Les cris perçants des mouettes et des goélands, qui tournoyaient sans cesse autour de l'île, réveillèrent Pol. Le soleil, puissant, se levait à l'horizon, au loin, à l'infini.
Il s'étira longuement puis il ramassa le galet tranchant qu'il avait mis de côté. Avec méthode et application, il se mit à taillader l'écorce du palmier. Une troisième entaille, un troisième trait parallèle aux deux autres pour symboliser le troisième jour, ou était ce plutôt le troisième siècle ? Il n'en avait plus aucune idée, sauf que c'était la troisième fois que le soleil se levait sur l'îlot où il était condamné à mourir !
Déjà trois longs jours et trois longues nuits interminables qu'il avait été débarqué ! Tout lui semblait si loin à présent !
Pol s'installa sur le rocher. Ce n'était pas un véritable rocher, c'était une pierre de près de deux mètres de haut, qui semblait avoir poussé hors du sable, ainsi, sans raison. Il se mit à regarder au loin, à scruter, à attendre. Rien, juste la mer, l'eau, le bleu interminable, perpétuellement en mouvement et les reflets éblouissants du soleil rouge.
Pas un bateau, pas un avion ! Rien ! Le vide absolu, la solitude ...
Combien de temps lui restait-il à vivre ? Sa réserve d'eau diminuait, il n'avait plus mangé depuis plus de 77 heures et il n'avait toujours aucune idée de quoi se composerait son prochain repas. Bref, la situation n'était pas brillante !
Tout était de sa faute ! Si seulement il n'avait pas répondu aux avances de cette blonde platine au Bar Bybloss !
A nouveau, il se souvint des derniers événements qui l'avaient amené ici.
...
Les vacances s'annonçaient bien, l'hôtel était plein à craquer de jeunes filles célibataires, de belles créatures aux rondeurs naturelles et il avait fallu qu'il tombe sur cette fille là !
...
Deux mouettes, qui s'étaient posées à l'autre bout de l'île, se chamaillaient un coquillage.
...
Il avait commandé un "dynamite" et aussitôt, le garçon lui avait servi le cocktail, lorsqu'il porta le verre à ses lèvres, la jeune femme en question le bouscula légèrement et vint s'asseoir à ses côtés. "La même chose que Monsieur, Jo, merci !" C'était une habituée, elle appelait le barman par son prénom. Comme Pol se retourna vers elle, il plongea son regard dans les abysses de son décolleté profond et il découvrit les renflements de sa poitrine ferme. Elle lui sourit. Il lui offrit un second verre. Un troisième, tandis qu'ils parlaient.
...
Les deux oiseaux s'énervaient, les coups de becs volaient et le plus gros des deux semblait prendre le dessus.
...
Ils échangèrent leurs cigarettes, plaisantant à divers sujets et puis, ils décidèrent de prendre le repas ensemble. Elle lui avait déclaré qu'elle était célibataire et que tous les ans elle venait passer ses vacances ici !
...
Le plus petit des volatiles finit par abandonner et il s'envola, rasant les vagues blanches qui tâchaient la mer azure.
...
Au cours du repas, elle s'était rapprochée un peu, lui touchant volontairement le genoux. Elle croisait et décroisait les jambes dans une espèce de manège qui excitait Pol.
...
La mouette victorieuse se mit à manger le coquillage. Elle avalait par saccades et regardait Pol de son œil froid.
...
Il effleura sa main et leurs doigts se mirent à jouer à des jeux câlins. Une mouette ?
...
La fille passait nerveusement sa langue sur ses lèvres, pour les humecter. Ca n'avait rien de sensuel, c'était plutôt vulgaire, mais Pol sentait cette impulsion sexuelle monter en lui, de plus en plus ! Une mouette, pourquoi pas ? C'est comme un poulet ! Il saisit le galet et s'approcha lentement.
...
C'est elle qui lui proposa de passer dans sa chambre. "On monte ? j'ai envie de toi !", comme si lui, il n'avait pas envie d'elle ! L'instant d'après, ils s'étaient allongés sur le lit à eau.
...
Pol jeta la pierre de toutes ses forces, atteignant l'animal à la tête. D'abords étourdi, l'oiseau recula frénétiquement, battant des ailes, Pol courut l'attraper.
...
Ils n'avaient même pas pris le temps de se déshabiller complètement tout de suite. Elle lui avait arraché sa chemise de soie bleue et il lui avait simplement remonté de quelques centimètres sa robe de soirée. Elle n'avait pas de culotte ! Comme des bêtes, ils firent l'amour passionnément.
...
Pol serrait, il serrait très fort ! Tellement fort que les jointures de ses doigts étaient toutes blanches. La fille s'était mise à crier, à hurler, elle ... La bête s'était arrêtée de remuer et son corps sans vie se balançait ignoblement au bout de son bras. Maintenant, il savait ce qu'il allait manger !
...
La porte de la chambre, qu'ils n'avaient pas pris la peine de verrouiller, s'ouvrit à grands fracas. Trois hommes, à la mine patibulaire, pénétrèrent et se jetèrent sur les deux jeunes gens. Pol fut bâillonné, ligoté, emmené. Un coup puissant sur la tête, il perdit connaissance ! Le trou noir...
...
Il mit la dépouille de l'oiseau à sécher sur le rocher. Il le découperait tout à l'heure.
...
Quand il reprit connaissance, Pol était à bord d'un bateau, une espèce de yacht qui brisait les lames démontées de la mer agitée. Une vilaine bosse déformait son crâne. Un petit homme au ventre gonflé et aux traits tirés était assis face à lui. Il appela et deux autres types entrèrent. Le gros, c'était le mari de la fille, ou son mac, ou son ..., il ne savait pas quoi exactement. L'homme lui dit simplement, sans rancune, sans méchanceté, d'un ton tout à fait naturel, qu'il l'avait profondément offensé en couchant avec sa femme et qu'il lui offrait, "en récompense", les plus longues vacances de sa vie !
Pol ne dit rien, il comprenait très mal ce qui venait de se passer et il avait perdu toute notion du temps. Le soleil brillait très haut dans le ciel, alors qu'il venait de faire l'amour avec la blonde et que la nuit ne faisait que commencer.
Les deux gaillards l'empoignèrent et ils débarquèrent finalement sur l'île. On lui tendit un bidon de 5 litres d'eau et le bateau s'en alla. C'était une farce, une blague de mauvais goût, ils allaient venir le rechercher, le tabasser même, mais ils allaient revenir !
Mais ils n'étaient pas revenus ! En plein soleil, sans boisson, on meurt de déshydratation au bout de 3 ou 4 jours, mais sans nourriture, on crève plus lentement, on se bat éperdument pour tenir le coup, économisant l'eau et l'énergie, mourant un peu plus chaques jours...
Pol déchiqueta la peau de la mouette et en extrait les entrailles qu'il offrit aux vagues. Ce soir, lorsque l'oiseau serait bien sec, il le mangerait. Pas tout, il lui faudrait tenir des réserves, faire des parts. Quand se poserait le prochain oiseau ?
Si seulement il avait su nager ! S'il avait su nager, il aurait nager jusqu'à la côte, là bas, tout au loin, il nagerait ... combien ? Trente, quarante, cinquante peut être, peut être même soixante kilomètres jusqu'à la côte, jusqu'à ce qu'il puisse aller attraper le gros maquereau par le col de sa chemise amidonnée et l'étrangler, comme il l'avait fait avec cette stupide mouette !
Impossible ! C'était tout bonnement impossible, personne ne pouvait nager aussi longtemps, aussi loin, et surtout pas lui, puisqu'il ne savait pas nager du tout !
L'île, enfin l'îlot était désert. Ce n'était même pas un îlot, c'était un petit lopin de terre qui émergeait des eaux bleues. Du sable, du sable... Du sable et huit palmiers, 4 grands et 4 petits, bel équilibre ! Du sable, huit palmiers, et un rocher. Rien d'autre ! Explorer l'île ? L'exploration durait moins de deux minutes. 25 pas sur 32 ! Pas de végétation, pas d'animaux, pas d'humain, pas de distributeur de billet automatique, pas de Mac Donald, pas de bar où prendre un verre, RIEN, STRICTEMENT RIEN ! On l'avait abandonné là, et il allait y rester et y crever, sans l'ombre d'un doute !
Le soleil asséchait l'oiseau mort. Le soleil lui brûlait la peau ! Petite précision: Pol était nu, nu comme un ver ! Ces salopards l'avaient embarqué de force et l'avaient abandonné ici sans le rhabiller, sans le moindre habit ! Pol était encore dans la même tenue que cette nuit là, que cette nuit où son pénis en émois l'avait condamné à sauter cette fille, condamné à mourir sur cette île !
Il découpa tant bien que mal les chairs de la mouette crevée et il partagea la viande en quatre portions. Une double pour ce soir, une pour demain et la dernière pour le jour suivant. D'ici là, une autre mouette viendrait bien ! Du moins, il l'espérait !
Pol entra dans l'eau, il s'accroupit et profita quelques instants de la fraîcheur des vagues. Il sortit en courant dans le sable bouillant et il s'allongea à l'ombre des palmiers. Il creusa le sable et en sortit le bidon d'eau. Il but une longue gorgée, profitant de chaque instants, goûtant le goût merveilleux de cette eau si précieuse ! Il referma le bouchon et ensevelit à nouveau le bidon, à l'abri de la chaleur. Il s'endormit. Dormir, c'est tout ce qu'il avait à faire.
La fille lui avait menti, elle n'était pas célibataire, elle n'était pas seule ! C'était une nymphomane, une malade, une assoiffée de sexe que le mari laissait faire. Pol avait réfléchi, à voir sa dégaine, ce n'était pas la première fois qu'elle devait le tromper, elle avait certainement l'habitude de commettre quelques petites infractions à leur contrat de mariage, et lui, il devait certainement, à chaque fois, trouver une solution originale, pour "récompenser" l'amant qui se laissait prendre au jeu de la fille !
Peut être même qu'un autre imbécile avait déjà passé ses derniers jours sur cette île, peut être même plusieurs ? Pol rêva, il rêva de ses vacances au soleil et des jolies jeunes femmes qu'il allait rencontrer ...
Les picotements sur ses jambes l'éveillèrent. Le soleil avait tourné et il lui brûlait à présent les jambes. Il se leva et se mit à table. En fait, il reprit sa place sur le haut du rocher et se mit à manger la viande de mouette en pensant à autre chose, en observant l'horizon. Si seulement il avait eu du feu, des allumettes, du bois, du feu pour cuire l'oiseau, pour rôtir, pour ... Mais Pol n'avait rien de tout ça, il avait juste déniché une pierre plate, un morceau de roche dure et assez tranchante et il s'en servait pour tenir à jour son calendrier de fortune et maintenant pour chasser. C'était à peu près le seul caillou, hormis les petits effritements qui tombaient du rocher, il n'y avait strictement rien d'autre ! Il prit une seconde bouchée. La viande était molasse, élastique, difficile à mâcher et elle avait un goût ! un goût horrible, dégueulasse, horriblement dégueulasse ! Pol saisit un troisième morceau, son estomac protestait sourdement et il était pris de fortes nausées, mais Pol s'obstina, il fallait qu'il mange, pour garder des forces, pour rester en vie. Son envie de vomir passa et il finit sa portion. Il fit le tour de l'île, vérifiant les abords, là où l'eau venait mordre le sable, érodant l'îlot sans pitié. Pol cherchait, il regardait, si quelque fois un objet utile, une caisse de médicaments, une boîte de survie, une bouteille de bordeaux, un ... quelque chose quoi, quelque chose d'un naufrage qui lui permettrait de passer le temps, de gagner du temps et de reculer l'échéance fatale ...
Il reprit sa place sous les palmiers et il s'endormit en comptant les étoiles, en pensant à ses parents sur l'autre continent, à sa famille qui bientôt s'inquiéterait de son absence, à son patron qui fulminerait à la rentrée, lorsqu'il ne serait pas là pour assurer ses fonctions... Pol dormit d'un sommeil tranquille, le ventre rassasié, presque bien...
...
L'homme tailla le quatrième trait dans l'écorce du palmier. Quatre jours ! Combien de temps allait-il encore tenir ? Il repensa soudain à Daniel De Foe et à son Robinson Crusoé, mais là, ce n'était pas du cinéma, ce n'était pas de l'aventure, pas de chèvre, pas de Vendredi, rien, rien que la triste réalité et la solitude et au bout du chemin, la mort assurée. Il songea à cette femme qui était restée enfermée dans un ascenseur durant 8 jours, survivant malgré ses blessures, se battant chaque jour avec la mort et la faim, il se souvenait avoir lu une histoire qui racontait les mésaventure d'une autre jeune fille qui était restée dans une voiture, bloquée sous son amant durant des jours, mais rien ni fit, pour lui, il n'y avait pas d'échappatoire, pas de solution miracle, pas de coup de génie. La fatalité et rien d'autre !
Il déterra le bidon d'eau et but une gorgée. Un coup d'oeil au niveau du liquide tira le signal d'alarme dans sa tête, à ce rythme là, il ne tiendrait pas 4 jours de plus, le bidon était encore à peine à moitié plein. Il buvait trop ! Pourquoi lutter contre la mort ? pourquoi essayer de vivre un jour de plus ? qu'est-ce que ça pouvait faire ? Mais la mort, cette grande faucheuse impitoyable, n'avait qu'à bien se tenir, car il était décidé à vivre et à tenir encore longtemps, très longtemps ! Il fut secoué de frissons et un léger doute s'installa...
Pol se baigna à proximité de la plage, puis il reprit sa position sur le rocher. Ses yeux lui faisaient mal, les reflets mordants du soleil sur la mer les faisaient pleurer, mais l'homme ne quittait pas l'horizon du regard. Espérant qu'un navire passe...
Quand le soleil fut bien haut dans le ciel, il mangea la part de viande qu'il avait préparée pour ce jour là. Le goût n'était pas meilleur, du contraire, toujours cet aspect filandreux, racorni sur ses dents et cette saveur infecte !
Sa barbe poussait. Et il avait l'impression qu'il avait déjà maigri. Le repli de son ventre avait disparu pour laisser place à la peau flasque qui pendait autrefois au dessus de son pantalon. Pol se mit à rire, lui qui se trouvait trop gros !
Soudain, un bruit, un léger bruit inhabituel attira son attention. S'était comme si quelqu'un faisait du bruit en frappant avec un objet dur. Toc, Toc, Toc. Pol regarda autour de lui. Il n'y avait personne ! Rien ! Toc, Toc, Toc, le bruit était pourtant bien là ! Son cœur s'était mis à battre la chamade, défonçant sa poitrine. Il se mit à chercher.
Il fit le tour de l'îlot, scruta la cime des palmiers, Rien ! Il remonta sur le rocher, de là, il percevait mieux le bruit incessant. Il s'approcha du bord surplombant l'eau et là, il vit la planche.
C'était une planche de bois, de plus d'un mètre de long, une vieille, très vieille planche de bois qui cognait au rythme du ressac contre le rocher. Ce n'était que ça ! Pol l'extrait de la mer en prenant garde de ne pas y tomber, à cet endroit, il n'avait probablement pas pied et s'il tombait, il se noyait !
Il s'accrocha au roc et tendit les doigts. Encore quelques centimètres et il put enfin attraper la planche. Dans un effort prodigieux, il souleva la latte et la sortit.
Miracle ! Miracle ! Pol se mit à danser, à tourner en ronds, à faire des bonds, tellement il était heureux, tellement il avait de la chance ! Sur la planche, neuf belles grosses moules s'étaient fixées et n'attendaient que Pol pour être dévorées ! Superbe, autre chose que la mouette ces moules ! En un clin d'oeil, il les avala une à une, mais déjà, une espèce de regret l'envahissait !
Pourquoi les as tu mangées aujourd'hui ? J'avais faim ! J'ai toujours faim ! J'ai encore toujours faim !
Mais tu avais déjà mangé aujourd'hui ? Pol se tut, il arrêta de se parler à lui même, comprenant qu'il commençait à perdre la raison, devenant fou, tombant dans le piège du cocu. Mais c'était pourtant vrai, il aurait mieux fait de ne pas manger les moules, ç'aurait été un repas supplémentaire. Ce jour là, aucune mouette ne se posa sur l'îlot !
La nuit venait de tomber, la journée s'était étirée péniblement et le soleil l'avait brûlé davantage encore. Pol s'était allongé sous les palmiers et, comme les jours précédents, il comptait les étoiles.
...
Il tailla une cinquième encoche dans l'arbre et puis, il fit le tour de l'îlot. 31 ! il prit la perpendiculaire en observant la mousse légère qui se formait là où le sable disparaissait sous les vagues. 21, 22, 23, 24 ! Non, ça n'allait pas ! Il recommença son parcours.
31 pas sur 24 ! Pas un de plus ! C'était incroyable ! L'île s'enfonçait, petit à petit, elle s'enfonçait dans l'eau. Il observa les palmiers, et c'est vrai, ils étaient maintenant un peu plus près du bords !
Voilà autre chose maintenant ! L'île coulait, inexorablement, impitoyablement, elle coulait, entraînant avec elle ses secrets.
Ses secrets ? Mais alors ? Mais oui ! Si l'île s'enfonçait, c'est qu'elle avait été un jour plus grande, beaucoup plus grande même, et peut être qu'à une époque elle avait été habitée, ou tout simplement fréquentée ? Pol courut jusqu'au rocher, là où il avait trouvé la planche de bois qu'il avait mis à sécher contre le tronc d'un palmier et il descendit la parois rocheuse.
Il s'agrippait au caillou de toutes ses forces, prudemment pour ne pas tomber, pour ne pas couler. Il ne vit rien. Il n'y avait rien. Là il n'avait plus pied et s'il s'avançait davantage, il risquait de se noyer. Il remonta.
En tirant sur ses bras endoloris, il remarqua que le rocher avait été taillé, le rocher avait été taillé de trait parallèles, des traits comme les siens, des traits qui disaient combien de jour s'étaient passé ! Pol les compta du bout de ses doigts. 11 ! 11 traits pleins, un douzième moins net et sans doute un treizième, ou était ce l'usure du temps qui avait érodé la pierre ?
Il remonta sur l'îlot. A une époque, quelqu'un, tout comme lui, avait passé 12 ou 13 jours sur cette île ! Son imagination se mit à bouillir, il pensa soudain que ça avait dû être un autre amant de cette blonde que le mari cocu avait décidé d'abandonner sur cette île...
13 jours ! 13 longs jours, 13 très longs jours interminables ! Jamais, jamais il n'aurait la force de tenir aussi longtemps !
Et puis, pourquoi pas ? Pol n'était pas un perdant, c'était un homme qui aimait les défis, les paris , qui aimait se battre pour être le meilleur, pour être le plus fort, le premier. Il décida de tenir plus de 13 jours, il tiendrait 15 jours et si après cela il n'y avait pas un putain de bateau qui montrait le bout du nez, il se laisserait mourir, sans plus résister.
Voilà, c'était dit, c'était décidé, il tiendrait 15 jours, sans problème ! Sans problème ? Il tiendrait ! Au fait, c'est combien de jour de plus, 15 jours ? C'est combien de centimètres en eau potable ? C'est combien de mouettes ? C'est combien de coups de soleil ?
Pol sortit le bidon d'eau du sable et il ouvrit le bouchon.
C'est combien en heures, 15 jours ? Et en secondes ?
Obstiné, il referma le bidon qu'il remit précieusement à sa place sous le sable frais, aujourd'hui, il avait décidé de ne pas boire !
...
Le soir du 7ème jour, Pol avait très faim, il avait tellement faim qu'il aurait dévoré un bœuf entier, une mouette d'un coup, mais les mouettes semblaient le bouder depuis qu'il en avait tué une et elles restaient en l'air, préférant rester éloignées ou se posant de temps à autres sur la cime d'un palmier.
Pol avait faim, son estomac criait famine et le torturait de crampes tenaces et pénibles. Il souvenait avoir lu une histoire qui parlait d'un type, un médecin, qui était resté sur une île déserte durant des semaines, sans nourriture, juste de l'eau et ... juste de l'eau, son savoir faire et le formidable garde-manger qu'était son corps !! Ce médecin là s'était automutilé, se mangeant au fil des jours qui passaient. Quelle horreur ! Pas question pour Pol de se manger, d'ailleurs, lui il n'était pas médecin, il ne pouvait pas se recoudre, d'ailleurs, il n'avait rien, même pas une chemise pour protéger ses épaules ravagées par les cloques dues aux coups de soleil.
Il finit par dormir, rien d'autre à faire...
...
Assis sur le rocher, il regardait l'horizon. Cet horizon qu'il connaissait par cœur, les nuages qui grimpaient vers le ciel, la mer qui déferlait sans cesse. Neufs jours avaient passé et plus de 4 sans rien avaler. Ce matin il avait bu une gorgée d'eau, ses réserves diminuaient fortement, mais il fallait qu'il tienne, plus que 6 jours !
L'effort pour grimper sur le rocher avait été pénible. Ses forces l'abandonnaient un peu plus chaques jours, son visage était maintenant couvert des poils courts et durs de sa barbe et étrangement, ses côtes lui rappelaient les lames métalliques d'un xylophone. Bon Dieu que cela va vite ! Jamais, il n'aurait imaginé qu'il aurait pu dégénéré aussi rapidement !
La veille il avait ratissé le sable en surface et il avait placé la planche de bois, à présent sèche dans le trous qu'il avait creusé. Ce serait sa tombe. Il se glisserait sous la planche et il s'endormirait, pour toujours, dans 6 jours, six petits jours, six petites nuits, 6 fois 24 heures, 6 fois 24 fois 60 minutes, 6 fois 24 fois 60 fois 60 secondes. Il s'obligea à calculer mentalement. 144 X 3600 = 518.400 secondes.
518.400 secondes ! Non se dit il, 518.399, non, 518.398, 518397, 518.396 ... Pol se mit à compter à rebours, il n'avait rien d'autre à faire et il était si faible...
A l'aube du 10ème jour, il arpenta l'îlot. 23 pas sur 30. La mer avait encore gagné du terrain. Comme il allait entrer dans l'eau pour se baigner, une mouette se posa sur l'autre rive. C'était un petit oiseau, maigrichon, tout jeune. Pol ramassa son caillou qu'il avait laissé bien en vue pour l'instant crucial où une mouette se poserait. Il fit encore quelques pas lents. L'oiseau semblait fatigué, il cherchait, du bout de son bec, dans l'écume qui moussait au bords de l'eau et perpétuellement, il se retournait vers Pol qui s'approchait.
Son oeil semblait dire, reste là, fiche moi la paix, fais encore un pas et je m'envole ! Mais l'oiseau plongea à nouveau du bec. Pol tremblait, s'il ratait l'animal, il était persuadé qu'il n'aurait plus la force d'attendre le bon vouloir d'une autre proie. Il lança la pierre.
En pleine tête ! Pol l'avait eue ! Quelques gouttes de sang perlaient sur son bec ouvert sur un cri muet. La brise soulevait le duvet délicat de ses ailes déployées. Pol bondit sur la mouette.
Sans plus attendre, il arracha les plumes. Il coupa la tête sur place et emmena son repas sur le rocher. Il bavait ! Il découpa des petits morceaux rapidement et il se mit à les dévorer. Un régal ! Bon Dieu que c'était bon ! Bien meilleur que l'autre jour, moins tendre encore, mais bien meilleur ! Un véritable festin. Pour fêter l'événement, il but une grande gorgée d'eau. Il s'assoupit, son estomac avait finit par ne plus le tirailler autant !
Onzième jour. Rien à signaler. Pas de bateau, pas de mouette. Du soleil et la mer, du soleil et la mer et la faim !
Douzième jour. Pol, n'y tenant plus avait mangé un coquillage. S'était sec, salé et désagréable, mais s'était déjà ça ! Pas de bateau, pas de mouette. Du soleil, la mer, la FAIM et la soif. Le bidon était presque vide.
Treizième jour. Cette fois, la fin était proche, Pol eut d'énormes difficultés à tailler le tronc du palmier. Sa seule motivation, battre le record de son prédécesseur, être le meilleur ! Un goéland s'est posé. Pol avait rampé jusqu'à lui. L'animal faisait une pose sur le rocher pour avaler le poisson qu'il venait de pécher. Un goéland et un poisson, tout un programme !
Pol souleva péniblement son bras, hésitant, et il lança le cailloux de ses dernières forces...
Surpris, le goéland fut surpris ! Il s'envola, la pierre tomba à l'eau ! Le poisson gisait sur le rocher.
Pol y grimpa lentement, tirant sur ses doigts tremblants, se hissant jusqu'à son repas. Sans la moindre hésitation, il mangea, en une bouchée, le petit poisson. La tête, la queue, les arrêtes, tout ! C'était bon !
Pas de miracle, un si petit poisson, cela ne suffit pas à lui rendre la forme, mais le moral allait mieux, beaucoup mieux ! Sauf que le cailloux, son précieux silex, était tombé dans l'eau et qu'il ne pouvait plus le récupérer. Pol ne savait pas nager ! Vous le saviez déjà ?
La tête meurtrie pas l'épuisement, le cœur usé, les yeux embués, il s'évanouit, la FAIM était trop pesante.
Quatorze jours.
Cette fois, le trait était à peine une entaille de quelques millimètres qu'il fit avec les ongles de ses doigts. Pas la peine de monter sur le rocher, personne ne viendrait, et les mouettes, elles pouvaient se poser tant qu'elles voulaient, Pol ne pouvait plus rien contre elles. Plus d'eau ! Il avait bu les dernières gouttes. Cette fois, tout était fini.
Quinzième jour. La soif, la faim. Exténué, Pol attendit le soir, lorsque le soir tomberait, il pourrait se coucher dans son trou et fermer les yeux pour toujours. Ironie du sort, au loin, très loin, à l'horizon si net d'habitude, une tâche sombre se détachait, un petit navire passait au loin. Pol ne vit rien, ses yeux étaient tellement fatigués ! Une mouche qui s'était posée sur son bras avait été son dernier repas. Son estomac l'empêchait de bouger tellement il était serré.
Le soleil disparut derrière les vagues. Le ciel s'obscurcit. Pol compta une dernière fois les étoiles, cette fois il avait gagné, il avait été le meilleur. Il s'endormit.
Au matin du 16ème jour, Pol était toujours vivant. Moins frais, moins bien encore que la veille, mais il était toujours vivant, hélas ! Il commençait à regretter d'être en vie et espérait que tout se termine au plus vite. Il rampa péniblement jusqu'à l'océan et il but. C'était salé ! il avait encore plus soif, mais il but encore. Ses lèvres craquaient, elles se fissuraient au rythme des heures qui passaient. Sa peau était devenue brune, couverte de renflements purulents qui suintaient au soleil.
...
Dix huitième jour. Pol n'avait pas bougé, plus la force, plus l'envie...
...
Le jour suivant, ou était ce plutôt celui d'après, aucune idée, Pol dut se lever, il était pris de coliques virulentes. Il s'étira un peu plus loin et s'accroupit. Il n'avait plus ouvert les yeux depuis longtemps, ses paupières restaient collées, comme soudées sur elles mêmes ! En se soulageant, il pensa au dernier repas qu'il avait pris à l'hôtel: salade de homard aux artichauts et caviar d'oursins. Cabillaud cuit sur sa peau et asperges à la crème. Cylindre de coucou des Iles farci aux bâtonnets de légumes, sauce à la bière blanche, saucisses braisées à ... Pol arrêta de penser, il avait trop faim ! Quelle torture ! Il ouvrit les yeux, son ventre le persécutait horriblement.
Saucisses braisées... Pol saisit la minuscule saucisse mole et chaude, il l'engloutit. C'était bon ! C'était chaud, mou, ça fondait dans la bouche... Une petite voix frêle, dans sa tête, se mit à lui parler: "T'es pas sorti de la merde mon vieux !" il sourit péniblement et il s'écroula...
Sur l'écorce du palmier où la mer venait se fracasser, en s'approchant de plus près, on pouvait distinguer treize gros traits taillés profondément, trois autres à peine visibles et quatre autres encore que le temps n'allait pas tarder à effacer...
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : autre | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 598
Coup de cœur : 11 / Technique : 9
Commentaires :
Nombre de visites : 60710