Mr Anderson aimait les vêtements démodés, fumer la pipe, regarder « Des chiffres et des lettres » sur sa télévision en noir et blancs, donner à manger aux canards dans le parc quand il faisait beau, boire du café avec des petits biscuits, manger des rognons, écrire, car il était écrivain, mais surtout, être seul. Il aimait le calme, la liberté de faire ce qu'il voulait quand il le voulait et ne dépendre de personne. Il vivait dans une petite maison, dans la banlieue de Londres, ville énorme, moderne et bruyante en cette année 2009. Bref, une ville bien loin de tout ce qu'aimait Mr Anderson. Sa maison était donc son petit sanctuaire, un petit coin de 19ième siècle, l'époque dans laquelle se déroulaient tous ses romans. Loin du cliché du vieux célibataire, Mr Anderson était très méticuleux, l'endroit était toujours propre et bien rangé. Mais voilà qu'il entrait maintenant dans la cinquantaine, que la couronne de cheveux qui lui restait était grise, que les rides se dessinaient sur son visage et qu'il n'avait plus vraiment envie de finir ses jours seul. D'autant que depuis un moment, il vivait uniquement sur les ventes de ses vieux romans. Et oui, en vieillissant, le puit de l'inspiration s'était tari et rien ne semblait pouvoir lui redonner vie. Bien sûr, il essayait. Il prenait bien souvent une longue feuille de papier à l'ancienne ainsi que sa plume noire et traçait quelques lignes, lentement, comme si, s'il se précipitait, elles risquaient de disparaître. Mais souvent, dès le premier paragraphe écrit, il jetait la feuille de papier au prix exorbitant et abandonnait. Il décida donc qu'il était grand temps de changer de mode de vie, ou du moins, d'y ajouter un petit plus, de mettre un terme à cette solitude qui, s'il l'avait aimée pendant bien des années, commençait maintenant à lui peser sur les épaules. Il s'assis un beau jour dans son fauteuil, près de la fenêtre d'où il pouvait apercevoir la rue vide et calme. Et se mit à réfléchir. Il pouvait adopter un chien, ou un chat. Mais non, il faudrait éduquer l'un comme l'autre, et puis, il y avait le bruit, les odeurs, le chien qu'il faudrait sortir, le chat dont il faudrait changer la litière... Non, tout cela le dégoûtait déjà. Un enfant serait de la folie furieuse, et il y préférait encore le chat ou le chien. Un poisson rouge ne vivrait pas assez longtemps, une tortue, probablement trop longtemps. Et puis il fallait se rendre à l'évidence, toutes ces idées manquaient d'originalité, comme toutes les histoires qu'il avait commencé ces derniers temps. Bref, il avait besoin d'aide. Un « Bang! » résonna contre la porte d'entrée, mettant un terme à ses réflexions. Grommelant, Mr Anderson se leva doucement, ses genoux craquèrent, lui rappelant une nouvelle fois combien le temps avait passé. Il ouvrit la porte d'entrée pour y trouver le journal du jour. Voilà qui pouvait l'aider. Il rentra, et se mis à éplucher les petites annonce, y cherchant une perle, quelque chose d'original qu'il pourrait acquérir. Pendant les jours qui suivirent, Mr Anderson ne fit que cela: lire les petites annonces pour ensuite attendre le journal du lendemain et ainsi de suite. Cela dura quelques semaines, mais jamais rien ne sortait de l'ordinaire. Il y avait bien eu ce chien à deux têtes, mais cela restait tout de même un chien. Il abandonna finalement, comme il abandonnait ses histoires. Pendant quelques jours, ils ne sortit pas, s'apitoyant sur son sort qui semblait désespérément lié à son problème de « page blanche ». Lui vint finalement une idée! Soudainement, sans aucune raison apparente, cette idée se forma sous son vieux crâne dégarni. Il lui restait une solution, bien qu'elle ne lui plus pas. Il y avait bien cette caverne d'Ali Baba moderne nommée Internet et dont il avait entendu dire que l'ont pouvait y trouver et y acquérir les choses les plus farfelues. Après quelques heures d'hésitation à peser le pour et le contre, Mr Anderson enfila son plus beau veston à queue de pie lilas ainsi que son chapeau haut de forme et pris le premier bus pour Londres. Arrivé à destination, pestant contre toutes ces automobiles crachant leurs fumées noires, ces haut parleurs diffusant une « musique » à déchirer les tympans et ces gens, habillés sans aucun goût, il se dirigea vers un « cybercafé ». Tous ces noms sans rythme, sans élégance, tout bonnement destinés à désigner quelque chose le répugnaient. Mais bon, parfois, il faut ce qu'il faut. Il entra dans une de ces constructions modernes aux allures crasseuses et s'approche d'un comptoir métallique derrière lequel, un énorme bonhomme était affalé, tel un morse sur une plage de l'antarctique, mâchant bruyamment un chewing gum. -Bien le bonjour Monsieur, je souhaiterais... Surfer... Sur internet. Le gros monsieur le regarda, interloqué. -Heu... Ouais... C'est deux pounds pour deux heures, trois pour quatre. Mr Anderson sortit un beau portefeuille en cuir de la poche intérieure de son veston et en sortit deux pounds qu'il posa sur le comptoir. Une grosse main grasse se posa sur les deux écus et les fit glisser sur le comptoir métallique, y laissant une horrible trace moite. Mr Anderson retint une grimace de dégoût. -Ok... L'ordi dans le coin là est libre. Mr Anderson se dirigea vers la machine désignée, passant derrière une adolescent muni d'un énorme casque dont on pouvait entendre la musique depuis l'entrée, ravi de pouvoir poser ses yeux sur autre chose que sur ce monstre de transpiration et de crasse. Il s'assis devant l'ordinateur, sur un siège roulant qu'il ne trouva aucunement confortable. C'était à se demander comment des gens pouvaient passer des journée entières assis là-dessus. Une fois habituer à ce trône incongru, il observa l'écran qui affichait un coucher de soleil parsemé d'icônes. Mr Anderson n'était pas habitué à ce genre d'engin, mais n'était pas pour autant un parfait imbécile. Prenant la souris du bout des doigts, après tout on ne sait jamais qui y a posé la main quelques minutes auparavant, il fit glisser le curseur en forme de flèche sur chaque icône, attendant qu'un petit rectangle s'affiche, l'informant sur ce qu'elles signifiaient. Il trouva finalement celle qu'il cherchait: une sorte de gros E bleu. Ce qui était un parfait nonsense étant donné qu'Internet ne commence pas par cette lettre. N'étant pas là pour découvrir ce nouveau moyen de recherche et de communication et en ayant encore moins l'envie, il n'y alla pas par quatre chemins. Arrivant sur la page Google, il se demanda ce qu'il devait faire, mais n'ayant pas envie d'appeler le morse à la rescousse, il se pencha en arrière, tel un élève essayant de copier sur son voisin, pour voir comment procédait ce dernier. Et ce fut la chose la plus incroyable qu'il ait jamais vu. Mr Anderson ne pouvait pas voir les doigts de l'adolescent tellement ils allaient vite sur les touches. C'était tout aussi limite si il pouvait voir comment utiliser Google tant les fenêtres s'ouvraient et se fermaient avec une rapidité telle qu'il était certain que cette enfant ne lisait aucunement ce qu'il y avait sur l'écran. Mais bref. Le système était simple. Mr Anderson devait donc taper l'objet de ses recherches dans le rectangle prévu à cet effet. Sauf que... Sauf qu'il ne savait pas ce qu'il cherchait. Il tapa donc lentement quelques mots-clé: bizarre, amour, annonces... Une heure et quarante deux minutes s'écoulèrent avant qu'il ne trouve, au milieux de petites annonces plus incongrues les unes que les autres comme « étudiant chirurgien cherche fœtus de siamois » ou encore « Cannibale invite suicidaires à dîner », exactement ce qu'il cherchait, ce qui lui fit ouvrir de grands yeux, et sourire. Une adresse figurait en dessous: « 32 Campbell Street, London SW7 2EN » et Mr M. demandait aux intéressés d'écrire pour de plus amples informations... C'était probablement une blague, mais après tout pourquoi ne pas essayer. Mr Anderson pris l'un des post-it mis à la disposition des client à côté de l'écran et écrivit frénétiquement l'adresse. Une fois rentré chez lui, c'est tout aussi excité qu'il repris sa plume, une nouvelle feuille de papier dont le prix valait mieux d'être oublié et se mit à écrire. « Cher Mr M., J'ai vu votre annonce faite sur internet et il se trouve que je suis très intéressé par votre offre. En effet, il me plairait beaucoup, de posséder quelque chose d'aussi original sans être encombrant, qui pourrait me tenir compagnie, pour finir mes vieux jours. Pourrions-nous nous rencontrer afin que je puisse en constater l'état et me décider? Merci d'avance et sincères salutations, Mr A. Anderson » La réponse ne se fit pas trop attendre. Deux jours plus tard, Mr Anderson trouva dans sa boîte au lettre une enveloppe blanche, tout ce qu'il y a de plus banale, mais qui provoqua en lui une fébrilité qu'il n'avait plus ressentie depuis bien longtemps. Il s'installa dans son fauteuil, pour être le plus à l'aise possible, se bourra une pipe puis l'alluma, les mains légèrement tremblantes. Une fois prêt, il regarda l'enveloppe de plus près. Elle était quelque peu crasseuse et l'adresse était écrite d'une manière très irrégulière. Mais aux yeux de l'homme au crâne dégarni, elle était tout simplement merveilleuse. Il l'ouvrit et posa ensuite ses lunettes en demi lune sur son nez. « Chère Mr Anderson, Je serè ravi de vous rencontrez et de vous montrez la marchendize. Pourquoi pas vendredi 13 à une eure trante quatre du matin sous Riverton Bridge? Je vous attendré la. Salutations. Mr. M. » Mr Anderson se leva et se précipita vers le calendrier. Aucun doute, s'il ne savait pas écrire, ce Mr M savait calculer. Le vendredi 13 en question n'était autre que le surlendemain! Un grand nettoyage s'imposait donc, et pendant tout le temps qui lui restait, il nettoya la maison, pourtant déjà plus que propre, de fond en combles. Il en profita également pour téléphoner à un magasin d'électroménagers et exigea que l'ont lui livre, dès la première heure le matin suivant, un énorme congélateur. C'était un cadeau, une surprise, ils avaient intérêt à ne pas être en retard. Vint alors le grand soir. Il n'y avait pas eu longtemps à attendre, mais cela avait semblé être des années pour Mr Anderson. En deux jours, il venait de gagner encore quelques rides. Malgré tout, il était heureux ce soir, stressé, certes, ce serait bien la première fois que quelque un pénètrerait dans sa maison pour plus de quelques minutes, mais heureux. Il se voyait enfin sortir de ce gouffre dans lequel le temps l'avait sournoisement enterré. Ce matin, le livreur était arrivé et ensemble, ils avaient installer le congélateur commandé dans la cave. Grand, blanc et moderne, il trônait maintenant là, telle une balafre dans ce sanctuaire passéiste. Le point de rendez-vous n'étant pas loin, Mr M. semblait également connaître Londres et ses alentours comme sa poche, Mr Anderson resta assis dans son fauteuil, bourrant et bourrant encore sa pipe jusqu'à une heure quinze le matin d'un vendredi treize du vingt et unième siècle. Il se leva finalement, mis un beau veston de velours rouge et sortit. Il faisait froid au dehors, mais heureusement, il n'y avait pas ce vent qui le rend piquant. Peu importait pour Mr Anderson qui, emporté par toutes ces nouvelles sensations qu'il découvrait, telles l'excitation et le renouveau, ne portait pas attention sur son environnement. Il ne lui fallu pas longtemps pour arriver à Riverton Bridge, mais personne ne l'y attendait. Perdant d'un coup tout ce qu'il avait cru gagner en deux jour, il se mis simplement à espérer, sans trop y croire, que tout cela n'était pas une blague. Car après tout, cette annonce était tout de même surréaliste. Il s'assis sous le pont, comme un sans abri, seule la bouteille lui manquait. Pour l'instant, dans ses vêtements hors époque, avec son air désespéré, il avait seulement l'air d'un fou. Mais soudain, un bruit se fit entendre, au loin. Un bruit de moteur... Jamais Mr Anderson n'aurait cru pouvoir être aussi heureux d'entendre ce bruit affreux. Et pourtant! Bientôt, un van noir, en mauvais état, faisait marche arrière sous le pont pour s'arrêter juste devant le vieil homme. Puis plus rien. Pendant une minutes, deux, trois. Et finalement, la porte côté conducteur s'ouvrit. Trop de suspens pour Mr Anderson qui s'approcha lentement, comme s'il allait faire une rencontre du troisième type. Et à vrai dire, ce fut un peu le cas. Un homme de grande taille, maigre et au visage émacié sortit lentement du van. Il portait une longue veste de cuir noir, du même genre que celles que portaient ces jeunes gens de la villes, maquillés de blanc. Ses cheveux étaient coupé court, à l'anciennes, avec une ligne bien dessinée. Mr Anderson ne pouvait en déterminer la couleur dans l'obscurité, mais ils ne devaient pas vraiment avoir une couleur bien déterminée. Probablement un châtain clair des plus banal. Il dégageait un charisme particulier et, quelque part, une certaine beauté. Mr Anderson avait du mal à imaginer que cette homme puisse écrire si mal, d'après ce qu'il avait vu en recevant la lettre deux jours plus tôt. Quand l'homme fut face à lui, Mr Anderson se rendit compte qu'il n'était pas seulement grand, il était interminable! -Mr Anderson? -Pour vous servir, répondit l'intéressé, tendant la main. Mais le mystérieux Mr M., si de Mr M. il s'agissait bien, ne lui serra pas la main, se contentant de lui tourner le dos pour ouvrir les portes arrières du van. L'homme parla, d'une voix calme, grave et profonde, sans se retourner... Il parlait bien mieux qu'il n'écrivait. -J'espère que vous vous êtes muni d'un congélateur, comme mentionné dans l'annonce. Elle a déjà passer un bon moment à l'air libre, c'est loin d'être ce qui lui faut. Mr M. entra dans le van et se retourna enfin, croisant pour la première fois le regard de son client. Mr Anderson en fut comme hypnotisé. L'extraterrestre possédait des grands yeux verts comme ceux d'un enfant, à l'exception qu'ils ne semblaient pas pouvoir exprimer grand-chose. Mr M. invita d'un geste le vieil homme à le suivre. Ce qu'il fit. Le sol du véhicule était trempé, comme s'il avait plu de l'intérieur. Les chaussures bien cirées de Mr Anderson n'en sortirait pas en très bon état, et cela l'aurait certainement attristé, s'il n'avait pas été si impatient. Mr M. se tenait devant une grande caisse en bois, fermée par un gros cadenas. Et, en y regardant bien, Mr Anderson se rendit compte que c'était de cette caisse que venait l'eau qui s'éparpillait lentement sur le sol. Mr M. sortit, sans même chercher un peu, une longue clé à l'ancienne de sa poche et se pencha pour ouvrir le cadenas, position qui, vu sa taille, aurait pu être comique s'il n'avait pas eu cette classe naturelle. Les mains de Mr Anderson tremblaient d'excitation, et bientôt, le contenu de la caisse lui fut brusquement révélé. Il ouvrit de grands yeux émerveillé, il venait de rajeunir de dix ans. La voix profonde de Mr M s'éleva, toujours aussi neutre et sur un ton monocorde. -Elle vous plait? Mr Anderson plongea ses yeux dans ceux, verts, de l'homme et hocha simplement la tête. Oh que oui! Elle lui plaisait. -Bien... Restez-là. L'immense Mr M. sortit du van et referma les portes derrière lui. Mr Anderson ne s'inquiéta même pas à l'idée qu'il venait de se faire enfermer dans le van d'un inconnu, avec le cadavre d'une jeune femme allongé dans une caisse en bois et couverte de glaçons. Cela dit, Mr Anderson, se retrouva bientôt chez lui, ainsi que la caisse et son contenu. Mr M. partit, il n'avait plus qu'à installer confortablement la nouvelle venue. Elle devait intégré son congélateur le plus vite possible, avait dit Mr M. avant de démarrer le van et de s'en aller, sans même un geste d'adieu. Maintenant seul, Mr Anderson souleva, avec peine, le corps pourtant petit et mince, de la jeune femme, pour le placer dans le grand congélateur. Une fois cela fait, il passa un bon moment à la regarder, d'abord d'un œil critique: ses vêtements étaient ceux des jeunes d'aujourd'hui. Elle portait un jeans large et troué qui ne mettait pas en valeur sa féminité, ainsi qu'un t-shirt trop grand, d'un rouge criard. Elle avait aux doigts et autour du cou des bijoux de pacotille... Puis petit à petit, le regard qu'il portait sur elle changea, se fit plus affectueux. Il arriverait à la changer, à lui faire apprécier des chose que, née trop tôt, elle ne pouvait connaître. Il la façonnerait à son image... Car elle était peut-être habillée comme une vagabonde, ce qui ne l'empêchait pas d'être d'une beauté hallucinante, avec ses longs cheveux noirs de geai, sa peau blanche, ses petits bras délicats. -Ouvre les yeux... S'aidant de son pouce et de son index, Mr Anderson lui ouvrit les yeux un à un. Elle avait de beaux yeux bleus, bien dessinés... Et il était très rare pour quelque un aux cheveux noirs d'avoir des yeux aussi clairs. -On va faire de toi quelque un de bien! Sur quoi, il se décida enfin à fermer le congélateur... Dès le lendemain, il mis sa promesse à exécution et pris le bus pour Londres où il se rendit dans les magasins les plus chics afin d'acheter des vêtements convenables à celle qu'il concéderait déjà comme un amie. Pour sur, elle lui avait tapé dans l'œil. Il revint le soir même avec les bras chargés de cartons. Il se rendit dans la cave et sortit sa jeune amie du congélateur pour l'allonger sur la table et la changer. Il se sentit tout de même légèrement embarrasser quand il la changea, découvrant son corps petit à petit, un corps jeune, ferme, pour ensuite, lentement, la vêtir. Et voilà qu'enfin se tenait devant lui une jeune femme extrêmement belle dans sa nouvelle robe de dentelle noire qui lui laissait les épaules nues sur lesquelles tombaient ses cheveux. Un pendentif couleur émeraude était la seule touche de couleur qui rappelait ses yeux. Au pieds, elle portait des mocassins noirs, semblable à ceux que portaient les ballerines. Mr Anderson la regarda à nouveau d'un œil critique, tel un artiste évaluant la valeur de son œuvre. Pour finir, un sourire se dessina sur son visage qui semblait de plus en plus jeune. Il était satisfait. Cinq années passèrent durant lesquelles Mr Anderson passa la plupart de son temps cloîtré dans sa maison, lisant les livres de Shakespeare à son amie, qui entre temps, était devenue sa belle, lui apprenant tout ce qu'il pouvait lui apprendre, lui faisant écouter du Mozart et du Bach, dansait avec elle et surtout, écrivant. Car elle était désormais sa muse, l'héroïne de son nouveau roman qui venait de paraître et qui faisait un tabac, chez les vieux comme chez les jeunes. Le couple vivait donc heureux, loin de toute tracasseries attenant un tant soit peu à la réalité. Mais Mr Anderson fini par sortir finalement, un jour matin, à l'aube, bien avant l'heure où, habituellement, il la sortait de son lit glacé. Il se rendit à Londres, utilisant comme d'habitude les transports en commun, et se rendit dans une des bijouteries les plus chères de la ville. Lorsqu'il rentra, se disant que sa belle devait commencer à se demander ce qu'il faisait, il se rendit dans sa chambre, leur chambre, où le congélateur était maintenant installé. Il ne pris même pas la peine de se défaire de son manteau doublé de fourrure qui lui était indispensable en cet hiver particulièrement rude, ouvrit la porte du congélateur et se mit à parler, très vite. -Tu es belle, tu es mon inspiration, ma muse... Je sais que tu es jeune, que je suis vieux... Mais tu es la femme de ma vie, celle que j'ai attendu pendant plus de cinquante ans maintenant. Alors, trêve de paroles inutiles. Sa main fouillait nerveusement dans sa poche, apparemment incapable d'en sortir ce qu'elle contenait, mais finalement, il en sortit un petit boîte couverte de velours noir. Et enfin, suant, il lui fit sa demande. -Veux-tu m'épouser? Pendant les deux minutes qui suivirent, Mr Anderson scruta le visage de la jeune femme. Elle avait pris de l'âge en cinq ans étant donné qu'elle avait passé de plus en plus de temps en dehors du congélateur. Ses yeux ouverts étaient de plus en plus opaques, sa peau se relâchaient un peu... Mais aux yeux de son propriétaire, elle était toujours d'une beauté incomparable... Et puis... Tout le monde prenait de l'âge, non? Lui-même avait de moins en moins de cheveux, et il vieillissait, même si ses yeux à lui brillaient d'une lueur nouvelle. Et elle ne répondait pas... Fidèle à elle-même. C'était ce qu'il aimait chez elle, sa discrétion. -Oh... Tu es tellement émue que tu n'arrive même pas à répondre. Sur ce, heureux, il posa pour la première fois ses lèvres, sur celle, congelées, de sa fiancée. Bien des prêtres eurent de belles frayeurs après cela, s'enfuyant un à un en se rendant compte que le couple qu'ils devaient marier n'était pas des plus habituel. Désespéré, Mr Anderson était sur le point d'abandonner quand il eu une idée. Il se rua alors vers son bureau et, d'un tiroir aux dossiers bien classés, sortit la lettre maintenant un peu décolorée qu'il avait reçu de l'ancien propriétaire de la future mariée. Tout fier, il redescendit dans le salon où elle l'attendait, assise dans le fauteuil, dégelant et ses doigts dégoulinant sur la moquette. -J'ai la solution, Henriet! Son regard sembla l'encourager à continuer. -J'ai retrouvé l'adresse de Mr M.! Je vais lui envoyer une lettre, lui saura quoi faire! Il s'assis directement à une table, s'empara d'une feuille de papier tellement chère qu'elle devait être faite avec peau du derrière d'un indien papou et, comme cinq ans plus tôt, se mit à écrire. « Cher Mr M., Vous rappelez vous cette magnifique nuit d'un vendredi treize il y a cinq ans d'ici? Les choses ont bien évolué depuis. Et il n'y aurait pas de mot assez forts pour vous remercier. En effet, nous sommes désormais fiancés, votre ancienne propriété et moi... Malheureusement, il semble qu'aucun prêtre de ma connaissance soit près à sceller notre union. Je vous serais donc encore plus reconnaissant si vous pouviez nous aider et, si vous le voulez bien, nous faire l'honneur d'être notre témoin. Merci d'avance... Mr A. Anderson » Et tout comme la première fois, la réponse ne se fit pas attendre... « Chère Mr Anderson, Je doi avoué que votre demende m'a surpri. Mais apre tou pourquoi pas? D'autan que, pouvan exercé en ten que prêtre je feré plus qu'ètre votre témoins. Pourquoi ne pas vous marié chez vous, dans la plus striquete intimité? Je passeré vous voir, mardi prochin... Le 31 octobre, dans la nuit... Bien à vous. Mr M. » Mr Anderson avait donc moins d'une semaine pour tout préparer. Décorer la maison, acheter de quoi faire un festin pour trois, Henriet, Mr M. et lui-même et acheter de quoi s'habiller pour faire cela dans les règles de l'art. Le jour venu, tout était prêt. Et, quand le soleil couchant commença à teindre le ciel d'un beau rose pâle, le couple s'habilla. Henriet troqua sa robe de dentelle noire pour une robe de mariée blanche mettant en valeur ses formes sans pour autant être indécente et Mr Anderson revêtit un costume noir des plus sobre ainsi que son traditionnel chapeau haut de forme. Ils étaient près, et l'attente commença. Assis chacun dans un fauteuil, Henriet dégelant lentement, comme à son habitude au point que la moquette, à cet endroit, avait commencer à pourrir, et son futur mari fumant sa pipe, rêvant, souriant. Trois coups résonnèrent soudain contre la porte d'entrée et Mr Anderson se leva d'un bond. Il ouvrit et accueilli chaleureusement l'interminable et pâle Mr M. qui, contrairement au couple ne semblait pas avoir pris une ride et portait une valise dans sa main droite. Sans attendre d'y être inviter, ce dernier s'installa dans le fauteuil occupé un peu plus tôt par Mr Anderson et alluma une cigarette en fixant Henriet droit dans les yeux, qu'elle avait vitreux. Mr Anderson rompis ce silence embarrassant. -Peut-être pouvons-nous commencer? -Bien sûr... Mr M. se leva et ouvrit sa valise pour enfiler, par-dessus ses vêtements, un jeans noir et un simple sweater de la même couleur, une robe de prêtre. Mr Anderson remarqua qu'elle était trop petite pour lui, mais ne s'attarda pas sur ce détail, il avait hâte de pouvoir enfin appeler Henriet, son épouse. La cérémonie se déroula dans le bureau, au premier étage de la petite maison. Mr M était placé debout du côté où, d'habitude, Mr Anderson s'asseyait pour écrire. Le couple, quand à lui, étant donné l'état d'Henriette, était assis sur deux fauteuil confortable, de l'autre côté du bureau. Pendant une demie heure, seule la voix de Mr M. résonna dans la pièce, profonde, glaciale, mais on pouvait y sentir une pointe fascination morbide pour ce qui était entrain de se passer, ce qu'il était entrain de faire. Mr Anderson, lui, avait le trac alors que sa future épouse, elle, restait d'un flegme étonnant. Finalement arrivèrent les mots tant attendus. Ce n'est qu'à ce moment que Mr M. leva les yeux de son livre pour rencontrer ceux de Mr Anderson. Ce dernier, sans savoir vraiment pourquoi, détourna le regard pour le plonger dans celui d'Henriet et lui pris la main. -Mr Anderson, voulez-vous prendre pour épouse Henriet ici présente? -Oui. -Henriet, voulez-vous prendre pour époux Mr A. Anderson ici présent? Une minute passa, dans un silence pesant temporisé par le tic-tac d'une énorme horloge. Enfin, Mr M. mis fin à cette situation qui aurait pu durer jusqu'à la fin des temps. -Je vais prendre ce silence pour un « oui »... Vint ensuite l'échange d'alliances, qui ne fut pas des plus facile: le doigt d'Henriet était particulièrement raide. Et enfin, le baiser final, dont Mr M. se délecta avec une fascination morbide. Il aurait d'ailleurs probablement accepté l'invitation de Mr Anderson à rester pour le reste de la nuit, s'il avait su ce qui allait suivre. Car cette nuit-là, Mr et Mrs Anderson perdirent tous deux leur virginité. Et le bonheur commença, ou plutôt continua, comme dans un contre de fées. Mais comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin. En effet, tous deux commencèrent à prendre de l'âge. Et si Henriet ne faisait que prendre des rides, attraper des taches de couleur sombre sur tout le corps, se recroqueviller et ne plus sentir la rose, Mr Anderson, lui, devenait lunatique et irascible Six ans avaient passés depuis leur mariage, l'année critique paraît-il... Un jour, alors qu'il lisait son journal en fumant sa pipe, le bras d'Henriet tomba mollement de l'accoudoir du fauteuil d'où elle le regardait, de ses yeux désormais complètement blancs. Mr Anderson explosa, se levant et lançant son journal au sol. Il ne sembla même pas se rendre compte que sa pipe était tombée de sa bouche pour atterrir sur la moquette. -J'en ai plus qu'assez de tes bavardages inutiles Henriet! Ca me casse les oreilles au point d'en avoir mal à la tête! C'en est trop! Je m'en vais! Sur quoi, il sortit, sans même revêtir quoi que ce soit, claquant la porte, laissant le cadavre qu'il avait épouser regarder dans le vide de ses yeux aveugles. Quelque minutes plus tard, il revint, toujours aussi énervé, claquant à nouveau la porte derrière lui. Il se plaça devant Henriet et pointa sur elle un doigt enragé. -Non. J'ai une meilleure idée! TU t'en vas! Je ne veux plus te voir! C'est fini, terminé! Il renifla. Une odeur de brûlé se faisait sentir. -A ben il ne manquait plus que ça! C'est ça, mets le feu à la maison! MA maison, nom de Dieu! Sans ajouter rien d'autre que des grognements incompréhensibles, Mr Anderson se rua dans la cuisine pour en revenir avec un verre d'eau qu'il jeta sur l'incendie naissant. Ce dernier mourut sous le coup de cet unique et ultime assaut. Mr Anderson pris ensuite son épouse dans ses bras et la souleva de son fauteuil, sans pour autant lui expliquer ce qu'il avait en tête. La colère ainsi qu'une certaine forme de folie brillait dans ses yeux. Il l'emmena dehors. C'était un beau matin d'été: le soleil brillait, les oiseaux chantaient... Le genre de journée où Mr Anderson avait l'habitude d'emmener son épouse à l'extérieur pour l'asseoir sur le joli banc de fer forgé qui décorait le petit jardin. Mais pas aujourd'hui... Il porta Henriet jusqu'à ce qu'il trouve un endroit au fond du jardin qui semblait à son goût et où il la laissa tomber au sol. Il s'empara ensuite d'un pelle, posée contre le mur faisant frontière avec le monde extérieur depuis des lustres, comme si elle avait toujours su, comme si elle avait attendu son heure. Mr Anderson se mit donc à creuser avec acharnement, sa colère ne perdant rien de sa puissance... Et pour cause: même allongée par terre, dans une position inconfortable, voire impossible, elle continuait à parler. Elle qui, au début de leur mariage, était tellement silencieuse s'était petit à petit mise à dire des mots doux à son époux, puis à dire ce qu'elle pensait pour finir par carrément le critiquer, voire même lui inventer des défauts. Mais en un peu plus d'une heure, tout cela fini dans un trou profond que Mr Anderson s'empressa de reboucher. Une fois la dernière pelletée jetée, la voix se tu. Les jours, puis les mois passèrent. Mr Anderson avait repris sa vie « normale », avec ses avantages et ses inconvénient: la maison était redevenue calme et l'imagination de Mr Anderson, stérile. De temps en temps, il lui arrivait de penser à Henriet avec affection, mais à chaque fois, la voix haineuse qu'elle avait eu pendant les derniers mois de leur vie commune lui revenait en tête. Il secouait donc cette dernière, comme s'il pouvait en éjecter quelque serpent y ayant fait son nid. Rien ne semblait pouvoir le faire changer d'avis au sujet d'Henriet, qu'il avait pourtant aimée à en devenir fou. Quand, soudain, il y eu trois coups, un peu timides, frappés à la porte. Mr Anderson soupira, revêtant son expression la plus désagréable pur faire fuir le plus vite possible l'importun et alla ouvrir. -TRICK OR TREATS!!! Une petite fille se tenait devant lui, un œil pendant sur sa joue droite, ses cheveux blonds emmêlés et ses mains réduites à l'état squelettique. C'est seulement à ce moment que Mr Anderson se rendit compte que ce soir, c'était Halloween et qu'Henriet et lui auraient fêter leur septième année de mariage si seulement il ne s'était pas mis en colère. Il fouilla dans sa poche, il n'avait jamais eu de sucreries à la maison, et donna quelques pièces de monnaies à la fillette. Cette dernière le remercia gentiment avant de s'en aller en sautillant, son œil de silicone se balançant joyeusement sur sa joue. Mr Anderson resta sur le palier quelques minutes, regrettant soudainement son geste. Après tout, aussi méchante qu'elle ait pu être, ne l'aimait-il pas encore? Et puis n'avait-elle pas raison quand elle lui reprochait d'être maniaque, imbu de lui-même et égoïste? Peut-être que oui, peut-être que non, la seule chose qui importait était qu'il ne se sentait pas capable de vivre une seule seconde de plus sans elle. Une fois sa décision prise, il se rua vers le bureau où une dernière feuille de papier aussi épaisse que coûteuse l'attendait. « Cher Mr M., Vous avez toujours été une sorte d'ange gardien dans ma vie ces sept dernières années. Vous avez été à l'origine de deux de ses moments les plus importants. Et je vous en suis plus que reconnaissant. Je dois avouer avoir fait une erreur, il y a quelques mois, et seul, je ne saurais la réparer. Serez-vous à mes côtés pour le guider, une fois encore? Sincère salutations, Mr A. Anderson » Contrairement aux deux premières fois, la réponse se fit attendre, mais Mr Anderson attendit, bien que ce fut difficile, biens que plusieurs fois, il se demanda s'il ne valait pas mieux essayer de mettre son plan à exécution lui-même. Quand un jour, finalement, ce fut mieux qu'une lettre qui arriva: Mr M. lui-même se tenait sur le palier. Ses cheveux avaient poussé, mais il paraissait toujours aussi jeun, propre et portait toujours le même type de vêtements noirs. Une autre année avait passé depuis l'envois de la lettre par Mr Anderson, et cette nuit-là, à minuit, le premier novembre, jour des morts, allait naître. Était-ce par pur hasard, ou Mr M. choisissait-il minutieusement les dates de ses apparitions? Mr Anderson lui-même ne s'était jamais posé la question. Il se contenta d'expliquer au géant à l'allure d'alien charismatique, ce qu'il s'était passé deux ans plus tôt, ainsi que ses regrets, et ce tout en style, digne de l'écrivain qu'il était. Malheureusement pour lui, il n'était pas tombé sur bon public. -Et alors? Qu'attendez-vous de moi? Venez-en au fait. Mr Anderson ne fut pas vexé, au contraire, il fut presque reconnaissant que Mr M. le pousse à, pour la première fois, énoncer son idée tout haut. -Je veux la rejoindre. Les deux hommes sortirent et se dirigèrent vers le fond du jardin, là où l'herbe avait repoussé, là où demeurait Henriet. La pelle qu'avait utilisé Mr Anderson à l'époque était toujours là, attendant encore une fois d'accomplir sa mission. Al la différence que cette fois-ci, Mr Anderson était bien trop fébrile pour creuser, trop occupé à chercher les mots d'excuses qu'il pourrait dire à Henriet. Ce fut donc Mr M. qui se muni de l'outil et commença le travail. N'étant pas porté par la colère comme l'avait été l'homme au crâne désormais complètement nu, il fallu presque deux heure avant que le bout de sa pelle ne heurte quelque chose de dur. Mr Anderson s'exclama, alors que Mr M. mettait au jour ce qui avait autrefois été une jeune femme et qui n'était plus maintenant qu'un cadavre dans un état de décomposition avancé. -C'est elle! Avec un empressement imprudent pour son âge, Mr Anderson sauta dans le trou pour rejoindre sa belle. Il s'allongea à ses côtés et embrassa sa bouche sans lèvres dont quelques dents étaient tombées au fond de sa gorge sèche. Il eu un dernier regard pour Mr M., d'abord reconnaissant, ensuite déterminé, signe que ce dernier pouvait achever son travail. Ce qu'il fit, sans aucune hésitation.
Et c'est ainsi que, loin de finir, l'histoire d'amour de Mr Anderson et Henriet pris un nouveau départ.
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : Nouvelle | Par Timedancer | Voir tous ses textes | Visite : 683
Coup de cœur : 13 / Technique : 9
Commentaires :
Nombre de visites : 7974