Quand j'allais chez ma grand-mère manger quelques tartines de confiture d'arbouses ou des cornes, ces brioches inimitables en forme de boomerang au goût d'anis qu'elles laissait sécher dans des boîtes en fer, je me régalais de toutes les odeurs qui régnaient dans sa maison, je me remplissais de ces saveurs toujours nouvelles que ses yeux, pétillant, me destinaient. Et puis, inévitablement, je m'écoeurais de ce miel trop sucré ou de ces miettes bourratives. Le plaisir le disputait au péché, j'apprenais que derrière chaque boîte, il y avait une histoire, dans chaque bol baignait un secret de grands, et au milieu de toutes les petites joies disséminées dans les recoins de sa trop grande maison, je construisais un remord, celui qui devait me guider longtemps dans un chemin voulu droit par d'anciens exemples que je ne connaîtrais jamais.
Un jour, sur un site de littérature, j'ai retrouvé quelques recoins de cette maison que j'avais fini par enfouir sous le lierre de mon indépendance. Quelques toiles d'araignée dans les coins indiquaient que la maison était saine, les couleurs sur les murs n'étaient pas passées, les persiennes s'ouvraient facilement, bientôt le soleil entrait à flot et tapait sur les carrelages bien propres. Quelques accents de fraîcheur se mêlaient aux odeurs anciennes et fabriquait une inimitable ambiance de vacances.
Au grenier trônait une malle de déguisement, chacun s'y plongeait et devenait qui une fée, qui un chevalier, qui un lutin ou encore un fantôme, un certain même se changeait en pierre, c'est dire la force du sortilège de cette maison. On entendait dans toutes les pièces, jusque dans l'escalier déclamer la beauté du temps, la magnificence du lieu, jusqu'à la merveilleuse aventure humaine qui nous rassemblait.
La pièce centrale devenait presque trop petite, on avait rajouté des sièges pour le plaisir d'être nombreux. Sur une table, quelques délicieuses confiseries attendaient les mains gourmandes. Chacun se servait à volonté et partageait en toute innocence (cela frisait l'impudeur) le plaisir de cette belle découverte avec tous les passants.
Mais certains bonbons paraissaient réservés, les goûts divergeaient, l'abondance de sucre affolait, les petites chamailleries s'accumulaient, tout annonçait un drame.
Il survint.
Une gourmande (lui avait-on forcé la main ?) fit une indigestion. Consternation ! Elle partit précipitamment, laissant les joyeux drilles pas encore repus se plonger dans un abîme de questions. Y avait-il quelque poison dans ces mets si attirants, fallait-il les manger autrement, ou nos estomacs n'étaient-ils pas prêts à consommer ces friandises préparées différemment ? Chacun redoutait de subir ce sort, mais tous convinrent que l'accident, prévisible ou non, ne devait empêcher personne de continuer à prendre du plaisir.

Certains compagnons cependant espéraient que l'absence de cette convive ne durerait pas trop longtemps, cela jetait une ombre sur la fête, comme en leur temps l'éloignement d'autres complices de jeu.
Après tout, la maison est assez grande...