Il se tenait là, libéré, sur cette place vide, aucun bruit ne venant perturber la folle danse nocturne des feuilles d'automne. Elles tournoyaient sur une musique invisible qu'il ne souhaitait pas découvrir. Plus rien ne parvenait à ses oreilles. Il aurait pu entendre la promesse du vent qui emporte le feuillage dans des projets de lointains voyages, mais comme pour se préserver de l'enivrement du départ, il l'ignorait. Il savait aussi que demain, elles seraient toujours là, épuisées et délaissées par leur amant d'une nuit. Il les regardait s'étreindre, certaines dans un envol puissant et d'autres dans la douceur d'une brise. Quelques-unes se risquaient même à venir le frôler comme pour lui prouver leur fougue. Il partit sans rien leur dire, les laissant à leur destin noctambule, pour ne pas les blesser, comme il venait de quitter quelques heures auparavant ce brouhaha élitiste qui décidait, entre deux coupes de champagne, du beau et du laid, convaincu de détenir une vérité suprême.
N'était-ce pas ce qu'il avait cherché durant toutes ces dernières années? Une quête du beau et du vrai, dans une course effrénée de la ligne et de la couleur. Trouver l'esthétisme lui correspondant. Son propre sacré, pour le recréer, se l'approprier et ainsi disparaître en lui.
Quelques-fois, il avait pensé qu'une toile ne restait qu'une toile. Quelque-chose de plat, un simple objet décoré. Un simple ersatz de tout ce qui l'entourait au quotidien, et de tout ce qu'il pouvait connaître comme émotion. D'ailleurs, il fallait certainement bien connaître la vie pour devenir un grand faussaire. Ce qui l'intéressait était de toucher le vrai et ainsi s'enfuir dans le réel. Pouvoir créer une œuvre sans en être l'unique acteur. Et quand il parvenait à se laisser guider par l'œuvre en gestation, discuter avec elle en une sorte de questions réponses, il lui semblait véritablement que tout ce qu'il recherchait venait le frôler, comme le feuillage caressant l'avait fait tout à l'heure. Il se sentait vivant, et la toile n'était plus ce simple objet décoré, mais un miroir de l'âme destiné à être partager. Et c'est bien là que se tenait tout le paradoxe de cette aventure. Etre seul tout ce temps, pour que rien ne vienne interrompre la discussion entre son œuvre et lui. Seul des heures, des journées durant pour montrer à la multitude une pensée éphémère et ainsi peut-être parvenir à communiquer. C'était peut-être cela que l'on appelait être sur le fil. Toujours en équilibre entre deux mondes qui lui semblait si différents. Un va et vient incessant, qui parfois pouvait l'irriter et même le faire sombrer dans des abysses où cet équilibre n'avait plus lieu d'être. Un endroit empli de vide où même lui n'existait plus. D'ailleurs, c'est peut-être ce qu'il fuyait maintenant. Cette peur de se perdre et de ne plus se reconnaître dans ce qu‘il inventait. Fuir le vent, les feuilles d'automnes. Fuir ces gens dont il ne comprenait pas le dialecte. Fuir tout simplement, sans se demander pour quelle destination. Fuir encore sur ce fil de rasoir qui ne circule que dans deux directions : en avant ou en arrière pour toujours garder l'espoir de ne pas tomber. S'accrocher à lui comme l'on s'agrippe à la vie. Un cordon ombilical sans fin. Un no man's land peuplé d'âmes en perdition, où finalement la vie n'a plus de prise.
Mais alors, Il comprit que si ce fil ténu cédait, l'équilibre s'évaporerait en le laissant choir dans le tout, l'unité qui ne connaît pas de limite : l'infini, cet éphémère qui est l'éternité de l'instant.
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Style : autre | Par Denis.Z | Voir tous ses textes | Visite : 1091
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Commentaires :
pseudo : monalisa
Denis, "l'infini, cet éphémère qui est l'éternité de l'instant" inavouable sentiment de mystère, tu nous transporte continuellement dans l'absolu réelle de la vie, merci!
pseudo : Motus
La réalité est belle, tout comme ton texte!
pseudo : monalisa
Merci Denis pour ton mot encourageant!
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