Un bol de lait, simplement, un bol de lait fumant sur la table de la cuisine et qui caresse le début de cette journée. Quand les lèvres tiédissent au contact de cette blancheur profonde, surgissent en douceur des images fugitives ; c'est un vrai carrousel de jambes enfantines et de tabliers colorés, des rires ponctuent chaque mouvement, les adultes se tiennent au loin, pas vraiment concernés par cette survivance, quelques billes roulent, quelques cartes s'échangent entre des clins d'œil complices qui imitent gentiment la connivence des vieux amis.
Pas très loin, un vrai amoureux, une copine qui fait rougir et trembler, des embrassades toutes douces sur des joues bien fraîches ; on ne le sait pas encore, mais le cœur s'installe déjà dans la tête, prenant la place des tables de multiplication ou de quelques dates un peu difficiles à retenir. Il s'installe sur des coussins que la maîtresse a disposé pour faire plus de place, des coussins brodés par Richepin :
« Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : « C'est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. »
Et quand la première gorgée de lait vient réchauffer ce souvenir, le cœur se dilue tranquillement dans le breuvage et vient le colorer d'un rouge un peu éteint. Ce doit être cela le café.
Reste intact le sourire qu'il a fallu déployer pour boire toute cette cour d'école. Une bien belle journée !