Fils,
Quand tu auras appris le langage des Hommes, il te faudra apprendre à les aimer, et à leur pardonner. Tu n'es pas un Homme, mais nous t'avons élevé comme l'un des nôtres. Un jour, ou une nuit, tu découvriras ta vraie nature. Tu découvriras que le monde où nous vivons n'est pas le tien, que tes égaux l'ont déserté il y a bien des siècles, au commencement du règne de notre espèce. Tu es survenu dans notre vie, nous t'avons voulu, et même quand nous nous sommes rendu compte que tu étais différent, nous avons tenté de t'aimer.
Ta mère, au fond de sa caverne, n'a pas entendu les pierres rouler sous tes pas, n'a pas vu tes ennemis tomber sous tes coups, ni tes larmes couler sur tes joues. Pardonne-lui, elle-même ne sait pas qui elle est, tu es assez fort pour ne pas te laisser entraîner dans sa folie. Trop occupée à se retrouver, elle n'a pas vu son homme et son infant évoluer dans un univers dont lui suffisent les échos résonnant sur les parois de son ignorance. Pardonne-lui car c'est dans notre nature de haïr ce qu'on ne comprend pas.
Pardonne à ton père également, car il n'a pas su te comprendre non plus. Pourtant, tu le sais à présent, il t'a aimé malgré tout. Il a voulu te connaître, bravant les immenses barrières de ton espèce, t'offrant son soutien même dans les zones sombres de son existence ; et maintenant que tu as partagé avec moi, que nous avons partagé nos liens avec ton monde, il me semble mieux le saisir, mieux te saisir. Je me souviens, j'ai rencontré jadis quelques-uns de tes frères qui m'avaient effrayé. Ma mémoire me fait souvent défaut mais je puis affirmer de façon certaine que tu es plus beau qu'eux. Tu es mon fils. Je ne sais pas d'où tu viens mais mon cœur se gonfle d'orgueil quand je regarde le chemin que tu prends. Lorsque tu rejoindras les tiens, dis-leur que tu fais la fierté de celui qui t'a recueilli. Qu'ils m'accordent leur bénédiction et m'apprennent à mieux t'aimer. Je ne sais pas l'étendue de tes pouvoirs mais je sais que tu en useras avec justesse et honneur, car telles sont les valeurs que tu as forgées au contact de notre petite espèce. Je prie mon dieu pour qu'il te bénisse, qu'il bénisse également celle qui fera ton bonheur, elle te méritera.
Comment aime-t-on chez vous ? Est-ce comme chez les Hommes, avec plus de gestes que de mots, ou la passion laisse-t-elle la place à une raison noire comme la Nuit ? Faut-il que vos femmes souffrent pour vous aimer, ou le plaisir est-il un absolu ? Rappelle-toi : qu'importe la couleur d'une rose tant qu'elle est cueillie pour une vie.
Passe bientôt nous saluer, je t'attendrai à l'extérieur.
Ton papa
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Style : autre | Par ifrit | Voir tous ses textes | Visite : 745
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Commentaires :
pseudo : deborah58
Trés beau texte Ifrit qui traduit l'amour filial entre deux êtres de nature différente. La dernière phrase m'a vraiment ému "qu'importe la couleur d'une rose tant qu'elle est cueillie pour une vie". Magnifique et d'un grande véracité. Amitiés.
pseudo : obsidienne
je trouve que c'est un beau texte, un très beau texte. Il comporte d'une manière implicite un peu de la tragédie grecque, l'éternelle question du devenir. Merci de nous donner à réfléchir
pseudo : PHIL
QUE DIRE DE PLUS . VRAIMENT BEAU .DOMMAGE QUE PEU D HOMMES NE LAISSE UN TEL MESSAGE A LEUR FILS.AMITIES.
pseudo : BAMBE
Toujours sous le charme de tes mots, bravo.
pseudo : Billie
Au risque de passer pour obsédé, ou "freak" comme disent les amerloques, ton écriture m'excite Ifrit. tes mots, tes phrases auxquelles je peux y voir mille sens (j'exagère à peine je suis du Sud), le fait de ne pas comprendre l'histoire dès le début donc de ne surtout pas s'en détourner et finalement dévorer ton récit. Tu es un grand, Monsieur Ifrit, t'arrête pas de me faire fantasmer ! Au plaisir l'ami...
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