-Ecoute David, je dois vraiment partir, susurra Manon en me fixant de ses beaux grands yeux couleur azur

-Wé c’est ca, tu sors encore avec un de ces types rupins.

-David, je n’ai aucune envie de me chamailler avec toi, mais tu sais aussi bien que moi que je vais au travail.

Je haïssais quand elle me parlait comme si j’étais un gamin de cinq ans qui ne comprenait rien à la vie. J’ai 17 ans et je mérite qu’on me donne un peu de considération quand même. Je finis par lâcher :

- Joli type de travail m’man !

Là je savais très bien que j’étais parti trop loin mais c’était la vérité ! A chaque fois que l’occasion se présentait pour nous deux d’être ensemble, elle devait faire ceci ou aller faire cela. Mais je m’en voulais de l’avoir blessée. Par fierté je fronçai les sourcils et grommelai :

-Bon t’as qu’à partir t’en fais pas pour moi !

Elle se contenta de me jeter un regard dur et désespéré. Elle prit son sac. La porte claqua.

L’horloge sonnait minuit, aucune trace de  Manon, encore moins d’un message émanant d’elle. J’allumai la télé. Scotché au zappeur, je changeai et changeai de chaînes sans jamais trouver une émission qui en valait  la peine. L’idée qu’un malheur pouvait être arrivé à ma mère s’abattit soudainement sur mon petit cerveau indifférent procréant  un fatras d’hypothèses toutes aussi funestes les unes que les autres. Je n’avais jamais été en accord avec ma mère, peut-être bien à cause du temps fou qu’elle passait agglutinée à son travail. Elle occupait le job de servante dans l’immense hôtel Hudson de Manhattan,  une pattée de kilomètres du District. Sa vie n’est pas aussi rose qu’elle ne semble être. Elle a eu ce travail à la sueur du front, seulement, l’assiduité et le sérieux  ne sont  pas les seuls critères dans ce mitan, pour réussir-ou plutôt pour survivre- il fallait se vouer corps et âme au travail. Et quand je dis Corps, il faut imaginer ce qu’endure ma mère.

Il pleuvait sans cesse dehors, le ronflement des ruisseaux  se mêlait aux hurlements des enfants du deuxième étage. Une cacophonie singulière qui n’apaisait en rien l’inquiétude que je soupesais. « Quand s’arrêtera cette putain de musique saoule? Ils sont combien là-haut à se rouler la pelle alors que moi je suis là à attendre que ma  génitrice rentre de son « travail » ! »

Minuit trente, aucun appel téléphonique. Ma mère devait surement passer la nuit chez un richard de Manhattan, apanage appris par cœur. J’eus l’idée de rejoindre  les gars du quatrième étage: Coke, bière … seraient au rendez vous. Je n’avais jamais essayé de me droguer mais avec le lot de problèmes qui déferlait sur moi, je n’avais pas vraiment  le choix. J’avais rompu avec ma petite amie (une vraie bombe latino à l’image de Barbara Mori), nos conditions allaient de pire en pire, j’étais privé d’argent de poche, mon niveau scolaire chavirait... L’idée de rejoindre les types du quatrième étage semblait de plus en plus alléchante. Je cédai à la tentation.

Les murs fumaient, une horde de déchainés grésillait dans le salon étroit.  Des odeurs foisonnantes montaient vers le haut. Des couples s’entrelaçaient comme le feraient des animaux débondés, indubitablement à cause de l’emprise de la drogue, épandaient partout sur le sol une sorte d’écume qui  dégoulinait de leur bouche, suintait la voute de leur menton avant d’atterrir sur le sol. Paysage écœurant. J’étouffais. Je m’apprêtais à quitter. Une fille me retint par l’épaule.

-Qu’est ce que tu fais là à tenir la chandelle ?

Je me retournai, la jouvencelle écarquilla les yeux. Elle était magnifique avec ses pommettes d’api et ses longs cils qui écartaient la fumée des cigarettes. Elle mettait une courte jupe en jean qui lui battait la cheville, un vieux manteau ou elle était engoncée jusqu’au cou mais qui dissimulait une belle tenue bordeaux. Elle était brune avec des cheveux frisés qui lui arrivaient jusqu’à l’échine. Je trouvais difficile de la relier à une célébrité. Elle semblait avoir un attrait unique, irrésistible !

-Viens nous rejoindre, je suis seule, on va se tenir compagnie.

-Bon benh wey ok ! Bafouillai-je.

La laiteuse et cristalline poudre brillait à l’éclat de la lampe. On m’en proposait, je refusai, mais elle sembla de plus en plus aguichante. Je capitulai. En exhalant cette substance tant de fois par mon conscience interdite, une vague d’euphorie s’abattit sur moi, cet espace que j’avais tout à l’heure méprisé, devint un paradis à mes yeux.  J’avais ressenti  un soulagement indescriptible en cet instant fatal ! Tous les maux un peu avant éprouvés, se dissipèrent dans cette nuit. La bouche d’Isabelle effleura la mienne, sa langue me chatouilla  la lèvre. Je m’étais complètement oublié. J’étais dans un état de satisfaction inimaginable. Les mots ne suffisaient plus  à décrire mes émotions !

  L’effet de la coke se dissipait de plus en plus. Je me sentis emprisonné dans un nuage de confusions et de désespoir, je ne discernai plus les traits de ces personnes là-bas présentes. Mes prunelles louvoyaient dans le blanc de mes yeux. J’errais dans les boyaux de l’immeuble, ne sachant plus quand et comment j’avais quitté le quatrième étage ni comment descendre au troisième. Des images répugnantes affleuraient dans mon esprit.  L’escalier. Une silhouette essayait de forcer la porte de notre appartement. «  Et si je le tuais ? Ma mère en sera fière, elle saura que je serais toujours là pour la protéger. Non ! Ce brigand n’en échappera pas. ».

La silhouette s’avança vers moi, je ne pouvais pas distinguer ni son visage ni son sexe. Une bonne bouffée d’adrénaline fit en une seconde le tour de tout mon corps. Pris de fébrilité, je m’agrippais sur son cou, saisit mon coupe angle et l’enfourchait dans sa poitrine. Débattement. Une effusion de sang. Un cri strident. La silhouette fut mise à terre.

Je n’eus ni l’idée de cacher le cadavre, ni celle d’appeler la police, j’entrai chez moi, le cœur sur la main.

 Le lendemain, le soleil avait édulcoré ses rayons. A dix heures je sortis. Aucune trace du cadavre ! Sans doute, tout ce qui s’était passé la veille n’était qu’un cauchemar ! Une simple et délirante illusion ! Je souris à cette idée. Ma mère n’était toujours pas arrivée. Les voisins me regardaient d’une façon étrange. Je partis chez Suzanne, la voisine du palier pour lui demander si elle savait quelque chose de Manon. Elle me jeta un regard triste et apitoyé. Ses yeux virèrent vers le rouge. Les larmes inondèrent ses joues. Elle quitta la pièce me laissant déconcerté devant son attitude. Quand elle réapparut, elle me tint la main et prononça d’un ton ou s’entremêlaient la douceur et la pitié :

-Ecoute mon enfant, ce que j’ai à te dire ne sera facile à personne mais tu as le droit de savoir.

« Mon dieu que s’est-il bien passé ! Pourquoi pleure-t-elle ? Qu’est ce qu’elle a à me fixer comme ca ? Pourvu que ce ne soit pas ma mère ! »

« David, ta mère a été trouvée ce matin assassinée devant la porte de l’appartement. Ils l’ont emportée. »