Des petits croissants blancs étaient apparus sous les ongles courts de ses doigts rivés sur le volant de la Ford tant il serrait fort son étreinte, son pied droit pesait des tonnes sur l’accélérateur qu’il écrasait inexorablement, le moteur hurlait en gémissant, Nick roulait à tombeau ouvert, fonçant droit devant lui sans se préoccuper de ce qui pouvait bien arriver.
Nick Green n’était pas subitement devenu fou, mais plus rien au monde ne comptait pour lui.
Juste rentrer chez lui et retrouver Sam.
Il évita de justesse un camion prenant la priorité et engagea sa voiture sur la 16ème avenue.
Là-bas, tout au fond de l’avenue, leur villa.
La villa où résidait la famille Green.
La Ford tangua dangereusement en passant une berne de ralentissement, Nick tira sur le frein à main, débraya et fit déraper la voiture jusque sur l’allée de gravillons rouges qui s'éparpillèrent dans un nuage opaque, la voiture stoppa net devant la villa.
- Papa est déjà là ! s’époumona Joey en apercevant son père arriver en trombe. L’enfant se mit à courir à sa rencontre.
- Déjà ? Samantha, occupée dans la cuisine, se pencha à la fenêtre pour vérifier.
Dans son parc, la petite Sheyla bredouillait en mâchonnant un petit sujet de caoutchouc.
- Nick ? Sam avait fait un pas en direction de la porte restée ouverte, mais elle n’eut pas le temps de poursuivre, déjà Nick était entré en furie et sans qu’elle comprenne quoique ce soit, il l’avait bousculée violemment.
N'y comprenant rien, elle l’avait suivit du regard tandis qu’il avait gravi les marches de l’escalier menant à leur chambre à coucher.
Jamais elle ne l’avait vu dans un état pareil. Apeuré, Joey s’était blotti tout contre elle, elle l’entraîna jusqu’au bas de l’escalier et appela Nick.
- Nick ? Nick, qu’est-ce qui se passe ? que s’est-il passé à l’Hôpital ? Nick ? Des mauvaises nouvelles ?
Nick ne répondit pas, il tira tout simplement sur le tiroir du bas de la commode, le souleva et le renversa sur le lit défait.
Sous le linge frais, il découvrit enfin le Glock 17 qu’il cherchait.
- Nick ? Samantha, qui portait Joey dans les bras, gravit les deux premières marches, le cou tendu vers le perron.
L’homme vérifia le chargeur plein qu’il replaça d’un geste brusque.
- Nick ?
- Nick, qu’est-ce que tu fais ? Joey pleurait en se camouflant le visage dans les longs cheveux de sa mère.
Nick posa le doigt sur la gâchette…
...
Une semaine plus tôt.
Nick Green était un homme très calme, intelligent et réfléchi qui vivait avec sa femme, Samantha et leurs deux enfants: Joey, quatre ans et Sheyla, 6 mois, dans une somptueuse villa qu’ils avaient fait bâtir tout au fond de l’impasse du quartier résidentiel de la 16eme avenue.
Les Green formaient une famille unie, une famille respectable, une famille modèle.
Nick et Samantha étaient heureux, lui occupait un poste important au sein d'une puissante multinationale et elle était femme au foyer le temps d'élever leurs enfants.
La semaine précédente, Nick avait fêté ses trente ans.
Trente ans, la fleur de l’âge !
- Green ? demanda la voix obscure dans le haut-parleur du téléphone.
- Lui-même ! Nick avait nonchalamment posé ses pieds joints sur le coin de son bureau.
- Bright à l’appareil, du dispensaire.
- Mes respects Docteur. Nick avait rencontré Bright lors de son entrée en service.
- Pourriez-vous vous libérer demain à 9h00, pour la visite médicale ?
- La visite médicale ?
- Vous avez bien trente ans, n’est-ce pas ?
- Depuis peu, en effet.
- A partir de trente ans, tous les employés de la boîte se voient contraints de passer une visite médicale, cela fait partie des conventions de travail ! récita Bright d’un ton solennel.
- C’est d’accord Docteur, pas de problème !
- Soyez à jeun, une prise de sang et une analyse des urines sont entre-autres indispensables ! ajouta Bright.
- C’est entendu Docteur. A demain.
Nick raccrocha et il n’y pensa plus.
Une visite médicale.
Une stupide visite médicale pour que tout un univers merveilleux bascule vers l’enfer impitoyable.
- Le Docteur Bright va vous recevoir Monsieur Green, prenez place et veuillez patienter quelques minutes, il vient juste d’arriver.
- Merci. Nick s’assit dans le cuir froid d’un divan profond et s’amusa à reluquer les jambes croisées de la secrétaire de Bright. Une paire de jambes interminables …
...
- Allo ? oui, certainement Docteur. La fille appela Nick et lui indiqua d’entrer dans le cabinet de consultation.
- Bonjour Docteur.
- ’Jour Monsieur Green. Prenez place. Bright lui indiqua une chaise en face de son bureau.
- Pas de problème de santé ?
- Non.
- Je vois ici que vous ne comptabilisez que trois jours d’absence en 7 ans, toutes mes félicitations !
- Merci.
- Vous faites du sport ?
- Non, pas vraiment.
- Vous fumez ?
- J’ai arrêté.
- Parfait, un bon point en plus ! Bright lui adressa un sourire complice que ses doigts jaunis par le tabac trahissaient.
- Vous êtes heureux en famille ?
- Oui, tout à fait.
- Oui, Bright épluchait rapidement le dossier qu’il tenait devant lui, deux enfants, une petite fille, Sheyla ? l’accouchement s’est bien passé ?
- Pas de problème !
- Vous y avez assisté ?
- Oui, bien entendu.
- Impressionné ?
- Pas vraiment, j’avais déjà assisté à la naissance de Joey.
- Votre fils ?
- Oui.
- Vous sentez-vous en bonne santé de ces temps-ci, Monsieur Green ?
- Oui, ni plus ni moins que d’ordinaire.
- Et bien, cela ne va pas prendre énormément de temps, vous êtes le patient parfait, vous allez passer à côté, uriner dans le flacon marqué à votre nom, vous dévêtir et revenir me voir. Je vais vous ausculter et procéder à l’examen proprement dit.
Nick s’exécuta.
...
- Respirez bien fort ! ça va. Montez sur la balance. Bright ajusta les contrepoids, - 82 kilos, ça va. Tenez vous droit. Le médecin passa rapidement ses pouces le long de la colonne vertébrale de Nick, - c’est en ordre, asseyez-vous là. Il prit un petit marteau à tête ronde et vérifia les réflexes du genou. - C’est parfait. Alors, allongez-vous, cela ne sera pas douloureux, deux toutes petites éprouvettes de votre sang et on n’en parle plus. Bright humecta le bras de Nick avec un bout de chiffon blanc imbibé d'un liquide odorant et habilement, il poussa l’aiguille de la seringue dans son bras. - Ca va toujours ?
- Oui.
- Je fais toujours attention, parce qu’il y a des personnes qui ne supportent pas les prises de sang.
- Vous pouvez y aller franchement, cela ne m’impressionne pas du tout.
- Voilààà, c’est terminé, vous pouvez aller vous rhabiller.
Nick retourna dans l’isoloir.
...
- Voilà, nous aurons les résultats après demain, je ne vous contacte qu’en cas de problème.
- C’est tout ?
- Oui, vous pouvez y aller. Allez, passez une bonne journée !
- Au revoir Docteur, merci.
Nick n’avait même pas songé à en parler à Sam. Cette visite médicale avait été si rapide, si ordinaire, qu’il ne s’en était plus rappelé.
- Allô ? Nick avait décroché son téléphone.
- Monsieur Green ? Bright à l’appareil !
D’emblée, Nick avait sourcillé, son esprit avait galopé, son imagination l’avait précédé, et déjà, se souvenant des paroles de ce dernier, il avait auguré que le médecin l’appelait pour lui annoncer une mauvaise nouvelle.
- Oui ?
- Pourriez-vous passer à mon cabinet Monsieur Green ?
- Pour quoi faire ?
- J’aimerais vous entretenir au sujet de vos analyses.
- Un problème ?
A l’autre bout du fil, Bright avait mis un temps fou à répondre.
- Oui, enfin, non .. , pas vraiment. Mais je préfère vous voir pour vous en parler.
- De quoi s’agit-il Docteur ?
- Rien de vraiment grave, ne vous tracassez pas, venez demain à mon cabinet privé vers 10h00, nous en parlerons tranquillement.
- Je suis malade ?
- Venez demain, vous verrez, ça sera mieux. Bright avait raccroché, et Nick était resté pantois, le téléphone bloqué contre son oreille, le bip incessant et monocorde de la sonnerie occupée tintant stupidement.
...
- Nick, ça ne vas pas ?
- Si. Nick n’avait pas touché à son assiette, Sam l’avait dévisagé, comprenant qu’il était ennuyé, tracassé.
- Allez, dis-moi ce qui ne va pas ?
- C’est Bright, le médecin de la boîte, je suis allé passer la visite médicale, on m’a fait une prise de sang, et voilà maintenant que je dois aller en consultation à son cabinet privé ! avait lâché Nick, d’une traite, comme s’il s’était soudain libéré d’un secret lourd à garder.
- Chez le médecin ? qu’est-ce qui se passe ?
- J’en sais rien, Bright doit me voir pour me parler !
- Tu es malade ?
- Non ! enfin, je ne pense pas !
- Tu, ... Sam avait cherché ses mots, elle avait encore déglutit péniblement avant de poursuivre en chevrotant, - tu n’as pas fais de bêtises au moins ?
- Des bêtises ? Nick avait froncé les sourcils, et puis, comme il avait compris l’allusion de la femme, - mais non, penses-tu, qu'est-ce que tu vas là chercher … le Sida, ça ne se peut pas !
- Et bien alors, tu n’as rien à craindre !
- Non ? et un bon petit cancer ? Hein ? ou une bonne hépatite ? Apeuré, l'homme s'était emporté en faisant valser ses couverts.
- Allons Nick, ne sois pas si noir, si ça avait vraiment été important, Bright t’aurais dit de passer immédiatement chez lui, et pas demain ! Sam s’était levée de table et elle avait pris sa tête dans ses bras croisés.
- Je t’aime Sam ! se confia-t-il sensiblement rassuré par le geste de son épouse.
- Moi aussi Nick, ne t’en fais pas, tout ira bien !
Cette nuit-là, Nick ne dormit presque pas, se retournant sans cesse, ne pouvant penser à autre chose qu’à cette entrevue avec Bright.
A 9h30, il se rendit au cabinet de Bright.
- Prenez place Monsieur Green ! Bright avait ouvert le dossier de Nick.
- Qu’est-ce qui se passe docteur ?
- Ma tâche n’est pas simple Monsieur Green, comprenez bien qu’il m’a fallu y réfléchir à deux fois avant de vous annoncer ce que j’ai à vous dire... Bright tournait les pages du dossier, il faisait mine d’y chercher quelque chose, mais en réalité, il essayait de gagner du temps.
- Oui, quoi, venez-en au fait, je vous en rie, je ne vis plus depuis hier !
- N’ayez crainte, vous êtes en parfaite santé, un peu trop de cholestérol certes, mais en parfaite santé !
- Je... Nick se rassit au fond de la chaise, les épaules soudain déchargées d’un poids mort insupportable.
- Mais, Bright s’était accoudé au bureau, il cherchait ses mots. Des mots qu’il avait cependant préparés toute la journée de la veille. - enfin, voilà, n’oubliez pas que je suis lié au secret professionnel, mais j’ai jugé bon vous en parler afin que vous sachiez.
- Oui ? Nick écoutait, mais il était ailleurs, totalement soulagé.
- Voilà, d’après vos analyses sanguines, il ne fait aucun doute que vous soyez stérile !
- Pardon ?
- Vous êtes stérile !
- Stérile ? qu’est-ce que cela veut dire ?
- Vous êtes stérile, vous souffrez, mettez cette expression entre guillemets, car c'est congénital, vous souffrez d'azoospermie, vous ne pouvez avoir d’enfant, vous êtes totalement incapable de procréer !
- Incapable de procréer ? depuis quand ? que m’est il arrivé ?
- Rien, je vous le répète, vous êtes en parfaite santé, vous jouissez d’une santé extraordinaire que beaucoup peuvent vous envier, mais vous êtes stérile, cela ne fait aucun doute, et cela, en fait, fort probablement depuis la naissance ! Vous ne pouvez pas avoir d’enfant, et vous n’en aurez jamais !
- Mais j’ai deux enfants !
- Justement, là était mon problème, Monsieur Green, puisque je vous dis que vous êtes stérile, cela signifie que les enfants de votre épouse ne sont pas les vôtres !
La guillotine.
La hache qui pourfend l’air et s’abat impitoyablement sur le destin de toute une vie comme sur le billot du bourreau.
- Je, ... vous, c’est, ...
- Aucune erreur possible Monsieur Green, vous êtes stérile !
- Mais, ...
Nick manqua d’étouffer, les mots et les événements se chamaillaient dans sa tête en désordre, une fraction de seconde avait suffi pour annihiler toutes ces merveilleuses années de bonheur qu’il avait vécu aux côtés de Samantha.
- Je ne sais pas quoi vous dire pour apaiser votre mal-être ... balbutia Bright d’une voix déconfite.
Joey et Sheyla n’étaient pas ses enfants !
Il ne pouvait pas, physiquement, avoir d’enfants !
Ses jambes se mirent à trembler nerveusement, de petites perles de sueur constellèrent son front plissé, des milliards de questions sans réponse fusèrent en son esprit en ébullition.
Soudain, d'un bond, Nick se leva, la chaise bascula lourdement par terre, Brigth sursauta et avant que celui-ci ne comprenne, Nick claqua la porte d’entrée qui faillit bien sortir hors de ses gonds.
Emporté par une espèce d’ouragan diabolique, Nick bouscula deux infirmières sans même se retourner, il dévala l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée, il brûla la politesse à une vieille dame qui montait les marches du perron, et aussi vite, il courut sur le parking de l’Hôpital pour monter dans sa Ford qu’il fit démarrer en trombe.
Plus rien ne comptait pour lui, plus rien n’avait d’importance !
Juste retrouver Sam et lui demander pourquoi, comment, qui ...
Et dire qu’à peine quelques minutes plus tôt, il se demandait encore de quel mal étrange il était atteint ... dire qu’il s’était accroché à la vie si fortement et qu’à présent, il se moquait de tout, même de la mort !
Tout à basculé !
Mourir, tous comptes faits, c’était si peu comparé à l’horreur qui s’abattait sur lui !
Déchaîné, il fonça au travers la ville jusque chez lui.
...
- Nick ? Sam s’aventura encore un peu plus haut quand subitement l’homme surgit, la surplombant.
- Nick, que fais-tu ? Joey, le visage terrassé, dévorait l’homme de ses yeux effrayés.
- Nick !?!
Nick serrait de toutes ses dernières forces le Glock 17 qui s’était mis à vaciller entre ses doigts agités, le canon de l'arme labourait sa tempe froncée.
Sam fit un pas en arrière.
- Nick !?!
En images subliminales qu’il aurait été incapable d’imaginer, il vit soudain deux corps nus enlacés et étreints.
Sam et un inconnu qui faisaient sauvagement l’amour, Sam et un autre homme, ..., à son insu !
Rageusement, il changea d'avis et pointa le Glock 17 en direction de son épouse. Il appuya sur la gâchette et aussitôt, l'arme sursauta entre ses mains.
Nick ferma les yeux pour ne plus voir ces deux traîtres le poignarder dans le dos, et il tira une seconde fois.
Sam et Joey déboulèrent dans l’escalier, Nick les rattrapa et il tira à nouveau dans leur direction.
Sans viser, sans même regarder, dévoré par la haine, le dégoût et l’irrésistible besoin de vengeance...
Un bras remua au travers le flou de ses yeux obnubilés, il tira encore.
Sans s’en rendre compte, tandis qu’il perçut quelques murmures, il enjamba les deux corps inertes et se glissa jusqu’au salon...
- Brrr, mnmnm, brrr. Sheyla mâchouillait toujours son joujou sagement dans son parc, totalement exclue du monde cruel des adultes.
L’homme releva le chien du Glock 17 et en pénétrant dans le salon, il fit feu, plusieurs fois, au hasard, en rafale, canardant tout son horizon: - clic, clic, clic, clic, clic, clic, ...
- Brrr, mnmnm, brrr, Sheyla souriait face au pistolet déchargé. Subitement, Nick refit surface à la réalité, Sheyla se tenait devant lui, un sourire coquin sur ses petites lèvres roses. L’homme tomba à genoux ...
En disgrâce...
...
- Allô, Commissariat central, j’écoute ? fit une voix rapide et habituée dans le haut-parleur du téléphone que Nick venait de décrocher.
- Venez vite, je viens d’assassiner ma femme et mon fils ...
- Pardon ? vous pourriez répéter ? allô ? ... allô ?
Nick tenait Sheyla dans ses bras, il la couvrait de baisers et pleurait en lui susurrant à l’oreille qu’il l’aimait, ...
Plus que tout
Malgré tout ...
FIN.
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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 633
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Commentaires :
pseudo : sara-weint
Magnifique, j'en ai les larmes au yeux, et j'ai été parcourue de frissons jusqu'a la fin. Se texte est remplie de sentiments, autant joyeux qu'horrible. Je l'ai dégusté jusqu'au dernier mots. Mes compliments.
pseudo : Serendipity
Une histoire terrible qui porte très bien son titre. Ton texte est très bien écrit. J'aime beaucoup le style.
pseudo : BAMBE
Une histoire glaciale, une histoire de vie qui bascule, une histoire qui nous touche car elle peut être la notre pour un peu que ... Et si le labo s'était trompé?
pseudo : clo
pas de mots...juste te lire..trés émouvant.. bravo a toi...
pseudo : lyse.soleildespoire
texte magnifique
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