- "Chéri, on va être ne retard !" héla Patricia depuis le bas de la cage d’escaliers.
- "J’en ai encore pour une toute petite minute !" lui répondit Jack en inspectant la boucle de son ceinturon dans le miroir sur pied de la chambre à coucher.
Il pivota sur lui-même et contrôla les cartouches argentées qui grossissaient les passants de cuir. Il agita les mains frénétiquement et laissa retomber ses bras, puis, ne quittant pas son image des yeux, il écarta les jambes et d’un geste éclair, il dégaina son arme. Un magnifique 444 Magnum Stainless de 8 pouces. C’était une bonne arme très impressionnante qu’il manipulait assez adroitement. A 25 mètres, il pouvait loger les 6 balles du barillet au centre de la cible, en l’espace de deux secondes et 89 centièmes.
Il vérifia le cran de sécurité, le fit pivoter à deux reprises, puis il remisa l’arme dans l’étui et enfila son costume gris pâle, une taille trop grande, celui-là dans lequel il était à l’aise.
- "Chéri ? Ca y est ou quoi ?" insista encore Patricia.
- "Oui, j’arrive tout de suite !" Jack s’agenouilla malgré tout, et il fit jouer les pressions du fourreau de son poignard fixé à sa cheville. En un clin d’œil, il pouvait sortir le coutelas, une belle lame de 37 centimètres en acier trempé, qu’il savait lancer avec précision à plus de 10 mètres.
Il examina l’heure à sa montre et, à tâtons, soupesa encore la poche de son veston afin de vérifier que le coup de poing américain ajusté à ses doigts s’y trouvait bien; celui-ci étant entre-autres également indispensable pour écarter son veston lors du mouvement de rotation pour dégainer son arme à feu.
Jack prit sa petite valisette, celle-là qu’il emmenait depuis toujours avec lui au boulot, puis, il descendit au rez-de-chaussée.
- "T’en as mis du temps !" soupira Patricia.
- "Oui, que veux-tu, les préparatifs sont indispensables un jour comme aujourd’hui !"
- "Oh, c’est juste, j’avais complètement oublié !" s’excusa la femme en l’embrassant, du bout des lèvres, sur le coin de la bouche.
Elle observa son allure générale et rectifia le noeud de sa cravate.
- "C’est pas facile avec le gilet pare-balles ! " dit-elle en redressant le noeud.
- "Non, tu l’as dit, et en plus, il fait une chaleur horrible !"
- "Comme chaque année au mois de juin !" conclut la femme en enfilant son imper léger. – "On y va cette fois ?"
Soudain, Jack Carpenter se figea, il venait de penser qu’il avait oublié un détail.
- "Quoi encore chéri ?" rouspéta la femme, face à sa mine défaite.
- "J’ai l’impression d’avoir oublié quelque chose !"
- "Toi ? Tu n’oublies jamais rien !"
- "Attends, je pense savoir ce que c’est !" Jack ouvrit sa valisette sur le rebord de la tablette de marbre qui garnissait le hall d’entrée, et il chercha l’objet auquel il venait de songer parmi ses papiers.
- "Chéri, on va rater la navette, si tu continues à traîner de la sorte !"
- "Mon spray !"
- "Quoi ton spray ?"
- "Où est mon spray ?"
- "J’en sais rien chéri, ça a vraiment de l’importance ?"
- "Sans mon spray, il risque de m’arriver de légères broutilles !"
- "Voyons chéri, tu as ton arme, ton couteau, tu ne risques pas grand chose, en plus, tu es le meilleur tireur de tout l’établissement !"
- "Mon spray, il me faut mon spray !" Jack s’était mis à hurler en fouillant une fois encore le contenu de son cartable.
Patricia se recoiffa nerveusement devant la glace du hall, tandis que son mari cherchait toujours dans le fouillis de ses affaires.
-" Ha, ça y est, je m’en souviens, je l’ai laissé là-haut !" à une vitesse vertigineuse, Jack grimpa les escaliers quatre à quatre et elle l’entendit ouvrir le tiroir de la garde-robe où ils avaient entreposé leurs armes et leurs munitions.
- "Je l’ai, je l’ai !" hurla-t-il sur un ton victorieux. Et plus vite encore, il rejoignit sa femme sur le pas de la porte.
Quelques instants plus tard, ils empruntèrent la navette.
- "Excuse-moi chérie, je suis un peu nerveux !"
- "Ce n’est rien, je te pardonne, je sais que ça ne doit pas être facile tous les jours !" Elle lui sourit amoureusement.
Le carillon d’arrêt résonna et Patricia descendit de la navette.
- "A tantôt mon chéri, prends bien soin de toi !" elle lui envoya un baiser aérien et déjà la navette repartit. Jack alla s’installer plus confortablement au fond de la cabine du monorail, et il jugea l’allure des adolescents assis à sa gauche. Ceux-ci lui décochèrent tout d’abord un coup d’œil dédaigneux, et puis, ils finirent par ne plus prendre attention à l’homme.
Jack souffla. Il était heureux qu’il ne les connaissait pas, car il avait bien espérer pouvoir profiter du quart d’heure de répit que lui laissait encore le trajet.
Sans encombre, la navette arriva à bon port et libéra ses passagers. Jack parcourut quelques centaines de mètres à pied et une fois arrivé, il salua le gardien à l’entrée.
- "Bonjour monsieur Carpenter !" lui répondit celui-ci. La culasse cuivrée de son riot gun refléta les puissants rayons du soleil.
Tom Breaker, un collègue à Jack, était déjà là.
- "Salut Tom, tu vas bien ?"
- "Non, j’ai très mal dormi !"
- "Nerveux ?"
- "Comme tous les ans à cette époque !"
Les deux hommes sourirent en faisant une grimace cynique.
- "Et tes questions ?" s’inquiéta Breaker.
- "Là ! "dit Jack en frappant les flancs de sa valisette.
- "Quoi ?" Tu te promènes avec les questions sur toi ?
- "Y a pas meilleure cachette, crois-moi !, j'ai dormi avec ma mallette sous l'oreiller"
- "T’es fou mon vieux, y a pas d’autre mot, t’es complètement fou !"
- "Non, perspicace ! Figure-toi que l’an dernier, j’avais laissé les questions dans mon bureau fermé à clés, et devine quoi ?"
- "Pas la peine mon vieux, j’ai eu la même blague !"
- "Comment as-tu fait toi ?"
- "La poste mon vieux, la poste !"
- "On va te les apporter par la poste ?"
- "Exact !"
- "Pas bête, en espérant qu’ils n’y auront pas pensé !"
- "C’est un risque à courir !"
Toute une flopée de jeunes gens passa à proximité d’eux, tandis qu’ils s’étaient un peu écartés de l’allée centrale.
La sonnerie retentit, il était 8h30.
- "Allez, à tantôt Tom !"
- "A tantôt Jack, bonne chance !"
Sur le qui-vive, Jack Carpenter arpenta les longs couloirs blancs et machinalement, il se dirigea vers la salle 17.
Sa salle 17.
Comme la porte était entrebâillée, il changea sa valisette de main, portant ainsi sa main droite, sa main forte, à la crosse de son 444.
Tout le monde était là. Cela ne faisait aucun doute, Jack connaissait sa classe par cœur, ils étaient tous là. C’était d’ailleurs dans leur intérêt puisque les épreuves commençaient aujourd’hui. Il entra en vérifiant, d’un coup d’œil professionnel, l’ombre derrière la porte.
- "Mesdemoiselles, Messieurs, bonjour ! Veuillez éteindre vos portables, pc et autres I-Phones s'il vous plaît".
Personne ne répondit, quelques-uns qui n'avaient pas respecté le règlement s'exécutèrent en soufflant, tous autant qu'ils étaient, éprouvaient de la nervosité et de l'anxiété.
- "Voici donc les questions de l’épreuve". Jack laissa tomber le paquet de feuilles sur son bureau, - "Gennaro, vu que vous êtes au premier rang profitez-en pour tendre votre bras et faire passer les feuillets !"
L’enfant, car il s’agissait bien d’enfants, tous âgés entre 11 et 12 ans, lui décocha un regard lourd et hostile, mais comme l’homme dégrafa son veston pour laisser voir le superbe chrome de son revolver menaçant, Gennaro obtempéra sans plus hésiter un instant.
- "Dès que vous recevrez la feuille de contrôle, vous pourrez inscrire vos nom et prénoms et ensuite, vous attendrez mon signal pour commencer à répondre".
- "Stacy Light !"
A ce cri, au fond de la classe de mathématiques, une jeune fille sursauta.
- "Je vous ai vue, veuillez m’apporter ce que vous tenez en main !" hurla Jack à l’adresse de la fille.
- "J’ai rien m’sieur !"
- "Je vous ai vue, n’aggravez pas votre cas !"
- "Mais j’ai rien m’sieur !"
- "Sortez mademoiselle, l’examen est terminé pour vous !"
- "Mais elle a rien fait !" mentit Angel Rydel, le voisin de banc de la petite Stacy Light.
- "On ne vous a rien demandé Monsieur Rydel !" trancha Jack en haussant davantage le ton.
- "Va te faire enculer, gros pédé !" l’insulta la jeune fille dont on pouvait à peine distinguer les formes de la poitrine naissante et dont la paume de sa petite main droite avait bien du mal à dissimuler le Blackberry.
- "A votre aise, Mademoiselle, je pense que l’année prochaine, nous nous reverrons !" ironisa encore Jack en ne quittant pas Rydel des yeux.
Le petit Rydel avait plongé ses mains sous son bureau, l’air de rien.
- "Monsieur Rydel !" Jack s’était déplacé, à la façon d'un félin prédateur, sur la gauche de l’estrade et il avait dégainé son 444 magnum sans que personne ne pût même entr’apercevoir son geste précis, - "je suis au regret de vous demander de sortir délicatement l’arme que vous tenez dans votre main droite, sous votre pupitre !" ordonna-t-il encore d’un ton pressé.
Rydel, ébahi, souleva son bras droit et, du bout des doigts, comme au ralenti, pour ne pas se faire descendre par Monsieur Carpenter, il déposa le vieux 765 sur le banc.
- "Merci Monsieur Rydel, je pense que vous pouvez également sortir afin de rejoindre votre copine !"
Rydel se leva et suivit le même chemin que Stacy Light.
- "Y a-t-il d’autres amateurs ?"
Plus personne ne broncha.
- "Alors, allons-y, vous avez 90 minutes pour répondre aux questions des épreuves de mathématiques de cette année scolaire 2013 - 2014. Je vous rappelle, à toutes fins utiles vu que cela semble nécessaire, que les armes à feu sont strictement interdites à l’école, sauf en ce qui concerne les professeurs. Bonne chance à toutes et à tous !"
Jack s’installa à son bureau et il continua de surveiller ses élèves. Il lui fallait tout vérifier. Voir s’ils ne trichaient pas, voir s’ils n’avaient pas de copions, s'ils n'utilisaient pas un portable, une calculette ou une autre machine, voir encore s’ils ne communiquaient pas entre eux, et surtout, bien vérifier que l’un et l’autre ne disjonctaient pas, quelquefois qu’ils tenteraient de l’abattre, comme cela était malheureusement devenu une terrible vérité dans la quasi totalité des écoles des grandes villes. Partout, telle une inexorable poussée de fièvre incurable, la violence était montée de plusieurs crans pour atteindre le seuil d’un paroxysme inimaginable !
Le métier de professeur était devenu une véritable vocation, une profession à risque où il faisait bon d’être armé et de sans cesse rester vigilant.
Ce jour-là, Stacy Light et Angel Rydel, respectivement 11 et 12 ans, furent surpris dans les toilettes occupés à forniquer. Ils étaient incontestablement sous les effets d'hallucinogènes. C’est également ce mercredi-là, de juin 2014, que Jack Carpenter fut revolvérisé - comme on disait - par la jeune Marcia Glover, tandis qu’il avait tourné le dos pour ramasser les copies du contrôle, la fillette l'avait rageusement abattu à bout portant d'une balle de 7mm qui lui pulvérisa l'occipital.
Quand on interrogea la petite sur les raisons de son acte désespéré, elle répondit de sa voix fluette: - "C’était un beau salaud, il a posé des questions sur la matière que j’ai ratée durant ma cure de désintoxication !"
FIN
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Commentaires :
pseudo : VIVAL33
J'ai passé un très bon moment .-D! Ces petits jeunes sont si... désarmants... Encore bravo!
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