paix du couvent. Ne cherchez pas à me revoir.”

 

 

*

 

 

 

Quelques temps après, un enfant naquit. La supérieure du couvent, selon le vœu de la mère fit demander à Freiy de se rendre à la chapelle du couvent le tenir sur les fonds baptismaux. Le lendemain, il se présentait à la porte du couvent accompagné de ses parents.

L'enfant ressemblait tellement à son parrain que la soeur tourière se signa en le voyant arriver, puis réalisant que la ressemblance qui la frappait lui venait de famille, elle s’accusa d’avoir eu de bien coupables pensées...

Gerd avait demandé qu’on lui donnât le prénom de Siegfried.

Après la cérémonie, elle accepta d’avoir un court entretien avec Freiy. Ils sortirent du parloir, transfigurés, les mains pressées dans un tendre enlacement, comme autrefois sur la toile qui avait longtemps orné l’oratoire de leur mère. La Baronne, reconnaissant le sortilège, fondit en larmes et se précipita à genoux pour demander le pardon de Dieu. Gerd se pencha vers elle, la releva et l’embrassant au front, elle lui dit:

“Pourquoi pleurer?

Vous voyez bien que Notre Seigneur ne pouvait nous combler davantage...”

Puis elle demanda au Baron de la bénir et abaissa définitivement son voile sur son visage.

Les siens ne la revirent jamais. Elle n’accepta plus leurs visites. Mais jusqu’au moment où Dieu eut enfin pitié de sa servante et la rappela à Lui, chaque semaine, elle répondit à la longue lettre que lui envoyait son frère.

Celui-ci, fidèle à la promesse qu’il lui avait faite, éleva leur fils, au mépris de la réprobation générale. Son seul réconfort, pendant les longues années qui le séparèrent de la mort, fut de trouver dans les longues épithalames qui lui parvenaient du couvent, la preuve tangible de la grâce de Dieu.

Anne Mordred 1989/1993. (Texte écrit en dédicace à un jumeau)

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Coup de cœur : 10 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : clo

j'ai passer un beau moment a lire ton texte ...! long.. mais bien écrit

pseudo : obsidienne

quel délicieux moment de lecture. Merci, merci, merci

pseudo : Anne Mordred

C'est moi qui vous remercie d'être si assidues à me suivre, chère lectrices.