Et un jour, je suis revenu sur cette plage de galets où j'avais connu tant de sensations délicieuses. Une plage baignée par une mer souvent calme dont la fraîcheur me permettait de me sentir mieux, bien en tout cas. Une plage de jolis galets ronds. Petit, je redoutais en riant ces cailloux que le reflux emportait par-dessus mes pieds fragiles, adolescent je les sentais s'imprimer sur mes os quand je roulais innocemment dessus pour me rapprocher d'un corps merveilleusement habité, adulte enfin je m'en appropriais quelques uns sans me rendre compte qu'ils allaient m'encombrer longtemps. Encombrer n'est pas le mot, ou alors il s'agit de ma mémoire, disons que je n'avais pas besoin de ces cailloux pour me rappeler le bonheur de grandir, le temps des vacances, de passer des caps importants pour mieux comprendre comment j'entrais dans ce monde, et si j'y entrais.
Le jour où j'ai rejoins mes cousins sur cette île, si éloignée de la côte que c'en était une vraie bravade, je les ai regardés autrement. J'aimais bien qu'ils me considèrent un peu des leurs, en retour je les regardais comme des frères, sans que rien ne se dise. Je pris là ma première leçon sociale. J'ai mis du temps à m'en rendre compte. Et j'y suis retourné souvent, parfois seul, parfois accompagné ; j'y ai rencontré d'autres personnes que je ne connaissais pas, qui comparaient les exploits.
Mais dans l'absolu, ce qui m'intéressait, c'était que la plage existât et qu'il y eût une mer entre elle et l'île. Pour certains la mer les séparait, pour moi elle faisait le lien, un lien de douceur dont les vaguelettes rappelaient étrangement ces idées continuelles qui vont et qui viennent, qui donnent un aperçu de la permanence des choses.
Et tout dans ma vie ressemble à cette plage, à cette île, à cette mer, à ces gens. Mon amour, mes amours, les liens avec ce soleil chaleureux qui brûlait nos cœurs plus que nos peaux et qui ricochait sur cette eau limpide où parfois nous allions aussi pêcher des poissons, mon travail qui consiste d'abord à faire plaisir, mon écriture qui est une espèce de mer où chacun peut se baigner sans se perdre, mon désir que je confonds avec mon respect et qui doucement, comme cette plage s'incline vers l'eau bienfaisante. Le temps n'a pas d'importance. Sur cette plage la lumière vient de partout, comme une abondance d'envies et lorsqu'elle décline, c'est la douceur et le plaisir qui sonne l'heure. Sur cette plage j'ai appris comment j'étais un paradoxe vivant en construisant ma culpabilité et l'obligation de m'en défaire. Sur cette plage les cris promis de ma mère impatiente au village valaient le sourire de mon amie, ou la dernière glace du marchand jovial ou encore un plongeon tardif qui ne sècherait plus avant le souper. Sur cette plage, les cailloux étaient brûlants par-dessus et froids par-dessous. La nuit, c'était le contraire.
Sur cette plage j'ai découvert la vie comme le goût salé de l'eau, et je m'y suis plongé, entièrement.
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Style : autre | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 500
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Commentaires :
pseudo : PHIL
JE NE VAIS PAS DISSERTER SUR TON TEXTE PENDANT DES LUNES . SIMPLEMENT C EST BEAU. ET TU M AS OFFERT DIX MINUTES DE QUIETUDE.MERCI
pseudo : deborah58
Le flux et le reflux des vagues semblables au flot de pensées qui se jouent de ton esprit... Superbe réflexion Obsidienne. Une fois de plus, je suis bluffée...Amitiés.
pseudo : ficelle
ça change, j'aime bien...J'aime bien que tu parles un peu de toi.
pseudo : Brestine
Non seulement on ne se perd pas dans ton écriture, mais on y trouve du bonheur. Le tien, biensûr, que tu sais si bien dire, puis le nôtre, à te découvrir ainsi dans une telle douceur, car il y a toujours le beau et le partage, ces deux choses qui te caractérisent tant... Je lis et relis toujours tes textes, pour cela.
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
Belle introspection, joliment poétisée. Magnifique tant sur la forme que le fond. Merci poète! ;-)
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