Je suis né avec une empathie très largement supérieure à la moyenne. A un tel point que je n’ai jamais vécu pour moi. J’ai toujours vécu pour moi mais à travers les autres, à travers le sentiment d’importance que je pouvais ressentir en m’immisçant dans une vie autre que la mienne pour résoudre des problèmes. J’ai toujours le sourire, mais je sais aussi le donner.
Mon fardeau s’est révélé très tôt, et comme une force guidée par l’inné, je n’ai jamais pu me résoudre à m’en défaire, aussi insupportable soit-il à surmonter. Au lieu de lutter, j’ai essayé de l’apprivoiser en essayant d’en faire une force, de le mettre à mon profit. Mais un fardeau comme celui-ci n’est jamais profitable à soi-même, il ne l’est que pour les autres.
Telle une drogue, il devient impossible de s’en séparer, et plus le temps s’écoule, plus on réalise que le bonheur suivant chaque prise est de plus en plus éphémère. C’est à cette image que ma vie s’est déroulée. J’ai tout d’abord tenté de résoudre des problèmes mineurs de mes proches, qui me laissait faire trop heureux d’avoir quelqu’un avec qui partagé des petits tracas quotidiens. Et puis de plus en plus, je me suis laissé emporter par cette vague de bonheur qui m’envahissait à chaque fois que je parvenais à soulager quelqu’un, à chaque fois que je me sentais utile, important pour cette personne. Je souriais lorsque je faisais sourire, je pleurais quand j’entendais pleurer. Victime de mon fardeau, par cette escalade au bonheur des autres, j’ai pris de l’assurance dans les moments de réconfort que je pouvais apporter. Je suis devenu un vase ou chacun venait y déverser sa tristesse, et cela me rendait heureux. J’ai fait sourire beaucoup de monde, j’ai surement beaucoup aidé aussi.
Je fais toujours ce rêve rédhibitoire qui m’obsède et me laisse un goût amer lorsque je me réveille. Je suis entouré de centaines de personnes qui me souris, me tendent les bras, me remercient d’être là. Et là se détache toujours de ces gens qui rayonnent de bonheur, un triste personnage de noir vêtu, le visage caché par un long repli de sa cape. Comme un aimant, je finis toujours par être attiré par lui. Tout en lui respire la tristesse, l’abandon, sans que je n’ai jamais eu besoin de voir son visage. Guidé par l’obsession de lui venir en aide, je lui tourne autour, lui pose des questions en essayant d’apercevoir son visage. Mon rêve est toujours resté flou, je ne sais pas pourquoi ni comment, mais il finit toujours par me repousser sans que je ne puisse en savoir plus. Mais il ne me repousse pas uniquement, il m’oblige à retourner vers les autres. J’en retire toujours un sentiment mêlé d’incompréhension et de tristesse, mais ce qui ressort toujours le plus est mon impression d’inutilité, de n’avoir pas su lui venir en aide. Je me réveille toujours à ce moment là. Je n’ai aucune explication à ce rêve. Tout ce que je sais, c’est que la nuit dernière, j’ai enfin réussi à voir son visage. Il avait des traits qui me semblaient si familiers et pourtant si inconnus. Je crois que dans mon rêve, je ne me suis pas rendu compte tout de suite de qui il s’agissait, j’étais trop heureux d’avoir enfin réussi à le démasquer et à lui faire baisser ses barrières. Mais cet homme… c’était moi.
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Style : Poème | Par damien alcatra | Voir tous ses textes | Visite : 995
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Commentaires :
pseudo : obsidienne
une réalité qui se rêve ou un rêve qui se réalise, voilà un texte plein de cette question sur le bénéfice que l'on retire de ses actes. J'aime cette réflexion
pseudo : dawn
heureusement qu'il y a les rêves pour nous faire comprendre des évidences aveuglantes. je trouve tout ça très intéressant; ... peutetre les anges sont des etres tristes et seuls qui aident pour etre aimé? on a tous tellement besoin d'etre aimé... alors ...
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