Le temps, hier parfaitement clair, est aujourd'hui terni par le combat des nuages qui se heurtent, se chevauchent, se bousculent en une cavalcade de toutes les nuances de gris. Moite, l'air stagnant engourdit les sens. Des gens déambulent dans les rues presque vides d'activité. Leurs gestes ralentis les font ressembler à des caricatures humaines. Ce sont les vacances. La majorité des citadins a déserté la cité pour s'agglutiner, comme un essaim d'abeilles, sur les plages. La promiscuité a transhumé. Les moutons se retrouvent dans un brouhaha assourdissant. - Ne peuvent-ils parfois se quitter ? S'ils savaient pourtant combien est belle cette saison en notre région, dans cette ville, ils n'iraient peut-être pas chercher ailleurs ce qu'ils ont à portée de mains. Le soir, le soleil se fait douceur. Il atténue la brutalité de ses rayons pour saupoudrer de rosée ces grappes de raisins dont les grains juteux restitueront aux tables hivernales la chaleur enfuie avec l'été souvenir. Pleuvra-t-il ? Ce matin, l'herbe était mouillée. La pluie a donné cette nuit une caresse à la nature, la parant de milliers de diamants plus précieux encore que la pierre. Les roses rouges, plaies ouvertes dans le feuillage sombre, relevaient fièrement leur corolle pour se laisser innocemment admirer par des yeux encore embués de sommeil. Quelque part dans un bosquet, un merle modulait un chant de victoire. La vie reprenait son cours comme à chaque aube, traînant ainsi jusqu'au soir, crépuscule où s'éveillent d'autres bruits plus flous, presque toujours irréels, souvent inquiétants. Juillet piétine dans l'attente des feux d'artifice. Etrange cette propension qu'ont les peuples à fêter les tueries. Souvenirs absurdes du sang coulant comme un ruisseau qui se régénère, une fois l'an, en éclatant dans le ciel noir et pur de l'été pour troubler la quiétude, véritable injure à la paix. Ce sont pendant quelques heures, la liesse populaire, vulgaire mais bonne enfant, des bals au son d'un vieil accordéon poussif, des rencontres de hasard. Des couples, à la faveur de l'ombre, se forment le temps d'une étreinte. Des mômes s’extasient. Pour les autres, peut-être l'oubli pendant ce fantastique spectacle gratuit. - Qui se souvient encore des barricades de 1789, des pavés lancés sur les forces de l'ordre ? L'histoire offre parfois de curieuses analogies. Cette révolution en a inspiré bien d'autres un peu partout dans le monde sans vraiment modifier le sens du pouvoir. Il change seulement de visage, se déguise et se baptise d'un nom différent mais il dissimule toujours les mêmes envies de vengeance et de domination. Prétendre qu'il appartient au peuple relève de l'ineptie. Pourtant, depuis tout se passe dans la rue, domaine public de la contestation, de la colère et de la violence inutile. Etrange dérision quand démolir signifie immanquablement reconstruire ensuite ! Honorer ces ancêtres Sans-Culottes a moins d'importance que se soûler dans des transes constituées de bruits, de rires, de détonations certes pacifiques mais qui réveillent des instincts sauvages. Toute cette agitation sent fort. Le bon peuple aux allures burlesques ressemble à s'y méprendre aux héros de bandes dessinées. - Bonheur pour pas cher ! Certainement mais aussi peu durable que possible. C'est en tout cas ça de pris sur l'adversité ... La vie devrait se taire alors qu'elle pavoise. La mort, toujours discrète, ne fait pas plus de bruit que d'ordinaire mais continue à prélever son tribut dans cette masse compacte de corps qui se frôlent, se cognent et se disloquent au gré d'une fantaisie bien orchestrée. Bizarre de voir soudainement, dès la nuit tombée, la ville que l'on aurait cru abandonnée, se noircir d'une populace en folie. Les loups sortent de leur tanière. Les rues s'agitent pour canaliser la horde vers les quais d'un fleuve capricieux. La nature retrouve son calme trompeur et l'on peut croire un instant l'hiver revenu. Il faudrait mourir un jour de paix, tranquille et reposé, conscient et sans souffrance. Dommage que nul ne puisse choisir le moment et les circonstances. Question de chance... Regrettable aussi que les peuples de cette planète en sachent aussi peu sur la vie. Elle ressemble à une bonne idée mal formulée, à une parole de réconfort mal distillée donnant ainsi la victoire au mutisme de la mort. Des éclats de soleil tentent de forcer le passage entre les nuages dont l'offensive devient plus pressante. Ils veulent gagner cette guerre des éléments à laquelle les gens assistent en spectateurs impuissants, comme ils le sont de la fête et presque toujours de leur existence. Voilés, les rayons solaires diffusent une lumière tamisée douce au regard. Le vent s'est apaisé. Plus aucun frémissement dans les frondaisons des arbres longeant l'avenue comme des sentinelles imperturbables. On les dirait figés dans un garde à vous narquois. De rares voitures vont et viennent nonchalamment, troublant le silence d'un léger vrombissement. L'existence semble lasse et repue. Elle s'étire mollement, femme alanguie dévoilant ses charmes sans ostentation. Ce n'est rien sinon un jour quelconque de Juillet où la plume facile court sur le papier immaculé pour jeter, au détour des heures creuses, des phrases perverses nées de pensées confuses. Ce n'est que moi qui m'ennuie dans un quelque part où je ne me sens pas chez moi. J'attends de partir vers un autre endroit tout aussi endormi. Pour laisser passer le temps inutile, je me débauche en racontant n'importe quoi. La feuille me sert de confidente puisque je n'ai personne à qui parler. Ce n'est rien d'autre pour l'instant. Après, il y aura la route tout aussi grise que le ciel avec le risque de ne pas rentrer ce soir pour revoir les roses et sentir l'herbe mouillée. Il y a tant de fous meurtriers... Je vais jouer ma vie mais aucune importance, depuis longtemps j'ai pris l'habitude de côtoyer l'inexistence.
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Style : Nouvelle | Par MARQUES Gilbert | Voir tous ses textes | Visite : 733
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