Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

HENRI par tehel

HENRI

Henri avait 10 ans. 10 ans, 1m52 et 81 kilos. Ca n'était pas son poids ni sa taille qui le distinguait des autres enfants de son âge, Henri était différent. Totalement différent, cloîtré dans son monde à lui, enfoui dans son autisme profond, totalement refermé sur lui-même. Henri ne parlait pas, il ne lisait pas et ne jouait pas avec les autres gamins. Henri vivait ailleurs, et cet ailleurs semblait lui convenir car Henri semblait heureux.

Quelques gestes, quelques sons, que son père connaissait par cœur, suffisaient pour communiquer avec Henri. Boire, manger, dormir, fatigué, promener. Voilà à peu de choses près les cinq mots qui composaient le vocabulaire d'Henri.

Henri avait deux passions: les livres illustrés des dessins animés – Le Roi Lion étant son préféré – et promener avec son père.

Henri aimait en effet regarder les beaux livres illustrés des films de Walt Disney qu'il collectionnait, il pouvait passer des heures entières à feuilleter et feuilleter encore les dessins; sans doute ceux-ci ne voulaient-ils pas dire grand chose pour le gamin, mais il se plaisait à les contempler à longueur de temps et à s'y investir au plus profond. La seconde passion d'Henri consistait à aller se balader avec son père, son seul ami, son seul lien avec le monde extérieur, notre monde, notre univers.

Ce jour là, Pascal, le père d'Henri, l'avait regardé dans les yeux et lui adressant deux gestes précis de ses mains combinées, sans prononcer le moindre mot, il avait articulé muettement: PRO-ME-NER? et Henri avait expiré une espèce de grognement qui signifiait quelques chose comme "oui".

Pour la toute première fois, Pascal emmena Henri au Zoo. Les animaux sauvages, la flore exceptionnelle, tout cela allait plaire à Henri, à n'en pas douter. Lui qui aimait tant se plonger dans l'univers du Roi Lion, il allait certes être impressionné par les félins et autres gazelles du Parc animalier.

Ensembles, unis comme une paire qui ne fait qu'un, l'homme et son fils avaient pris le train, ils s'étaient arrêtés pour prendre une boisson rafraichissante et puis, ils avaient pénétrer dans l'enceinte du zoo.

D'emblée, Pascal avait emmené Henri voir l'enclos des Lions. Trois gros félins emmurés dans une fosse bien à l'écart de portée de main. Henri avait regardé, mais son regard vide, comme d'ordinaire, n'avait traduit aucun intérêt. Ils étaient ensuite allés voir les lionceaux, prisonniers de cages de verres et exposés au regard du public, mais là encore Henri n'avait pas sourcillé, sa perception des dimensions sans doute différente ne lui permettant pas de voir au-delà des épaisses vitres sales. Ils avaient ensuite visité les ours, les rhinocéros et puis encore la gigantesque volière, mais rien ne semblait réellement atteindre ou intéresser Henri. Même si le gamin semblait heureux et satisfait, c'était uniquement parce qu'il se promenait en compagnie de son père et non pour les curiosités à admirer auxquelles il ne semblait pas prendre attention.

En passant voir les éléphants – deux vieux spécimens qui s'empiffraient des friandises que le public leur offrait malgré la stricte interdiction -, Henri ne sourcilla même pas. Lui qui adorait contempler ces bêtes-là dans ses livres préférés, les voir enfin en vrai, en chaire et en os ne parut pas l'émouvoir le moindre du monde. Ensuite ils visitèrent les vivariums. Là, ce fut pareil. Si la majorité des visiteurs s'effrayaient à la vue des mygales, veuves noires et autres boas constrictors, pour Henri, il ne s'agissait que de cages de verre au-travers lesquelles il n'y avait rien d'intéressant.

Henri était fatigué d'avoir trop marché. Il grogna quelque chose en adressant un signe de la tête à son père qui le comprit parfaitement. L'avant-midi se terminait à peine et ils avaient déjà quasiment fait le tour complet du parc. Alors, juste avant le repas, Pascal emmena Henri au Delphinarium où une représentation était prévue à 12h00. Il aida son fils à descendre les marches de l'espèce d'amphithéâtre, l'installa au premier plan, lui offrit une glace en attendant le début du spectacle et patiemment ils attendirent que tout le monde prit place.

Comme d'habitude Henri regardait dans le vague. Perdu dans son monde, perdu dans ses pensées, s'il en avait. Sauf que… sauf qu'Henri fronçait les sourcils, ça n'était pas dans son habitude, sauf lorsqu'il était réellement contrarié. Mais Henri n'était pas vraiment contrarié, cela ne se pouvait pas, son père l'avait confortablement fait s'asseoir, il lui avait offert un soda et une glace de son parfum préféré et il lui tenait la main, comme Henri aimait qu'il le fasse très souvent.

- Henri? ça ne va pas? Pascal, curieux et en même temps étonné, questionna son fils. Henri regardait l'étendue d'eau du bassin où de petites vagues venaient mourir en clapotis contre le rebord. L'homme observait curieusement son fils. Jamais encore il ne l'avait vu ainsi. Henri ouvrait grand les yeux, mais son regard immobile d'ordinaire vide, comme mort, fixait avec vivacité l'onde en mouvement. En face des gradins, deux jeunes femmes en tenue de plongée s'apprêtaient tandis qu'un homme était monté sur l'espèce de plongeoir. Au son de la musique que des haut-parleurs diffusaient, deux otaries – deux belles pièces grisâtres -, pourfendirent l'eau, en sortirent en tourbillonnant et semblèrent obéir au type au-dessus du plongeoir tandis qu'il actionnait un sifflet à ultrasons.

Henri grommela quelques mots inaudibles et incompréhensibles. Soudain les deux dauphins qui tournoyaient au fond de la piscine, en sortirent d'un bond, firent deux sauts périlleux avants et replongèrent dans l'eau du bassin en éclaboussant le public et en surprenant les deux jeunes femmes en combinaison de plongée.

Les otaries retournèrent dans leur enclos tandis que le type sur son plongeoir sifflait en tapant dans ses mains, un en-cas – un poisson sans doute – tendu 5 m par-dessus l'eau à l'adresse des mammifères.

Henri, pour la toute première fois, semblait s'amuser, mais personne, même pas son père ne le remarqua, il se passait quelque chose, de fait, mais personne ne savait quoi exactement. Heri se mit à rire très fort, comme cela lui arrivait très rarement, et les deux cétacés, en chœur, simultanément et en parfaite symbiose, bondirent hors du bassin, firent une espèce salto arrière et fouettant la main du type sur le promontoire. Celui-ci lâcha l'appât qui voltigea dans les airs, tournoya et, avant qu'il ne finisse son parcours aérien, finit par être récupéré d'une seule et unique pièce par les animaux qui nageaient à reculons propulsés par leur puissante queue. Ni l'un ni l'autre ne se disputa le petit poisson, aussitôt, l'un des deux dauphins replongea avec celui-ci, piqua du nez vers le fond, remonta à une vitesse prodigieuse pour finalement sauter hors de l'eau et venir reposer délicatement la nourriture aux pieds de l'homme désarçonné.

De plus belle, Henri riait. Henri grommelait, il susurrait, balbutiait et gazouillais dans son langage incompréhensible. C'est précisément à cet instant-là, que Pascal, ébahi par le spectacle inouï se retourna vers son fils.

Henri n'avait plus le regard hagard, Henri n'avait plus le regard étrange et vide, il fixait intelligemment les dauphins, leur adressait des signes dans le vide et émettait de petits cris. Les cétacés contournèrent la circonférence du bassin, seuls leur aileron dépassait encore de la surface de l'eau en mouvements, ils firent encore un tour, puis Henri se leva, au vu et au su de toute l'assemblée qui derrière lui eut son attention attirée.

Un des deux dauphins fit une cabriole en avant tandis que l'autre l'imita à retardement pour venir ensuite se poster précisément au même niveau que son congénère, les deux animaux plongèrent au fond de la piscine, ensuite ils s'entrecroisèrent dans un double saut avant encore jamais réalisé nulle part ailleurs. Henri applaudit fougueusement, et, toujours en marmonnant, il indiqua de son bras tendu une ellipse dans les aires. C'est à ce moment-là que les dauphins ressurgirent parfaitement synchrones et, pareils à un tourbillon inimaginable ils parurent accomplir en réalité ce que qu'Henri semblait leur avoir indiqué d'un seul geste.

- Henri? Henri, c'est toi qui leur demande de faire ça? Pascal n'en revenait pas mais avait saisi le prodigieux événement qui se déroulait là.

Henri décocha un regard amusé à son père puis se concentra à nouveau sur les cétacés qui se cabraient de côté en agitant leur aileron gauche en direction du public émerveillé, à hauteur du garçon et de son père, les animaux, malgré les appels des dompteuses, vinrent se positionner en face d'eux en meuglant des cris assourdissant à l'adresse de Henri.

- Tu, tu ..; Pascal avait très bien compris ce qui venait de se passer et ce que l'assemblée avait pris pour une mise en scène extraordinaire, tandis que désappointées, en face, sur l'autre rive du bassin, les deux femmes s'agitaient désespérément.

- Tu leur parles Henri? Pascal avait empoigné lé gamin et l'avait forcé à regarder sa gestuelle maladroite qui traduisait ses paroles.

- Henri, pour la toute première fois, eut un regard illuminé, plus qu'intelligent et complice. Sans quitter son père du regard il leva la main gauche et indiqua aux dauphins de replonger, ce qu'ils firent instantanément, puis ils se mirent à tourner autour de la piscine à une vitesse telle que l'eau emportée sur leur passage finit par déborder des rebords pour venir asperger le public amusé.

Brusquement Pascal empoigna son fils, il l'obligea à quitter les lieux et l'entraîna avec lui vers la sortie. Les deux dauphins semblèrent vouloir s'extraire du bassin, mais le rebords les en empêchèrent. Une salve d'applaudissements assourdissants submergea l'amphithéâtre;

‑ Henri? Henri, c'est toi qui a fait ça? Pascal s'évertuait à interroger son fils qui était reparti dans son mode au plus profond de son univers à lui.

- Henri? Henri?

Henri resta muet, si ses yeux regardaient dans ceux de son père, dans leur brun profond Pascal pouvait deviner les profondeurs de l'océan et d'un monde inexploré et inconnu.

Henri n'était pas un enfant ordinaire.

Henri avait 10 ans. 10 ans, 1m58 et 81 kilos. Ca n'était pas son poids ni sa taille qui le distinguait des autres enfants de son âge, Henri était différent. Totalement différent, cloîtré dans son monde à lui, enfoui dans son autisme profond, Henri pouvait communiquer avec les dauphins qui le comprenaient et répondaient à ses appels.

La main de son fils dans la sienne Pascal marchait vite, très vite. Il ne savait pas où aller ni quoi faire, mais dans sa tête une lueur d'espoir venait de naître.

Un jour peut-être Henri serait-il un garçon presque comme les autres.

 

FIN

(à Pascal et Henri)

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Poème | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 627

Coup de cœur : 8 / Technique : 6

Commentaires :

pseudo : Le gardien du phare

Beau texte...