Ecrire, et puis mourir un peu... L'écriture est le dernier acte de l'écrivain, il concentre en quelques mots et en une graphie incertaine toute sa vie. La graphie, parlons-en, est déjà un acte morbide. Essayer de transcrire en noir sur blanc, en bleu sur blanc ou en doré sur argent, bref en un assemblage terriblement matériel quelque chose d'aussi puissant qu'une pensée, une émotion ou un sentiment, c'est bien accepter de les détruire un peu...
Et quelle patience faut-il pour tourner et virer chaque lettre, chaque mot, chaque phrase en consentant à la découvrir mauvaise un peu plus tard et à la biffer pour la remplacer par une tournure elle-même discutable ?
C'est la raison majeure qui m'interdit de me dire écrivain, je n'ai pas cette patience, je n'ai pas ce suicide en moi et j'envie secrètement tous ceux qui sont capables d'écrire, physiquement, dans le temps nécessaire à l'élaboration d'une œuvre ; et l'assistance d'un ordinateur ne change rien à mon affaire.
L'écriture est ce passage extraordinaire, magnique (c'est gigi qui m'a enseigné ce raccourci de magnifique et magique en un mot), qui permet justement à la pensée de montrer sa limite. Cette pensée ou cette émotion qui continue de se développer, de trouver une solution à sa soif d'éternité, brusquement contrainte et arrêtée en quelques mots recèle tout ce qui a conduit un être à se montrer capable de dire qu'il existe. Chacun de nous fait cet effort et dans chaque texte, presque chaque mot, se trouve concentré l'ensemble des combats menés pour devenir quelqu'un.
Il y a des texte amusants, des textes légers, des textes chiants (oui, je sais), des textes rimés, des textes libres, mais il n'y a pas de non-texte ; ce qui signifie que le texte a une vertu. Elle est justement d'émaner d'un sujet sans qui il n'existerait pas. Évidemment chacun conjugue différemment ses combats, ses réussites et ses échecs, ses douleurs comme ses plaisirs, mais tous rendent compte à travers l'uniformité d'un acte de la complexité de l'humain et des différences qu'il organise au gré de ses expériences. Et c'est un réel bonheur de mesurer cela.
C'est un cheval de bataille pour moi, je me battrai autant que je peux pour que chacun ait le même droit à l'écriture; je sais que je ne serai jamais seul dans cette campagne, je sais aussi que je suis maladroit et que j'ai de la peine à dire ces évidences.
Donc, dans chaque texte se trouvent, parfois déguisés, de temps en temps à visage découvert, tous les ingrédients de ce qui lie les hommes entre eux, les pulsions de vie et de mort, les réflexes de survie, la nécessaire question de la connaissance, l'envie de l'autre et la pensée parallèle dont la piste conduit toujours à la même personne, celle qui souffre, celle qui accepte la souffrance de vivre au-delà du malheur, au-delà aussi du bonheur, celle qui réfléchit, celle qui se regarde et dont la lucidité tempère son enthousiasme, celle qui croit parfois n'avoir pas les même moyens et qui s'inflige des obstacles supplémentaires, celle qui aime, celle qui respecte autrui (dont l'étymologie respicere signifiait en latin : faire l'effort de regarder, donc regarder comme cela est et non comme on le voit), la personne semblable à soi, ni plus ni moins.
Écrire, c'est arrêter cette mécanique un temps, un minuscule temps, mais c'est l'arrêter, c'est réviser et examiner les conditions de l'écriture, c'est faire son testament, c'est prendre conscience que l'on n'est plus rien hors l'espoir que l'on met en son écriture.
Écrire est le dernier acte de l'écrivain, le reste n'est que vanité.
Et c'est bien, ainsi.
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Style : Réflexion | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 574
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Commentaires :
pseudo : BAMBE
Et bien dis donc! Voilà un texte à vider son encre! Une réflexion qui ouvre au débat.
pseudo : PHIL
OUPS!comme dit gigi magnique reflexion sur l 'écriture. Qu'est ce qui nous pousse tous a écrire et à aimer cela jusqu'à la déraison???
pseudo : scribio
Tu nous interpelles toujours Osidienne, écrire est un acte, un pas, à l'intérieur de nous, et vers les autres. Une bien belle reflexion. A bientôt
pseudo : ifrit
Tu as tellement raison, je t'envie de réussir "avec de la peine" à écrire ces "évidences" ! Je respecte ton écriture.
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
Une fine et juste analyse.
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