Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

AUTO-PORTRAIT par MARQUES Gilbert

AUTO-PORTRAIT

Voir ces villages des hautes terres se dépeupler m'attriste. Comme eux, je m'enfonce insensiblement dans une mort lente. Je m'anéantis, victime et bourreau de mon existence dissolue.

 

Pas de bilan !

 

J'ai fait beaucoup de choses trop tôt et surtout trop vite pour refuser aujourd'hui d'en payer le prix même s'il paraît exorbitant. En réalité, il n'est jamais trop cher et je passe à la caisse sans rechigner. Pas d'autres choix...

 

Des regrets ? Pas vraiment...

 

Les vieilles pierres s'effritent sous les intempéries. Elles se transforment en petits tas de sable gris dispersés par le vent capricieux comme le seront mes cendres.

 

Peut-être le feu purifiera-t-il mon âme ?

 

Les bâtisses d'autrefois se diluent en poussière jusqu'à laisser place nette. Le temps ne compte pas quand il s'agit de détruire. Patient, il érode choses et gens jusqu'à les réduire à néant. Restent parfois des souvenirs plus ou moins flous mais eux aussi s'étiolent comme les fleurs des champs sous la canicule. Ils s'estompent pour devenir des légendes racontées en chuchotant de bouches à oreilles.

 

Lieu commun : nul n'échappe à son destin.

 

ça ne veut rien dire. Les chemins d'antan ont disparu sous les herbes folles. Les tombes des cimetières abandonnés se sont affaissées sous l'indifférence, totalement oubliées. Il y a pourtant sous cette terre sèche des dépouilles qui furent jadis femmes ou hommes mais elles n'ont plus aucune espèce d'importance. Elles appartiennent au passé, à l'histoire, à ce qui n'existe plus depuis... longtemps.

 

Je vis encore. Je survis plutôt. Et je n'ai pas davantage d'importance que ces défunts. Je suis seulement un mort en sursis, une sorte de cadavre ambulant, fantôme délétère que le souffle quitte discrètement. Le zombie que je suis devenu s'imprègne du décor pour s'y fondre.

 

Ma route ne rejoindra sans doute pas l'horizon. Elle se découvre chichement jour après jour en rétrécissant. Il faut en accepter l'augure. Aucune désespérance, seulement la conscience progressive de n'être plus. La fatalité a bon dos pour les innocents qui la croient responsable.

- C'était écrit,

diront ses adeptes mais je n'ai rien tenté pour changer le cours du fleuve. Si la soif me taraude, j'en assume seul la faute. Trop tard cependant pour l'étancher. J'ai pollué le courant à sa source.

 

Demander pardon ? A qui et... pourquoi ?

 

Pas si facile pourtant de se persuader n'être qu'un voyageur de passage. Depuis toujours, je vais, je viens, je m'agite vainement comme tout le monde. Je porte le masque de l'inconséquence comme une seconde peau fripée. Je le sais maintenant à l'image que me renvoie le miroir mais je m'en fous. Je continue comme si rien n'avait mis un brusque coup de frein à mon avancée. Fatigué, j'ai ralenti mais je poursuis néanmoins ma route, de plus en plus inutile. Ce jeu m'amuse.

 

Les hommes d'hier comme ceux d'aujourd'hui ont bâti des maisons. Ils les ont pensées forteresses indestructibles. Le temps, indéfectible compagnon, a prouvé avec persévérance que rien de l'œuvre humaine n'est à jamais impérissable. Les toits s'écroulent. Les poutres se fendent et cassent. Des fissures lézardent les murs qui s'éventrent. Les yeux poussiéreux des fenêtres se ferment derrière les volets arrachés. Les gonds rouillés des portes bloquent définitivement les souvenirs amassés là comme des vieilleries tout juste bonnes à jeter. Tout s'achève enfin en un tas informe de gravats sur lequel les serpents viennent se réchauffer au soleil d'été.

 

Je ne me fais pas l'illusion de pouvoir résister aussi longtemps que ces ruines. Je me sais plus fragile. Je n'ai pas été conçu pour durer mais comme ces palais devenus taudis disparaissant sous les ronces, je

m'évaderai de la vie pour ne plus rien incarner.

 

Que m'importe de laisser des traces... Pareil à l'escargot, je tracerai mon chemin d'une marque baveuse dans quelques esprits chagrins mais la première pluie en effacera jusqu'à la moindre brillance. Je ne prétends pas à l'immortalité. Du reste, elle me serait peut-être ennuyeuse...

 

Insensiblement, les villages des hautes terres se transforment en mythes. Ils agonisent lentement de ne plus abriter personne et crèvent de leur inutilité.

 

J'ai essayé d'accomplir ce que j'avais à faire même si depuis toujours j'en connais la prétentieuse vanité. J'ai suivi ma voie pas à pas et maintenant, je me retourne pour la dépaver. Je ne veux pas que d'autres l'empruntent et la dénaturent. Elle m'appartient.

 

Heureux, malheureux, ces adjectifs n'ont pas eu à mes yeux de véritable signification. Je me suis souvent perdu au détour des mots par impossibilité de partage. J'ai joué avec eux et j'en joue encore comme des notions transparentes atténuant la lumière. Elles ont rarement fait office de glace reflétant ce que j'ai cru représenter. Elles se sont plutôt avérées être des vitres dépolies transposant mes pensées déformées.

 

Je m'aperçois avoir ainsi mystifié en maniant le paradoxe comme une baguette magique hormis que je ne suis pas une fée bienfaitrice mais plutôt un sorcier narquois. Je regarde ma vie plus encore aujourd'hui qu'avant comme un spectacle hilarant auquel je n'assiste pas en spectateur, que je ne subis pas en tant qu'acteur mais que je dirige comme un metteur en scène immature. Jeune, je voulais en faire un drame mais je l'ai peu à peu adapté en une farce grotesque, une sorte de parodie avec l'amour comme vecteur.

 

Je n'ai rien demandé à personne et je ne dois rien à qui que ce soit. Parler ainsi peut certainement choquer les humbles mais si j'ai proposé, disposé, usé, j'ai aussi laissé une alternative à... l'autre. Je ne suis pas de ces êtres despotiques qui obligent et commandent. J'aime trop ma liberté pour entraver celle des autres.

 

Qu'on me laisse donc mourir en... PAIX ! ! !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par MARQUES Gilbert | Voir tous ses textes | Visite : 702

Coup de cœur : 11 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : omar

excellent!!!!!!!

pseudo : BAMBE

Eh bien, c'est une vie, ta vie. Nous allons de l'avant, pourchassant nos rêves et fuyant les désillusions persuadés dêtre uniques. Nos souffles se raréfient chaque jour et les tombées de rideau sont parfois brutales nous allons tous vers le même final. Née dans de "hautes terres oubliées", j'ai été touchée par la description de cet abandon familier. Merci de ce partage.

pseudo : obsidienne

ce texte me parle, il résonne de notre néant, la chose la plus naturelle qui soit. Écris en paix !

pseudo : PHIL

JE SUIS SCOTCHE.SUPERBE;A+

pseudo : Claudie

C'est un très beau texte, mais... quelle résignation ! Ne peut-on pas aussi VIVRE EN PAIX ?

pseudo : bababilou

Bien rithmé !