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Quand Sandra se souleva de nouveau, elle ne vit plus les pêcheurs. Elle se mit alors à réfléchir.
Pour la première fois, depuis hier soir, elle s'aperçut que la radio était branchée et diffusait une multitude de messages. Tout au long de ses péripéties avec Terry elle n'y avait pas pris garde et ensuite, loin d'elle l'idée d'y prêter attention. Elle observa l'appareil. Malheureusement, il s'agissait d'un récepteur et non d'un émetteur, sans quoi elle aurait pu essayer de contacter quelqu'un. Cependant, puisqu'elle recevait les messages de la police, elle mit à écouter afin de savoir si on la recherchait ou pas. Parmi les codes et le charabia des utilisateurs, nulle part, il n'était fait mention de son nom ! D'ailleurs, son père ne risquait pas de s'apercevoir de sa disparition, il ne se tracassait jamais pour elle ! Sa seule chance résidait dans les éventuelles inquiétudes de la femme de Terry, et encore ...
Un coup d'oeil à la position de la voiture et Sandra réalisa qu'il y avait sans doute moyen de la faire bouger.
En effet, la Ford était garée en marche arrière dans une légère pente et si elle parvenait à passer au point mort et défaire le frein à main, l'auto risquait de partir en avant, vers les arbres du sentier, quelques mètres plus bas.
Elle desserra donc le frein à main et déboîta la première. La voiture ne bougea pas ! La fille se mit à remuer un maximum par à‑coups, dans les limites des mouvements qui lui étaient possibles, se projetant violemment contre le dossier du siège incliné. Fort heureusement, elle parvint à ébranler le véhicule qui commença à se diriger vers le contrebas. Soudain, la voiture s'arrêta net.
Un gros caillou empêcha malheureusement le train avant de rouler plus loin. Tout espoir était perdu !
Toutefois, les reflets du soleil sur le capot lui indiquèrent qu'à présent la voiture était arrêtée quelque 30 centimètres plus bas et que la carrosserie dépassait des ruines. Peut‑être que quelqu'un finirait par remarquer la voiture espéra‑t‑elle.
La chaleur était déjà torride, il n'était pas encore 11h00, Sandra avait soif, sa langue était épaisse et sèche, il fallait qu'elle trouve à boire pour tenir le coup.
Elle observa alors plus méticuleusement la boîte à gants restée ouverte et y remarqua une forme bien connue tout au fond. Une forme aux couleurs rouge et blanc qui lui rappelèrent une canette de coca. A côte, elle repéra le spray d'autodéfense que Terry emmenait partout avec lui, quelques paperasses désordonnées et un paquet de marlboros déjà ouvert.
Malgré ses entraves, Sandra se débrouilla pour atteindre le coca, elle parvint à l'extraire avec le ceinturon en guise d'hameçon et aussitôt, elle ouvrit la boîte. La boisson était chaude et désagréable, cependant elle lui procura un bien fou. Terry était décidément très très lourd, et la phase descendante vertigineuse...
Sandra ne sentait plus ses pieds toujours bloqués dans cette sorte d'alvéole du vide‑poches. Elle éprouvait d'insupportables douleurs au niveau de ses genoux pliés et surélevés, mais c'était surtout son dos qui la faisait souffrir, courbée dans une position impossible et écrasée par le poids de Terry.
Dehors, la température augmentait toujours, et dans la voiture, l'air était très sec et quasi irrespirable. Les vitres étaient restées closes et à l'arrière, Terry avait eu la mauvaise idée de pousser la sécurité pour enfants, si bien qu'elle ne pouvait ouvrir la portière.
Bien entendu, Sandra avait pensé ouvrir la porte de son côté. Elle avait tenté d'atteindre la poignée en profitant de la sueur qui séparait son corps de celui de Terry, comme lubrifiant, pour essayer de se glisser vers la droite, mais lorsque ses doigts déclenchèrent le mécanisme, la portière resta bloquée. Terry avait en effet garé le véhicule si près des murs en ruines, qu'elle ne pouvait même pas profiter d'un rai d'air frais !
En plus de tout cela, Sandra devint malade de coeur. Elle eut des nausées et fut dégoûtée par les horribles odeurs qui avaient fini par envahir tout le véhicule. L'urine, les excréments, la transpiration, les vapeurs, la moiteur, étaient venus s'ajouter a son calvaire !
Elle attrapa le paquet de cigarettes et alluma tant bien que mal une marlboro. Alors qu'elle secouait les cendres sans y prendre garde, , elle fut soudain tirée de ses pensées fixées dans le vide, par des effluves tout particulièrement désagréables. Les cheveux de Terry commençaient à brûler !
Elle éteignit le feu de quelques claques rapides et nerveuses, sans se préoccuper le moins du monde de Terry puis elle continua de rêver. Rageusement, elle regretta d'avoir entamé cette relation avec ce gros con de Terry !
La descente douloureuse et effrayante l'obnubilait et lui insufflait une paranoïa indescriptible, mais elle finit malgré tout par s'endormir, assommée par la température et la souffrance.
Les deux gamins du matin, repassèrent à cet instant à quelques mètres à peine de la voiture. Ils discutaient et étaient ravis de leur pêche. Le plus grand, celui qui avait cru entendre siffler, observa les alentours et remarqua le reflet des phares d'une voiture dissimulée dans les vieilles ruines. Il donna un coup de coude à son compagnon et lui fit signe de se taire. Il croisa le pouce sous l'index, pour mimer un signe que tout le monde pouvait comprendre et les deux gamins s'enfuirent en riant, Sandra n'avait rien vu ni entendu ...
Quelques instants plus tard, elle refit surface et les détecta au loin, si bien qu'elle se mit à crier et à hurler de toutes ses forces mais, là où ils se trouvaient déjà, ils ne pouvaient se douter de rien. La fille pensa alors au signal de détresse. Ce gros interrupteur avec en son centre un triangle orange, qu'elle pressa de sa main gauche. Le clic alternatif se fit entendre, les feux fonctionnèrent ! Mais déjà les garçons avaient disparu en direction de la ville !
Comme elle avait beaucoup trop chaud, elle décida subrepticement de fracturer le pare‑brise avant.
Pour ce faire, elle enroula la ceinture autour de son poignet gauche et commença à frapper la vitre. Après plusieurs coups, elle dut se rendre à l'évidence qu'elle était beaucoup trop loin du carreau et qu'elle n'avait pas assez de puissance pour parvenir à le briser. Elle tenta ensuite sa chance avec la fenêtre sur sa droite, mais le dos de Terry l'empêcha d'atteindre la cible. Elle se reporta donc sur la glace de gauche, côté conducteur, et frappa avec sa massue de fortune. Après une dizaine de coups assidus, le verre vola en éclats, laissant l'air pénétrer la voiture. Sandra fut quelque peu apaisée, les ruines entourant la Ford, faisaient qu'en effet l'atmosphère ambiante était plus fraîche grâce à l'ombre des murs. Elle respira goulûment et rattrapa le moral, c'était la première de toutes ses tentatives qui fût fructueuse !
Sandra n'avait cependant pas pensé qu'avec l'air frais viendraient également les mouches ! Des dizaines de muscidés bruyants eurent vite fait de se précipiter sur le corps de Terry, comme attirés par la mort. Au début, elle s'entêta à les chasser, mais, trop épuisée pour continuer, elle abandonna en se résignant.
Soudain, une piqûre au bras droit l'avertit, au plafonnier, elle remarqua trois guêpes ! Elle tenta de les écraser avec la ceinture, mais imprécise dans ses gestes restreints, elle les manqua. Les trois insectes s'envolèrent, elle les suivit du regard et remarqua, avec frayeur, qu'ils pénétraient dans le nid suspendu juste au‑dessus du pare‑brise ! Nerveuse, elle ne quitta plus ce danger imminent des yeux. Un petit sifflement attira soudain son attention.
‑ Schssi... Schssi... Schssi...
Elle observa partout, paniquée.
‑ Schssi... Schssi... Schssi...
‑ Catastrophe ! hurla‑t‑elle.
C'était le corps de Terry qui commençait à gonfler. Une nouvelle fois, elle tenta de s'extirper de dessous son amant, mais rien n'y fit ! Essayant de reprendre son calme, elle s'aperçut que la radio restait muette. Depuis combien de temps déjà ? elle ne pouvait le dire ! La lumière du plafonnier était également éteinte et lui indiquait indéniablement que la batterie avait lâché ! Si seulement elle y avait pensé plus tôt !
Elle aurait pu déclencher les feux de détresse le soir, dans la position actuelle de la voiture, quelqu'un aurait forcément remarqué les clignotants, mais à présent il était trop tard, elle ne devait plus compter sur cette éventualité !
Tout au long de la journée, elle attendit que quelqu'un vienne, mais hélas, personne ne vint ! Totalement épuisée, elle sombra une nouvelle fois dans un sommeil las, la nuit noire venait de tomber.
...
Lorsque Sandra rouvrit les yeux, les vitres étaient totalement embuées, couvertes de gouttelettes de transpiration et de vapeur. Il faisait jour, mais elle n'aperçut que vaguement le chemin un peu plus bas. Elle constata alors que son pied gauche était au sol.
Pendant son sommeil, elle avait bougé et, par chance, sa jambe s'était débloquée. Terry avait également bougé, il était toujours aussi lourd, mais il se trouvait maintenant un peu plus bas, permettant ainsi à Sandra de respirer plus librement. Pour la millième fois, elle essaya de le pousser, mais elle était toujours bel et bien prisonnière de l'affreuse situation !
Plus bas, sur le sentier pierreux, une ombre s'avança en direction de la voiture.
Sandra remarqua la silhouette sombre qui s'approchait.
Elle resta muette, au vu des formes, il devait s'agir d'un chat, ou pire encore, d'un chien errant !
Tout à coup, dans un bruyant fracas, la bête grimpa sur le capot et vint coller son énorme truffe chaude sur le carreau, laissant paraître ses crocs découverts et une langue rose.
Sandra prit peur et se mit à crier, elle remua de toutes ses forces et frappa la vitre avec la ceinture.
Le chien, un berger allemand de grande taille, fut effrayé par les cris de Sandra et s'enfuit.
Il retourna en direction de chez le vieux Honnon, son maître depuis toujours, propriétaire de la ferme la plus proche. Sam était un brave chien, il n'avait probablement jamais mordu personne, il n'aboyait que pour jouer, mais ça, Sandra l'ignorait.
Apeurée, le coeur battant à tout rompre, elle observa la bête qui trottait vers la ville. Soudain, elle pensa à une solution, ‑ oui, il doit y avoir moyen !" se réjouit‑elle à l'avance. Elle se mit à siffler, elle appela le chien. La bête entendit la femme, l'ouïe des animaux est beaucoup plus développée que celle des humains et, curieux et joueur à la fois, Sam décida de retourner renifler cette maîtresse à l'étrange odeur !
Sandra tendit la main et elle essaya d'appeler le chien près du carreau brisé. Sam s'approcha timidement, il rampa jusqu'à la portière et passa la tête tout à coup. Sandra lui parla gentiment, elle le flatta, le chien répondait par des jappements, il remuait la queue et, apparemment, était content. ‑ attends mon gaillard" dit‑elle, alors qu'elle saisit la ceinture. Tout en interrogeant le chien en le fixant dans les yeux, elle passa la ceinture dans la boucle et obtint ainsi un lasso. Doucement, elle tendit le bras et tenta de passer la laisse de fortune autour du coup du chien. Sam se laissa faire, il aimait les humains, il savait qu'ils étaient bons et gentils, qu'ils aimaient les chiens dociles. Sandra donna des petites secousses au ceinturon et parvient finalement à encorder la bête. Elle serra de toutes ses forces sur le bout de ceinture qu'elle tint dans sa main gauche, elle ferma les yeux, se retourna, et de sa main droite, par dessus l'épaule de Terry, elle actionna le spray d'autodéfense en direction du berger allemand.
Sam fut soudain aveuglé, il tenta de s'enfuir, mais la femme le retint, il grogna, la douleur était forte et il ne comprit pas ce qui ce passait. Il tira tant qu'il put sur l'étreinte qui l'étranglait, mais celle‑ci se resserra davantage en l'étouffant. Le chien s'énerva, il cogna la voiture, il griffa les flancs, donna du dos, tenta de mordre ...
Soudain, comme Sandra l'avait espéré, la voiture se mit en branle. Les chocs provoqués par Sam dégagèrent les roues avants de la pierre qui les empêchaient de continuer leur course. Sandra lâcha la ceinture, Sam s'enfuit plus loin sans demander son reste.
La Ford descendit lentement, le soleil frappa de plein fouet la voiture, Sandra fut emportée vers le chemin, le véhicule prit de la vitesse, passa les trous, les nids de poule et vint s'encastrer dans un arbre bordant le chemin. Sous le choc de l'impact, Terry fut projeté contre le tableau de bord, la fille suivit le même mouvement, mais elle fut du même coup dégagée de sa position inconfortable.
Piétinant le corps de l'homme qu'elle aimait, Sandra se précipita au‑dehors, mais ses jambes trop affaiblies ne supportèrent pas son poids et elle s'écroula sur les graviers.
...
Au loin, Sam attendait, ses yeux blessés étaient injectés de sang et il se mit à grogner en apercevant la jeune femme sortir du véhicule. Lentement, il s'approcha d'elle. Il se méfia, pourquoi l'avait‑elle ainsi maltraité ? Sur le qui‑vive, il arriva à hauteur de Sandra, qui entre‑temps, avait perdu connaissance et gisait au milieu du chemin. Le chien s'approcha encore et renifla la femme, elle vivait ! Sandra ouvrit les yeux, elle vit le chien penché sur elle, elle tendit les doigts et le caressa: ‑ brave chien murmura-t-elle, puis elle retomba dans le coma, sereine, car elle savait que quelqu'un viendrait, tôt ou tard...
FIN.
(à "S.(andra) D.(ee)", 1973 - + 1998)
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