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Déchirement - procédure de séparation de biens difficile par tehel

Déchirement - procédure de séparation de biens difficile

Tel le puissant faisceau d’un phare fendant la nuit, le rai de lumière du petit lampadaire du hall tournoyait sans cesse, comme mû d’un mouvement perpétuel.  Cà et là, par intermittence, il éclairait les murs et le sol, balayant alternativement les deux corps vautrés par terre.

 A défaut d’avoir réussi notre mariage, tâchons au moins de réussir notre divorce, s’étaient‑ils dit à une époque révolue qui devait dater du temps des dinosaures.

 Nolan était là, étendu sur le sol froid du carrelage uniforme et glacé, la gorge ouverte sur une plaie béante qui écumait à gros bouillons en laissant s’échapper une gerbe de sang continue et épaisse.

 A quelques mètres à peine, la femme gisait recroquevillée sur elle‑même, les yeux mi‑clos, la langue rêche, pendante et haletante au rythme de sa respiration courte et saccadée.

Elle avait les doigts crispés sur le couteau à rôti qu’elle serrait presque malgré elle, son chemisier déchiré était maculé de son sang mélangé à celui de l’homme, qui avait tout éclaboussé.

Animés de spasmes nerveux, ses pieds gigotaient fébrilement et semblaient agiter tout son corps de tremblements itératifs.  Sous sa poitrine en mouvement et dénudée, une masse oblongue et visqueuse s’écoulait lentement par gros paquets bleuâtres et empêtrés d’hémoglobine.  Chris avait les tripes qui se déversaient tout doucement sur le sol, sans qu’elle ne puisse rien y faire.  Juste au dessus de son nombril découvert, on pouvait nettement distinguer le trait propre et profond laissé par la terrible lame du katana que Nolan avait laissé choir à ses pieds; une plaie de plus de 20 centimètres par où les intestins de la femme se déversaient en un flot rythmé de ses expirations douloureuses.  Des intestins partout.  Des mètres d’intestins glaireux gargouillant de vie et mouillés, qui avaient laissé d’immondes traces sur le carrelage, depuis le pas de la porte de la cuisine jusque dans le hall.  Des intestins que la femme avait tirés avec rage derrière elle en se précipitant sur son mari, le couteau à rôti à la main.

Le sang jaillissant de la gorge fendue de l’homme se fit plus rare, Nolan parut expirer une toute dernière fois, et même s’il était déjà mort depuis de longues minutes, il sembla qu’il sombra dans l’éternité dans un dernier sursaut de furie.

Chris eut encore le don d’entrevoir le téléphone blanc sur la petite étagère à angles droits, son cerveau lui dicta d’essayer d’atteindre l’appareil et d’appeler les secours, mais elle n’en eut pas la force.  En d’horribles lambeaux, ses intestins avaient envahi tout l’espace autour d’elle, elle lâcha le couteau, et dans un effort surhumain, elle bougea les doigts, et puis, comme si cet ultime geste avait été de trop, elle mourut dans cette position fœtale.

Imperceptiblement, le rai du lampadaire ralentit pour s’arrêter finalement et se stabiliser sur le centre du carrelage du hall immaculé à cet endroit, comme si jamais rien ne s’était passé là.

Un lourd silence plana sur toute la maison plongée dans la nuit et dont l’écriteau en façade disait - à vendre - .  Sur la table de la cuisine, là où tout avait commencé, la double copie définitive de l’acte officiel de la séparation de corps et de biens de Nolan Carter et Chris Norman, semblait figé par le temps.  Sur les 16 pages annexes reprenant l’inventaire complet de leurs avoirs communs, chacun avait tracé un petit v pour marquer son accord, à la page n°14, ligne 21, à côté de “Blacky”, leur chien, elle avait fait écrire son prénom que Nolan avait barré de trois gros traits pour signer le sien par dessus.

Tandis qu’une lune rousse surplombait tout le quartier, aux aguets devant sa niche, Blacky hurla aux abois comme pour se jurer que tout cela n’était pas de sa faute...

 

FIN.

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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 490

Coup de cœur : 14 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : Le gardien du phare

Epoustouflant! Bien écrit ,ton texte qui laisse entrevoir une certaine fascination pour le "gore".

pseudo : BAMBE

Pauvre chien, c'est qui qui va s'en occuper maintenant? Un texte bien mené, une fin presque souriante pour un drame horrible. Coup de coeur