Grelottante et assoupie, la bête scrute les pieds des passants, attendant, espérant voir chuter devant ses yeux embués quelques ronds cuivrés. Pour la plupart, nous passons près d'elle, et ce, sans réel intêret, préférant vaquer à nos riches plaisirs quotidiens. Néanmoins, certains s'arrêtent et s'attendrissent pour le malheureux, malheureux qu'ils oublieront d'ici une poignée de minutes lors d'une discussion mouvementée ou lors d'une franche rigolade entre amis.

  Loin de contribuer à son bonheur, l'argent s'acharne et fait de sa vie un enfer, chaque bruit de ferraille ammenant foule de sentiments. Les yeux braqués sur ces cinq sous, l'homme hésite à saisir la monnaie. Un reste de dignité, d'honneur. Et pourtant... Si Dieu nourrit son âme et le préserve de la folie, ou l'y entraine, il ne peut en aucun cas rivaliser avec la famine. Son estomac le poussant, son bras s'allonge et emporte, non sans tremblement, la misérable pièce. Celle-ci additionnée aux autres, voila qui fera son grand festin !

  Le pas incertain et le trajet, bien que court, épuisent le pauvre homme et le font jurer. Le menu de ce soir... Un pain ? Oui, surement ! Mais avec de la chair, cela aurait été plus goûtu... Peut-être demain, qui sait. La vue de la boulangerie le fait sourire et l'égaie enfin. Le monde pourrait bien se disloquer ça n'aurait aucune importance. Il avancera, sans cesse.

  Son rythme change jusqu'à se figer complètement devant une boutique. Dans son regard ne brille plus l'éclat du but achevé mais bel et bien celui du verre si précieux derrière la vitrine. Bonsoir, bonsoir, douce liqueur ! Que vous êtes jolie ! Que vous me semblez belle ! Et... trève de blabla !

  A bas la fierté, à bas le doute, l'homme entre dans le local, ressort une bouteille à la main et une bourse en deuil de son triste butin. L'alcool ingurgité, l'effet de jouissance toujours présent, la bête se résigne à retourner dans son antre, à s'asseoir à nouveau, à ramasser ses pièces, à attendre sa tournée...