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Partager ses rêves par ifrit

Partager ses rêves

J’ai besoin de rêver. De pouvoir imaginer ma vie telle que je voudrais, telle que j’aimerais qu’elle soit. Ce ne serait pas un monde rempli de couleurs merveilleuses, de créatures magiques ou encore un fantastique chaos s’étendant aux confins de l’univers. Non, cela, je l’ai déjà. D’autres en ont rêvé avant moi et, m’emmenant dans leur songe, m’ont fait goûter à leur folle dimension. Il est agréable de se voir offrir une telle part de l’âme ! Mais c’est un présent, un cadeau que je ne veux plus ni recevoir ni donner. Quand bien même nos rêves seraient peuplés de milliers de visages, on ne rêve jamais que seul. Quelle tristesse !

Pour rêver avec d’autres, en tout cas pour essayer, j’ai écrit quelques-uns de ces rêves. Beaucoup se sont prêtés au jeu, par curiosité ou parce que eux aussi ne voulaient plus rêver seuls. Ils ont lu. Le résultat n’a pas été celui que j’escomptais mais cela a été un bon début. La plupart ont pu profiter de ces récits oniriques et, lorsqu’ils ont fermé les yeux, se sont laissé emporter par les méandres de mon esprit. Ils ont aimé comme j’ai aimé, souffert comme j’ai souffert, et parfois ils recommencent. Je suis heureux d’arriver à ouvrir mon âme ainsi, mais c’est tout sauf un partage.
Je me rends compte que faire lire ses rêves n’est pas rêver en même temps que ses lecteurs. C’est sûrement pour cela qu’ils sont lecteurs et moi auteur. Je remarque également que même si je livre tout mon être au papier, celui-ci ne me répond jamais. Chacune de mes folles nuits est gravée en lui, il vit chacun de mes songes et moi, je reste vierge de tout écrit. Le lecteur est comme le papier : il ne peut vivre les rêves de l’écrivain s’ils ne sont pas inscrits en mots. Et des deux, aucun n’a jamais fait écho à mes mots. Je ne peux leur en porter grief, étant moi-même incapable de faire de même pour ceux qui l’ont fait pour moi. J’ignore d’ailleurs si nous avions cette quête en commun ou si la solitude de leurs nuits leur convenait. Alors…

L’inspiration ! Tout doit être dans l’inspiration de ces images, ces sons, ces odeurs qui occupent mes pensées nocturnes. Elle est la base de l’écriture, de mon écriture. Voyons… Il faut remonter loin, mais le voyage ne peut qu’être agréable. C’est un rêve.
Du chocolat. En fait, un pain au chocolat, dans une vitrine. La vitrine a été brisée, sûrement par un pavé, il en manque sur le sol de la petite rue sombre. L’eau forme de petites flaques. Elles s’écoulent le long de la petite rue qui monte, qui monte jusqu’à toucher la nuit. En haut de cette rue, la Lune fait miroiter les pavés mouillés. On n’entend que la pierre qui goutte et le vent qui s’effrite sur les volets clos. Je contemple l’astre bleu et je t’attends. Je sais que tu viendras. C’est un rêve. Te voilà qui passe, tout en haut de la rue. Tes pas battent au rythme de mon cœur, qui s’arrête quand tu me vois. Le vent colporte ton parfum, sucré. Il ondule tes cheveux et fait virevolter ta robe. Je découvre un sourire gêné, et tu files. Tu vas m’échapper à nouveau ! Mais non, ton parfum est un voile qui scintille comme l’eau sous les étoiles. Il te suit à travers les rues désertes. Je n’ose l’empoigner, de peur qu’il se déchire. Il claque, il vire, je peine à le suivre. Je peine à te suivre. Tu bondis sur les tuiles. La Lune se tient toujours derrière toi, elle irise ta peau, ton visage s’illumine un instant. Je suis ébloui, aveuglé, une seconde et tu disparais. Vite ! Le parfum, il s’enfuit ! Il te suit sous les tuiles, se faufile et s’effile. Mes doigts se tendent et le saisissent. Il s’arrache. Je t’entends descendre, le bois craque un instant, puis rien, plus rien. Je serre le morceau de soie, ce morceau de toi, tout contre ma mémoire.
Lorsque je rouvre les yeux, je ne sais qu’une chose : tu existes. Je t’ai déjà vue, j’ai déjà senti ton parfum et je sais que tu as tout fait pour. L’évidence me frappe au ventre, et tandis qu’elle me saute au visage, j’arrive à trouver les mots pour respirer. Si j’ai fait ce rêve, c’est parce qu’elle l’a voulu. Je ne l’ai su qu’après, mais elle avait fait le même. Elle était éveillée, son foulard bien ajusté. Un matin de pluie, à siroter son chocolat. Et maints détails qui font autant de coïncidences inutiles mais amusantes, autant de taches de rousseur sur le visage de mon évidence. Partager un rêve, ce n’est pas voir accidentellement les mêmes images au même moment, ni les mêmes sons ou les mêmes odeurs. Non, bien sûr que non ! Partager, c’est faire passer. Un rêve, c’est une envie. Partager un rêve, c’est donner son envie, la faire passer pour qu’enfin elle se concrétise, qu’elle se libère. Pour qu’alors les songes se rejoignent, il faut que les consciences se soient concertées.
Il faut qu’au réveil, qu’importe que nos yeux aient été fermés ou non, notre envie soit tournée dans le même sens. Il faut qu’au réveil, nous aussi, vous ayez envie de partager vos rêves. Le prochain sera le bon.

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Coup de cœur : 10 / Technique : 6

Commentaires :

pseudo : obsidienne

miam, que j'aime la précision de ton écriture ! Elle me fait rêver...

pseudo : Lulu

Je trouve que tu sais très bien partager.

pseudo : jojo

Comme tu l'as écris, tu nous donne l'envie de partager nos rêves, du moins les tiens et c'est déja un très beau travail de ta part.

pseudo : cha

waaa tu m'en a donné des frissons ! J'adore l'enchainement des petites phrases qui donne un rythme rapide. Personnellement tu m'as emporter dans ton rêve, mission réussi j'attend déjà le prochain!

pseudo : Zarathoustra

Completement emportee dans tes mots et ton ecriture. Splendide!

pseudo : Déméter

Je ne voyais pas les rêves ainsi...mais pourquoi pas ! Les rêves abolissent le temps, l'espace permettent des contacts vrais avec notre sagesse si profondément ignorée dans le concret de nos existences, de faire le tri dans la confusion de nos aspirations...parfois ils permettent de communiquer avec des personnes éloignées voir disparues, (et j'en passe)...mais partager mes rêves je n'ai jamais essayé. Parfois je communique des rêves qui ont une signification "universelle" s'ils peuvent parler aussi aux autres, mais c'est tout. Si je rêve d'une personne juste croisée, c'est comme si nous nous saluions en rêve, ça ne va pas plus loin...un petit signe accompagné du souhait que tout aille au mieux dans sa vie... une reconnaissance onirique. J'ai lu ce texte car le sujet me parle, mais en général je ne lis que les poèmes...vous avez une belle écriture jeune homme !

pseudo : Billie

tu arrive à faire cette chose extraordinaire. tu décris un rêve, le rêve, les rêves et tu fais ça parce que tu sais que ce sujet n'est pas évident... Certains les interprètent, d'autres les craignent, ou encore en sortent avec des sueurs! Dans tous les cas ils nous appartiennent et ce que j'aime avec toi c'est justement ce détachement, ce "partage"! parce que oui c'est important de partager un rêve, éveillé ou endormi c'est l'un des seuls moments où l'on marche sur la corde raide de la réalité et où l'on prend parfois un plaisir à basculer de l'autre côté... Bref BRAVO MONSIEUR, j'aurai pas mieux fait! Au plaisir mon ami...