"Affermi dans mon ventre se dressait le golem. Tout petit déjà, il ne ressemblait pas aux autres enfants. Mais maintenant il avait pris l’aspect d’un bel adolescent au visage vaporeux. Plus de doute, il s’était développé harmonieusement.
Je n’avais pas pris garde à sa transformation. Un matin de Juin, il se manifesta, plus grand que les montagnes. Et tout de suite, il détourna sa face, comme si elle eût pu m’effrayer ou me faire mourir.Un moment je me demandai s’il ne me jugeait pas indigne de le regarder. Mais non, c’était simple pudeur de sa part. Je la respectai. Pourtant, indigne de cet enfant que je n’avais pas eu conscience d’avoir nourri pendant toutes ces années, je l’étais bien. Il me détrompa à nouveau: comment pouvaisje penser cela? Après l’avoir accepté quand il était nu et en déroute, je l’avais écouté, consolé, réchauffé dans mes entrailles!
Nous fuyions tous les deux. J'avais échappé aux masques de fer. Lui avait eu moins de chance. Il gisait au bord fangeux du lac, sans forces. Les yeux déjà clos.
"Rappelle toi."
Quand sa guenille corporelle avait trouvé asile dans le refuge de mon sein, il ne croyait pas qu’il vivrait.Moi, extasiée de bonheur d'être jugée digne de recevoir le bienheureux dépôt de sa volonté, je voulais y croire et je tentais de le rassurer. Mais l’entreprise née sous les auspices de la folie et du désespoir me semblait du domaine pur du rêve. Dans un ultime effort, il avait néanmoins retrouvé sa forme. Je l'avais vu s'enfiler entre mes cuisses.
Il s'insinua par la fente. Froid, visqueux, sinueux et gluant, avec quelle vivacité s'était il insinué dans l'ardeur! Empressement salutaire. Au loin, on percevait déjà les échos de brétaille.
Cachée dans les roseaux acérés, je m'étais pâmée de douleur. Je ne m'en souvenais plus. Il sourit avec modestie.
"Tu as retrouvé la conscience dans le ravissement."
Cheminer, courir, le sauver … Je n'avais pensé qu'à déguerpir quand mon ventre entier brûlait encore du poison de sa langue.
"Comment astu pu oublier?"
Hélas!
Après le dépôt de sa précieuse personne, n'avais-je pas senti tressaillir de soulagement le pauvre petit être écorché et sanguinolent? Il me caressa le coeur jusqu'à la limite de ses forces.
Il avait dormi longtemps sans se manifester.
Chaque nuit, pour trouver le sommeil, alors que je ne le sentais même plus palpiter dans mon sein, je devais m’imaginer le jour où il apparaîtrait radieux comme aujourd'hui et comment il se pencherait dans mon cou pour y sucer le lait de la vie.
L’extase.
Chaleur. Chaleur!
Le tout petit peu en trop qui fait qu’on jouit.
Faible femme, j'avais accueilli l’ange opprimé. Je croyais naïvement le porter toujours en gestation. Et voilà que se dressait l’embryon vengeur. Il se levait contre les ennemis de sa mère.
Il but, plusieurs fois, à mes veines. Longtemps, sans hâte. D'une pression des doigts, il rendait souffle à la chair abandonnée. Je palpitais. Il me souriait. Ses lèvres effleuraient mes paupières
pâmées. Et il se recroquevillait dans mon sein."
*
Le feu de la transmutation dévorait les tripes de la femme.
Consumation délicieuse. Cendres vivifiantes. Certitudes fumantes. Le passage dans la Lumière devenait inévitable.
Une dernière fois, le quatrième jour, il suçat la vie à son poignet. La gorge se déchirait déjà en lambeaux et ne pouvait plus l'accueillir. Le ventre, grande excavation sulfureuse, béait au milieu des fumeroles. Mais l'épouse Vivait. Son sein se soulevait avec une régularité attendrissante en son sommeil. Il lui souriait. Sa main effaçait de son front les rides de l'angoisse. La vieillesse du Monde s'évanouissait dans la vie éternelle. Le serpent s'abreuvait à la source, conservant pieusement son venin sous la fourche afin de garder à l'eau toute sa pureté.
Et, comme chaque matin, il détourna son haleine de la face sacrée avant de s'enfoncer dans le cratère de braises. Il devenait le Ventre, l'avaleur avalé.
*
Une fois adulte, du ventre de la mère sortit un lézard noir, ses yeux brillaient comme le basilic.
“Tu m’as soutenu à l’heure du danger.
Je Suis l’Arbre de ton âme.”
Anne Mordred 2009
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Style : Nouvelle | Par Anne Mordred | Voir tous ses textes | Visite : 344
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Commentaires :
pseudo : obsidienne
le voilà donc ce sentiment éternel, qui ronge les entrailles et qui charpente l'âme...
pseudo : BAMBE
Epoustouflant!
pseudo : Anne Mordred
Merci. Excusez moi de répondre si tard. Il y a un bail que je n'étais pas venu sur le site.
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