Barton Solinger, la cinquantaine, les tempes grisonnantes, était assis derrière son bureau recouvert du bilan de la Solinger Extract Incorporation Mines (S.E.I.M.), il souriait, quand soudain, l’extirpant de ses projets d’investissements, le haut-parleur de l’interphone le fit sursauter.
- "Monsieur Solinger, un certain Monsieur Calderone désire vous rencontrer!" récita Sally - la secrétaire - de sa voix agréable.
- "Il a rendez-vous?" Solinger compulsa son agenda griffonné, Calderone, ce nom-là ne lui disait rien.
- "Non Monsieur, mais il insiste!".
- "Je n’ai pas le temps Sally, débrouillez-vous!".
- "Je n’y peux rien Monsieur, il prétend qu’il ne s’en ira pas sans vous avoir rencontré!".
- "C’est bon, qu’il patiente quelques minutes!" lâcha Solinger.
Barton Solinger était un homme qui avait réussi. Seul héritier de la Solinger Extract Incorporation Mines, il dirigeait son entreprise d’une main de maître et, grâce à un filon qui semblait intarissable, les bénéfices s’accroissaient considérablement chaque année.
116 ouvriers travaillaient jour et nuit à l’extraction du minerai d’argent, 15 employés, dont Sally, assuraient les différentes tâches administratives, 3 spécialistes et 6 laborantins exécutaient les premières analyses du minerai et cinq irremplaçables experts parcouraient la planète entière afin de vendre au plus offrant la matière à l’état brut.
Solinger rangea ses feuilles, il sourcilla en réfléchissant à ce Calderone qu’il ne connaissait pas et dont il n’avait même jamais entendu parler, puis, il rappela Sally et la pria de faire entrer cet individu.
La lourde porte de chêne vernis s’ouvrit sur la silhouette oblongue d’un homme à l’allure étrange, habillé d’un complet noir aux plis parfaits et d’une chemise blanche sans cravate mais boutonnée si fort au ras du cou qu’elle donnait l’impression de l’étrangler. Quand l’homme passa dans le rai de lumière tombant du plafond, un petit objet indistinct aux reflets d’argent miroita en attirant l’attention de Solinger.
Calderone s’assit face à Solinger, il croisa ses jambes sur lesquelles il plia soigneusement son long imper beige qu’il tenait sous bras gauche. Il souriait.
- "Que puis-je pour vous?" lança Solinger en serrant la main que l’autre lui tendait nonchalamment.
- "Je n’irai par quatre chemins Monsieur Solinger", Calderone parlait posément, sur un ton qui énervait Solinger et qui devait probablement énerver tous ceux qui l’écoutaient, "vous êtes quelqu’un d’intelligent poursuivit-il en se mouillant les lèvres, votre temps, comme le mien, est précieux. Combien?".
Estomaqué, Solinger qui ne comprenait rien à tout cela, se raidit dans son siège et observa son interlocuteur par dessus ses lunettes, comme à chaque fois que quelque chose l’irritait.
- "Combien quoi? expliquez-vous, je ne comprends pas!".
- "Combien pour l’objet?" répéta Calderone, toujours aussi aimablement.
- "L’objet? quel objet?".
- "Monsieur Solinger, je sais - mes employeurs savent - que vous êtes intraitable en affaires, que rien ni personne ne vous résiste, mais je vous en prie, trêve de plaisanterie, dites-moi combien vous en désirez, j’ai carte blanche!".
- "De quoi parlez-vous Monsieur Calderone, je ne vois pas!" Solinger sentit monter en lui une pression insupportable, ce genre de conversation l’exaspérait au dernier des points.
- "Le cube Monsieur Solinger, je désire vous acheter le cube!".
- "Le cube?" Solinger réfléchit l’espace d’un instant, puis il comprit presque aussi vite ce à quoi Calderone faisait allusion et précisément, en se laissant retomber au fond de son siège, il aperçut la croix d’argent épinglée qui l’avait ébloui tantôt.
…
Tout avait commencé la semaine dernière, tandis que l’équipe de Bronson travaillait d’arrache-pied au niveau 6 - le plus bas de l’exploitation - où elle tentait depuis plus de 10 jours, de percer une passe de granit particulièrement coriace.
Bronson s’était installé aux commandes de la pieuvre - un appareil sophistiqué qu’on appelait ainsi parce qu’il était doté de 5 bras articulés qui creusaient les roches les plus dures à raison de plusieurs mètres à l’heure, lorsqu’il stoppa la machine, la fit pivoter, puis reculer sur les rails que deux autres mineurs plaçaient au fur et à mesure de la progression dans la galerie.
Bronson retira le casque de protection qui couvrait ses oreilles et il se dirigea vers la paroi effritée.
- "Que se passe-t-il?" hurla un des hommes.
- "Là!", indiqua Bronson du rai de sa lampe électrique frontale.
- "Qu’est-ce que c’est ?" un type s’était approché et penché par dessus l’épaule de Bronson dont les doigts gantés caressaient l’étrange reflet bleuâtre qui miroitait dans la paroi rocheuse.
- "J’en sais rien, on dirait une pièce métallique, passe-moi un piolet!" Bronson donna quelques coups habiles, et sous les yeux écarquillés de ses camarades, il détacha le cube.
- "Qu’est-ce que c’est?" répéta encore l’homme qui l’éclairait.
- "Aucune idée, j’ai jamais vu une chose pareille!" Bronson frotta le cube du revers de sa manche et en estima les dimensions. "Ca fait dans les 8 ou 9 centimètres de côté, c’est plein et même assez lourd, mais à mon avis, ça ne vaut rien grand chose!".
Les hommes qui s’étaient amassés au fond de la galerie soupirèrent en rouspétant, une convention de travail leur garantissait une partie non négligeable du produit de la revente des objets découverts lors de l’extraction, aussi, quand le vieux Bronson leur signala que le cube ne valait rien, ils se mirent à râler et lentement, ils reprirent le travail.
Le cube fut remonté au laboratoire pour analyse.
- "Découverte n°3 provenant de la galerie N°16 au niveau 6" énonça le laborantin en passant précieusement le cube à Doris, un des chercheurs du labo de la S.E.I.M.
L’homme enclencha la touche record de l’enregistreur relié au micro fixé à sa blouse blanche et il commenta ses gestes.
- "Il s’agit d’un objet de forme cubique d’un poids de ..." Doris plaça le cube sur la balance de précision devant lui " de 7 kilos et 6 cent 77 grammes... et des poussières. Le cube mesure", Doris évalua l’arête de l’objet à l’aide d’un pied à coulisse "8,762 centimètre de côté sur la face numérotée 1". Doris retourna l’objet et déplaça le pied à coulisse "8, 762 centimètres sur la face numéro 6 et ", Doris fit encore pivoter le cube "8,762 centimètres sur l’autre face. C’est un cube parfait!".
- "Les premiers tests, Doris avait de nouveau enclenché la touche record de son enregistreur, sont assez éloquents, il s’agit d’un cube de strontium pur à 99,9%. Nous sommes en présence d’un phénomène extraordinaire de la nature! Nous transmettons rapport à Monsieur Solinger et envoyons l’objet au Musée!"
Doris repassa le cube au laborantin qui l’emballa.
Quand le lendemain, Solinger reçut le rapport du Laboratoire, il ne fit pas réellement attention à cet étrange cube de strontium, mais aujourd’hui, face à ce Calderone, il s’en souvenait parfaitement.
…
- "Le cube", répéta Solinger en se raclant la gorge, "le cube de Strontium, c’est de cela que vous parlez n’est-ce pas?"
- "Oui, exactement!" enchaîna Calderone.
- "Ce cube n’a aucune valeur, je ne vois pas pourquoi il vous intéresse autant!".
- "Vous pouvez pourtant aisément imaginer toute la valeur de ce cube, Monsieur Solinger!" Calderone s’était rapproché du bureau et il se penchait vers Solinger en baissant le ton, comme s’il désirait de confier.
- "Je ne vois, vous m’en voyez désolé!".
- "J’ai pu obtenir le rapport de votre laboratoire, Monsieur Solinger, il n’y a pas de doute, votre cube est pareil à celui que nous possédons déjà".
- "Vous avez un cube identique à celui-là?".
- "Sans doute!".
- "Mais, c’est impossible!".
- "Nous l’espérons!".
- "Qui représentez-vous monsieur Calderone?".
- "Les gens qui m’emploient", Calderone s’était mis à jouer nerveusement avec le petit crucifix épinglé sur la pochette extérieure de son complet, "désirent rester anonymes, vous comprenez, nous n’aimons pas la publicité!".
- "Mais où voulez-vous en venir?".
- "Monsieur Solinger, il faut me vendre ce cube, je vous en offre 100 fois son pesant d’or!".
- "100 fois son poids en or?" les yeux de Solinger s’étaient mis à briller.
- "200 fois et vous me permettez de l’emporter tout de suite!".
- "Le, ... je, … le cube n’est pas ici, nous l’avons installé dans notre Musée en Ville!" dit Solinger en songeant aux mirobolants bénéfices que la vente de ce cube allait lui rapporter.
- "Je vous en offre 5.000.000 et vous envoyez quelqu’un le chercher!".
- "Je, je n’y vois aucun inconvénient, mais allez-vous m’expliquer à la fin oui, ou non?".
- "Réfléchissez Monsieur Solinger. Je sais que vous n’êtes pas vraiment croyant ni pratiquant, mais quelqu’un comme vous, un homme de votre envergure, devrait se douter que si ce cube est le même que celui découvert 23 ans auparavant, nous sommes en présence non plus d’un phénomène naturel comme les compressions géologiques de l’écorce terrestre, mais plutôt d’un résultat mécanique!".
- "Vous prétendez que ce cube serait un objet fabriqué?".
- "Je ne prétends rien, Monsieur Solinger, quand nous avons appris l’existence d’un second cube, nous avons fait analyser le notre au carbone 14, les résultats de cette analyse sont effrayants!"
- "Que voulez-vous dire?".
- "35.000 ans Monsieur Solinger! Notre cube a 35.000 ans, il date d’avant l’apparition de l’homme sur Terre!".
- "Et alors?" Solinger ne voyait pas où l'homme voulait en venir.
- "Vous ne vous rendez pas compte Solinger?" Calderone avait haussé le ton, d’un bond, il s’était levé et avait frappé violemment son poing sur le bureau de Barton Solinger. "Un cube usiné, un cube parfait qui est plus vieux que l’Humanité? ... ça vous dit quelque chose? Vous tenez absolument à réécrire toute l’Histoire avec un grand H? Vous tenez absolument à ce que la planète entière soit obligée de revoir toutes ses théories, tous ses concepts? Vous imaginez si cela se savait, quel serait l’effet de panique dans les rues? les désillusions, les révolutions que cela engendrait?".
Solinger écoutait ébahi, plus rien d’autre que c’est homme en face de lui n’avait d’importance.
- "Vous essayez de me dire que l’homme n’est pas-".
- "Je ne dis rien!" l’interrompit Calderone, "je vous demande juste de me vendre ce cube, jamais plus vous n’entendrez parler de moi ni de ce cube, qui d’ailleurs, dès qu’il sera en ma possession, n’aura jamais existé! Je vous en conjure, vendez-le moi, c’est dans votre intérêt et dans celui de toute l’humanité! Je vous en donne 100 millions, 100 millions Monsieur Solinger, vous savez ce que c’est?".
Barton Solinger, les yeux perdus dans le vague ne se rendait pas compte de la somme astronomique que représentaient ces 100 millions, mais peu lui importait, ce que ce Calderone venait de lui révéler était bien plus important, bien plus affolant que tout ce qu’il pouvait lui offrir.
- "Sally, faite chercher le Cube, découverte n°3 de cette année à notre Musée, qu’on fasse vite!".
- "Bien Monsieur Solinger".
- "Voilà, d’ici une toute petite heure, vous l’aurez ce satané cube!".
- "Au nom de tous les hommes, je vous remercie Monsieur Solinger, vous êtes un sage!".
Solinger ne répondit rien.
À dater de ce jour-là, Barton Solinger décida de ne plus croire en rien, il refusa l’argent de ce Calderone et tous les soirs, allongé sur son lit, il observa les étoiles par la fenêtre de sa chambre dans le but d’un jour comprendre ce que tout cela signifiait réellement ...
FIN.
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Commentaires :
pseudo : VIVAL33
Alors: Qui croire? Faut-il encore croire? Pourquoi se sent-on obligé de croire?... J'ai beaucoup aimé ta nouvelle.
pseudo : Anne Mordred
Moi aussi, j'ai beaucoup aimé. C'est bien ce que tu fais.
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