Renoncement.
Si quelqu'un m'avait demandé, il y a peu encore, s'il était possible que j'écrive cette lettre, j'aurais répondu qu'il fallait vraiment que je sois au bout du rouleau pour que cela arrive.
J'y suis.
L'amertume a fini de me ronger en me laissant juste ce qu'il faut de force pour terminer mon existence. Je ne crois plus en rien, je ne veux plus voir la tristesse m'envahir, je ne veux plus être dépossédé de ce souffle de vie auquel j'ai consacré ma vie. On m'a volé mes idées, on m'a volé mon honneur, on m'a volé mon sourire, on m'a volé ma joie de vivre, on me vole mon amour.
Pourtant je n'en veux à personne, ni à ceux qui ont échafaudé ce système délétère où la hiérarchie sert de main courante, ni à ceux qui courent derrière les mythes nouveaux pour se mettre à l'abri dans des conforts obscurs où leur intelligence ne peut plus franchir les limites de leur espace. On m'a volé mes idées, je le voulais bien, j'ai toujours accepté que d'autres s'enrichissent avec mes trouvailles, incapable que j'étais de le faire moi-même, on m'a volé mon honneur en ne reconnaissant pas la richesse que j'avais déterrée du sol ingrat des traditions, à ce moment-là, il y avait belle lurette que l'honneur n'avait plus ce sens pour moi. On m'a volé mon sourire c'était un accident de la vie d'une autre, j'ai compris que je ne pouvais pas rire en permanence, que pleurer parfois donne du lustre aux sourires qui suivent. J'avais compris cela, je croyais avoir grandi assez, je ne savais pas que mon être même devait encore payer un tribut trop lourd pour vivre. Je viens de l'apprendre, on m'a volé mon amour. Je ne parle pas d'un sujet chéri qui serait parti quêter ailleurs ce que je ne pouvais pas offrir, non, je parle de cette étincelle de vie qui nous anime tous, qui fait circuler le sang et battre les cœurs au sens propre et que l'on vient de souffler, ridiculisant même Prométhée qui avait tiré avantage de son larcin, avant de le payer pour mieux apprendre à tous que désormais il existerait une morale.
Avant de partir, je voudrais remercier tous ceux qui m'ont accompagné et qui m'ont aidé à franchir les premiers obstacles, qu'ils sachent qu'ils ne sont en rien responsables de mon incapacité à dépasser le dernier au pied duquel je m'écroule, en larmes. La douleur que représente pour moi mon départ se confond désormais avec celle que je supporte depuis tant d'années, persuadé que c'était le sens premier de la vie, sûr que vivre c'était fournir des efforts, en attendre les fruits et les récolter avec patience et abnégation, sûr aussi que la qualité de ces fruits correspondait à la rigueur, la lucidité, la volonté que l'on pouvait forger au fil des expériences vécues avec les autres, ceux qui produisaient finalement les mêmes efforts.
Alors j'ai recherché la rigueur, je me suis astreint à la tolérance jusqu'à ce qu'elle devint ma constitution, j'ai redéfini chaque concept universel pour être sûr de ne pas me tromper, sans bruit, j'ai aidé mes compagnons à réfléchir, parfois je les ai entraînés, trop loin peut-être qui goûtent maintenant les affres du doute qui m'a toujours servi de certitude instable. J'ai aussi poussé loin chaque expérience qui produisait dans ce processus de sanction/admission les plaisirs qui au long de ma vie m'ont donné un aperçu de ce que pourrait être un bonheur choisi.
J'ai construit un espace amoureux dont le respect et la connaissance, la sollicitude et la responsabilité sont les piliers. Dans cet espace, chacune et chacun pouvait venir se nourrir des différences tant vantées dans toutes les œuvres par toutes les bouches et par toutes les mains. Dans cet espace chacune et chacun pouvait se ressourcer et se poser librement la question du choix de sa vie. Dans cet espace, chacune était l'égale de chacun et les sourires de toutes disaient bien que c'était juste.
Cet espace s'est écroulé, brutalement en m'enfermant dans une anfractuosité inaccessible. Je vais en mourir.
Je n'ai pas peur de la mort, je m'y prépare depuis longtemps, sans crainte et sans regrets, je ne crois en rien, je sais que mon corps dans le meilleur des cas fera pousser une fleur et que mon âme s'inscrira par mon travail dans une mémoire anonyme. Je n'ai pas peur de disparaître, j'ai juste peur de vivre dans un monde sans amour, assez peur pour le refuser.
Quand ce texte paraîtra, si je peux formuler un dernier souhait, j'aimerais que vous énonciez publiquement une idée qui, d'après vous, permettrait de rendre le monde meilleur. Moi, j'ai échoué et je m'en vais triste, amer, inconsolable, perdu. Mais vous, peut-être...
Portez-vous bien, il paraît que le bonheur est toujours à venir
ceci est un exercice que j'avais posté il y a quelques temps puis retiré, mais il illustre bien la première partie de ma "réflexion"
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Style : Réflexion | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 703
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Commentaires :
pseudo : BAMBE
Drôle, j'aurais pu et je pourrais, encore, parler de ma vie, de mes convictions avec les mêmes mots que toi! C'est forcément troublant! Il est d'autant plus difficile de positiver que l'on est lucide, mais c'est, aussi, le plus beau combat de notre courte Vie...
pseudo : ifrit
J'en avais oublié la parenthèse du titre tellement la lecture se faisait fluide et passionnée ! J'ai eu peur que tu partes vraiment obsidienne ! Allons, il y a toujours quelque chose de bon à prendre quelque part, d'une manière ou d'une autre. Reste encore un peu, et observe sans haine. Il est bon parfois de ne plus produire. Si certains trouvent la vie si belle, c'est qu'il y a bien une raison !
pseudo : scribio
Est-ce un exercice ou une autobiographie ? j'éspère que ce n'est qu'un exrecice, que doit-on comprendre dans ton texte ? caches-tu une telle détresse ? en tout cas ce texte est rudement bien écrit, et trés beau.
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
En tout cas, tu auras eu le mérite de t'être donné jusqu'au bout. Et tu en sors grandi. Meurtri, très certainement, mais grandi, humainement parlant. N'est-ce pas ce qui fait la valeur d'un homme ?
pseudo : VIVAL33
Il me semble avoir déjà lu un essai assez ressemblant... (sauf qu'à l'époque il n'y était pas spécifié que c'était un exercice... ;-) ). Toujours aussi fort!
pseudo : ficelle
Je me souviens très bien de ce texte. je me souviens très bien de mon coup de gueule après ça et de la colère qu'il a entrainé en moi. Et, 8 ou 10 mois plus tard, après lecture et relecture, pèse sur moi toujours le même doute sur ce texte...Je ne SAIS pas. En tout cas, il aura au moins eu le mérite de faire réagir...C'était peut-être ça, l'exercice ?
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