CHAPITRE 1 :
I. L'émissaire
Plus rien ne bouge dans les rues désertes, la nuit étend son emprise sur la ville, et même les lampadaires faiblards semblent être fatigués de la combattre. L'un grésille dans de petits bruits stridents tandis qu'un autre ne s'allume carrément plus. Même le vent se fait absent. Au loin, le miaulement d'un chat fait penser à une vieille porte, comme dans ces châteaux sinistres que l'on croit habités par fantômes, goules et vampires et où la désolation règne en maître absolu.
Un léger bruissement de feuilles se fait entendre, un forme se meut fugitivement contre la façade d'un bâtiment délabré, mais on ne saurait dire à qui elle appartient. Ou à quoi. C'est juste une ombre, promesse de l'avènement de la mort qui se fait imminent. Ils le savent, ils le savent tous ! Ils ne s'en rendent pas encore compte, mais leur fin est proche, comme le le leur dicte leur instinct. La faucheuse a envoyé ses émissaires, et il ne leur faudra pas longtemps pour anéantir cette race prétentieuse et arrogante qui essaye depuis toujours de lui tenir tête. Elle veillera à ce qu'il ne reste de leur espèce que des cendres...
II. L'éveil de la peur
Quand Marie alla réveiller sa fille ce matin, elle rêvait à ce charmant jeune homme qu'elle avait rencontré hier. Elle aurait été bien sotte de ne pas être allée à cette fête, et elle ne regrettait en rien le fait d'avoir laissé seule sa fille à la maison. Plusieurs de ses amies faisaient ça, surtout celles, qui, comme elle, étaient tombées sur des bons à rien qui les avaient quittées dès qu'ils avaient entendu parler de l'enfant... Et puis cela faisait si longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvé face à un sourire si charmeur, un regard si sensuel ! Elle réprima une forte envie de rire à ces quelques pensées plus osées que d'ordinaire et accéléra le pas, essayant vainement de les fuir.
Marie n'était pas mal pour son âge. Un peu moins de la trentaine, sa jolie frimousse encadrée de cheveux bruns légèrement ondulés lui descendant jusqu'à la taille gardait toujours le sourire quelles que fussent les circonstances. Son corps était svelte et élancé. Oui, elle était très belle.
C'est donc avec ces pensées légères qu'elle franchit le seuil de la porte de la chambre de sa fille, tranquille sereine. La gamine était emmitouflée dans ses draps écarlates, plus pâle qu'à l'ordinaire, semblant plongée dans un sommeil d'une profondeur insondable. Marie s'étonna de voir la fenêtre entrouverte. La petite avait dû se geler, cette nuit là ! Elle s'assoit sur le lit, caresse le front de l'enfant. Il est froid, glacial même. Le sourire s'efface de son visage tandis qu'elle demande, d'une voix inquiète maintenant :
- Julie, ça va ?
Puis, n'obtenant aucune réponse :
- Eh oh ! JULIE ! Poupée, eh oh ! Réveille ton bon sang :
La fille entrouvre les paupières, tourne la tête vers sa mère (dont les traits se décrispent aussi subitement que comiquement), et lui reproche, d'une voix pleine de rêves et de sommeil, d'avoir juré. S'ensuit un éclat de rire des deux côtés. Marie la prend dans ses bras pour la bercer, et lui chuchote qu'elle avait bien cru l'avoir perdu pour de bon, ce jour-ci. Elle ne se doutait pas à quel point elle était dans le vrai !
III. Chez une maie
Le téléphone sonne, Marie s'avance pour décrocher, mais Julie la devance, lui décrochant au passage un clin d'œil malicieux. Son œil. Il est devenu bleu. L'espace d'un instant, il a semblé à Marie qu'elle pourrait voyager en cet œil, qui, auparavant, avait toujours été noisette, comme la plupart des parents de la jeune fille. Elle éloigne la pensée d'un geste de la main, et laisse sa fille seule avec le combiné.
- Quand ? Ce soir ? Ouais, ouais, maman est d'accord. Vers cinq heure ? OK, Parfait, A plus !
Elle repose le téléphone sur son socle et prévient sa mère qui sait d'avance ce qu'il vient d'être dit. Sa fille et celle de son amie s'entendent si bien...
***
La journée se passe sans accroc, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes... La jeune fille va à l'école et passe, comme tous les jours, sept heures à s'ennuyer dans une salle close où s'alignent des rangées de sièges. Heureusement qu'il y a la cantine et les récréations, car, sinon, elle se serait bien vue mourir de désœuvrement. Comme c'est monotone. Elle rêve d'action, elle rêve de combats épiques où le bien finit toujours par l'emporter sur la mal, irrémédiablement...
Au moment de la sortie, elle sent comme un poids se soulever de ses épaules. Enfin libre ! Elle fonce vite voir son amie. Son sac bat contre ses reins avec une régularité qu'elle a appris à maîtriser au fil du temps. Elle se sent bien, entière, comme à chaque fois qu'elle court. Elle sait qu'elle est faite pour ça. Elle veut devenir championne du monde de course à pied, que ce soit du cent, du deux cents, ou quatre cents mètre. Elle veut courir. Elle veut être elle.
Julie s'arrête devant la porte en bois massif de l'immeuble. Elle a un petit élan de douleur au niveau de la tempe gauche qu'elle impute au petit sprint qu'elle vient de faire. Elle reste bien cinq bonnes minutes devant l'entrée, et ce sans même s'en rendre compte. Elle oscille entre sommeil et éveil, dans un état semi-conscient vraiment troublant. Au moment où elle reprend ses esprits, elle ne se souvient en rien de ce temps d'attente, ce souvenir semble appartenir à quelqu'un d'autre. Elle se masse une dernière fois la tempe et franchit le seuil.
***
C'est la mère qui accueille Julie, qui se précipite dans la chambre de son amie.
- Salut Margot ! crie-elle d'une voix enjouée.
- Salut ! Comment s'est passée ta journée ?
- A merveille, lance-elle avec une ironie mordante, levant ses yeux au ciel avec un air lourd de sous-entendu. Comme j'aimerais être malade,enfin, comme toi...
Elles passèrent la soirée à jouer, dans le rire et la bonne humeur, bien que Margot s'inquiétât de plus en plus du malêtre de son amie, qui, malgré qu'elle essaya de le masquer, avait de plus en plus mal à la tête. Lorsque Margot lui demanda ce qui lui arrivait, elle répondit qu'elle avait juste un peu mal à cause des cours, et lui parla d'une soi-disant "prise de tête" avec un prof'. Ce qui était totalement faux. Mais elle s'en fichait. Elle ressentait à présent le besoin de mentir, de cacher, de jouer aux jeux les plus malsains. Elle voulait faire du mal !
La mère appela les deux amies pour le dîner, et elles se régalèrent d'un délicieux plat excellemment bien mijoté. Un vrai régal. Après ce festin de roi, toutes deux décidèrent d'un commun accord d'aller se coucher maintenant.
Julie, qui d'ordinaire avait une peur bleu du noir, ne rechigna pas aujourd'hui à laisser la lumière éteinte, et toutes deux sombrèrent dans les bras de Morphée en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Alors que Margot dormit profondément, cette nuit, Julie, elle, fit une suite de cauchemars où elle se voyait écrasée par un monstre immonde à la cruauté insondable. Elle se sentait si faible face à lui !
IV. La nuit de l'épouvante
Julie ouvrit les yeux. Elle avait mal, tout en elle n'était plus que douleur. C'était exactement comme si des démons la torturaient, se délectant du sang qui giclait, épais, tel des geysers écarlates. Elle ne voulait plus lutter. Elle ne le pouvait plus, elle devait mourir. Oui, fuir ce mal qui la rongeait, partant de son crâne qui résonnait de notes sinistres pour s'étendre dans chaque parcelle de son corps, fussent-elles de peau ou de muscle, d'os où de nerfs. Elle abandonna là ses pensées, ses peurs, ses désirs. Juste pour quelques heures...
***
Le réveil brisa le silence, Marie s'éjecta de son lit dans un sursaut brutal. Ses cheveux, trempés de sueur, s'accrochaient à son visage, la faisant sembler demeurée... Elle portait sur elle le masque de la terreur, et le rictus qui tordait son visage était si horrible qu'on l'aurait crue sultane des limbes. De ses yeux semblait suinter l'épouvante, tandis que ses pupilles prenaient tout l'espace qui leur était disponible. Elle craignait pour sa fille, la sentant s'échapper. Elle ne sait si c'était dû à cet instinct maternel si réputé, mais une force la poussa à sortir, à dévaler les escaliers quatre à quatre pour sortir d'une tenue trop légère à l'extérieur. L'air était glacial et lui picotait chaque brin de peau, lui hérissant les quelques poils qu'elle s'acharnait pourtant à exterminer. Elle s'empara du double de clé situé sous le châssis (sa petite cachette pour gros oublis !) et s'engouffra dans la voiture. Elle démarra en trombe en direction du foyer de son amie. Plus vite, plus vite ! Par chance, aucune voiture ne s'engagea sur la route à ce moment là, et aucun passant n'eut l'idée saugrenue de traverser la chaussée.
Quelques minutes plus tard, après un dérapage aussi risqué que tumultueux, elle s'arrêta devant le grand immeuble blafard (qui, en l'occurrence, fait face au cimetière d'un côté, et à la maternité de l'autre). Elle courut vers l'entrée, et c'est en sueur qu'elle franchit le seuil pour s'en prendre aux grands escaliers, sans même prendre la peine d'allumer les lumières. Tout ce qui l'importait à cet instant, c'était de retrouver sa fille et de la serrer contre elle pour sentir leurs cœurs battre à l'unisson...
Lorsqu'elle arriva devant la porte de l'appartement en question, le souffle lui manqua. La porte avait été soufflée comme un fétu de paille, et les lumières étaient toutes éteintes... Marie s'avança. Son cœur battait sinistrement dans sa poitrine, semblant vouloir s'échapper de ses côtes. Les pantoufles de la jeune femme buttent sur un objet mou, le coup s'accompagnant d'un bruit de liquide. Liquide qui macula ses chevilles nues. Il était encore chaud. Elle ne distinguait pas les couleurs, mais elle n'eut même pas besoin de baisser les yeux pour s'apercevoir que c'était du sang. La panique se fit plus grande. Tâtonnant sur sa gauche, elle effleura l'interrupteur. Elle n'hésita qu'une fraction de seconde, et, lorsque la lumière fit son apparition, elle ne put réprimer un haut le cœur. Bien quelle avait peu mangé le soir dernier, son maigre repas repassa intégralement par là où il était rentré. Sur le sol s'étendait la mère de Margot, un horrible rictus s'étendant sur ses lèvres, ses yeux encore ouverts. Le tout accompagné d'une mare de sang. Du sang partout. Sur les mains, sur la poitrine, sur les jambes, dans les yeux. C'était si... sanglant. C'est tout ce qui voulut bien venir à l'esprit de Marie, et, ce faisant, elle recracha encore un peu de bile.
Tandis qu'elle relevait la tête, un mélange de bave et d'acide dégoulinant sur son menton et sa gorge, elle vit le message. Encore du sang -et du vomi- tandis qu'elle le déchiffrait. Il était court, concis, terrorisant. Il frappa l'esprit de Marie aussi puissamment que l'eût fait une balle. Elle chercha sa fille dans l'appartement, bien qu'elle sut par avance qu'elle ne s'y trouvait pas. Margot non plus d'ailleurs. Le message avait été explicite. N'arrivant même plus à dégorger, elle appela la police, sentant que sa vie venait d'effectuer son dernier tournant. Elle espérait juste avoir le temps de se venger.
V. La déchirure
Le soleil, après quelques percées ratées, se résigna à rester sous le voile grisonnant qui masquait l'azur du ciel. Mare n'avait absolument aucun regard pour ces moutons qui se déplaçaient sous l'action d'un quelconque vent aérien... Elle était perdue, isolée dans un monde propre à elle soulevée par des tempêtes dévastatrices. Elle était en train de perdre pied, tout ce qu'elle avait connu jusque là avait semblait s'être envolé, comme pulvérisé par cette ouragan qui la détruisait de l'intérieur. Sa fille, son amie... Les policiers n'avaient rien pu trouver au sujet de l'assassinat. Ils avaient lui avaient promis de retrouver les coupables, mais sans grande conviction. Elle doutait que, dans deux jours, l'affaire fût encore ouverte. Elle ne leur en voulait pas. Ils aient tellement de travail, c'était logique qu'ils s'occupent en priorité des affaires solubles. Il n'empêche qu'elle se jurait de plus jamais verser un seul centime pour ces fichus impôts. De toute manière, le message avait été on ne peut plus limpide : elle n'aurait bientôt plus à s'en soucier. Elle se ressaisit à la pensée de l'avertissement. dans son coeur, elle sentit grandir sa haine et sa colère. L'ancienne Marie était morte. Désormais, elle n'était plus que vindicte. Ses yeux se durcirent, ses muscles se bandèrent, et, tandis qu'elle serrait ses points à s'en blanchir les phalanges, elle se mit en marche, tel le dernier soldat se dressant seul contre les rangs ennemis.
***
Les jours passèrent sans que Marie arrivât à localiser sa fille. Durant ce laps de temps, plusieurs cas de meurtres et de disparitions se firent remarquer, mais, tous les pylônes électriques ayant été neutralisés, personne ne put être averti par téléphone ou autre. Les autorités municipales, qui au début avaient étouffé l'affaire avec dégoût, ne purent bientôt plus renier le drame qui se tramait dans notre petite ville d'ordinaire si paisible. Tous avaient peur et se terraient, ceux qui décidèrent de se révolter étaient trop rares pour réussir quelque chose. Ils étaient exterminés trop rapidement, ce qui ne faisait qu'accroître la terreur des survivants. Seuls les enfants ne semblaient pas atteints, quand ils ne disparaissaient pas, et, du fait de leur nombre grandissant par rapport aux adultes survivants, nombres d'entre eux furent contraints de survivre seuls.
Face au mal qui ne cessait de nuire, les rares adultes survivants se réunirent un beau soir pour décider de leur sort. Les communications ayant été coupées dès les premiers jours, ils avaient décidé d'un commun accord de rester là en attendant les renforts, et, malgré qu'ils aient envoyé des hommes pour les quérir, ces derniers n'étaient jamais revenus. Que ce soit par crainte ou parce qu'ils avaient été tués importait peu : les rares qui restaient qui restait devait réagir. Après une longue palabre, ils décidèrent de partir avec les enfants demander asile ailleurs... Et puis, de toute façon, comme dit le proverbe, "Qui vivra verra !". Marie, même si elle savait ce qui était à l'origine du massacre, ne pipa mot. Et se contenta de les suivre, certaine qu'ils les mènerait tôt ou tard à sa fille. La nuit se déroula sans encombre, et, pour la première fois depuis longtemps, il n'y eut aucun mort, cette nuit là.
La sortie de la ville se déroula dans le silence le plus total, et, bien que le ciel fut dégagé, nul ne songea à contempler l'azur ce jour là. Tous autant qu'ils étaient avaient l'impression de laisser un pan entier de leur vie à l'oubliette, et les cadavres qu'ils abandonnaient aujourd'hui étaient trop récents pour s'être totalement effacés de leurs esprits. Ils avançaient sans parler, sans se plaindre ni geindre. Même les enfants semblaient avoir compris. Ils restaient tous la tête obstinément baissée, de telle sorte que nul regard ne se croisa jusqu'à ce que la ville fut loin derrière eux. Les langues commencèrent alors à se délier, surtout pour donner les directives aux enfants qui s'étaient rangés de telle sorte que n'importe quel professeur en aurait rougi de jalousie. Ils passèrent pratiquement toute la journée à cheminer sur les départementales pour atteindre, en fin de journée, un minuscule hameau pittoresque. Ils purent boire et manger, mais les habitants refusèrent catégoriquement de les héberger.
- Y vont nous porter la poisse, que j'vous dis, ces pauv' zozieaux ! lança un fermier du coin, les joues et le nez rougies par l'alcool.
Ils comprirent bien vite que, s'ils insistaient, ils se feraient éjecter d'une manière peu convenable. Ils reprirent donc leur route et s'entassèrent tous dans une clairière, serrés les uns contre les autres. Le lendemain, bien qu'aucun de nos voyageur ne fut jamais au courant, tous les villageois étaient morts, et ils ne restaient, pour gage de fierté, que leurs enfants qui partirent en sens inverse du groupe. Pour nos héros, personne n'était mort cette nuit, et tout allait pour le mieux. Ils pensaient même avoir réussi à fuir le fléau. Sauf Marie, bien sûr.
Ils atteignirent une ville digne de ce nom le midi même, et ce fut pour eux la plus douce des musiques que celle de la circulation urbaine. Ils n'avaient aperçu que quelques voitures ces derniers jours, qui, les prenant pour une quelconque colonie ou groupe scout, avait accéléré en faisant un signe de la main. Mais là... C'étaient de vrai gens, leur salut ! Ils furent accueillis les bras ouverts par un maire chaleureux qui leur offrit un véritable festin où s'achalandait plus de nourriture que pour un régiment entier de soldats. Or, là, ce n'étaient que quelques adultes et un groupe d'enfant à peine plus conséquent. Ils se régalèrent, se goinfrant comme jamais ils ne l'avaient fait dans leur vie. Seule Marie était absente elle s'était éclipsée mystérieusement à l'entrée de la ville, mais personne ne s'en était aperçu.
Lorsqu'ils demandèrent asile au maire, celui-ci leur offrit avec grand plaisir gîte et couvert, leur demandant en échange de lui conter leur histoire, n'hésitant pas à se faire répéter les points les plus troublants.
- Je ne sais que penser de cette histoire, commenta-t-il quand ils eurent fini leur récit. Cependant, je suis sûr qu'une bonne nuit de sommeil vous fera du bien à tous. Dormez bien, et, surtout, n'hésitez pas à m'appeler en cas de problème.
Puis, lorsqu'il fut seul :
- Hé ! Maurice ! Je crois qu'il serait bien de prévenir les instances supérieures. Si ce que je pense s'avère être exact, de l'aide ne serait pas de trop.
- Oui M. le Maire, répondit l'interpellé d'un salut militaire. Immédiatement !
VI. La chasse
Marie se terrait toujours, cachée dans quelque parterre de fleur décorant la chaussée monotone. Elle ne voyait plus grand chose, malgré les réverbères et les rares voitures qui passaient sur la route. Elle se doutait bien de ce qui allait se dérouler ce soir, mais les conséquences dépassèrent en tous points ses prédictions.
Elle frissonnait, sa transpiration se mêlant à l'air ambiant et la glaçant jusqu'aux os. Ses pupilles, qui s'étaient agrandies pour s'adapter aux ténèbres environnantes, captaient chaque brin de lumière, à l'affût du moindre mouvement, du moindre indice. Ses oreilles étaient aussi en grand travail, sélectionnant méticuleusement tous les bruits pour les classer selon leur origine, et, ainsi, repérer une quelconque piste. Tout en elle était en alerte, prête à bondir comme une tigresse quand le moment serait venu. Dans sa main droite, elle serrait le manche d'un couteau, prête à se battre à mort si nécessaire.
Au loin, le grincement d'une porte. Quelqu'un sortait. Quelqu'un... ou quelque chose ! Dans les secondes qui suivirent, quasiment toutes les portes s'ouvrirent, laissant à chaque fois passer une ou deux petites silhouettes. Malgré son acuité visuelle et tous ces efforts, Marie ne distingua aucun visage nettement. Ils paraissaient flous, sombres, irréels. En quelques instants, la rue grouilla de petits bonshommes partant tous dans la même direction. Marie attendit qu'ils se soient éloignés, puis, lorsqu'elle fut certaine de n'être pas suivie, elle démarra la chasse ! Se mêlant à l'ombre et épousant l'obscurité, elle suivi d'une grâce féline le groupe qui avançait en silence. Pas étonnant qu'ils ne se soient jamais faits remarqués. Ils ne font aucun bruit, ne marchent pas : ils semblent glisser sur le sol tels des spectres. Ils sortent de la cité. Marie les suis. Ce soir, quelque chose d'exceptionnel allait se produire...
***
Elle se tenait devant eux, toujours dans son pyjama, le même qu'elle portait lorsqu'elle avait disparue. Elle les toisait de son regard bleu qui scintillait d'une lueur malsaine. Marie était fascinée. Horrifiée aussi. Tous ces êtres tournés vers un unique et même but... Son regard va successivement des êtres à leur chef, de leur chef aux êtres. On ne lit rien sur leur visage: ils ont été lavés de toute leur humanité. On ne peut même pas être sûr qu'ils en aient. Leur maître prit la parole d'une voix claire, d'une voix que Marie ne connaissait que trop bien. La voix de sa fille :
- Nous avons vaincu. Ils sont finis. Mais avant de les achever, veuillez, je vous prie, accueillir notre... invité !
Les créatures se tournèrent vers Marie simultanément. Leurs yeux brillaient aussi... Elles l'encerclaient maintenant. Un dernier cri...
- Attendez !
C'était sa fille. Serait-elle revenue à la raison ? Si c'était le cas, elle devait l'aider à repousser ces monstres.
- Ne la tuez pas !
Les Sans-visages se tournèrent d'un bloc vers la pseudo-jeune fille. Les yeux de Marie brillèrent... Sa fille y était parvenue. Elle avait repoussé le mal !
- Nous allons faire pire !
Sa fille s'approcha, se pencha et déposa un baiser sur les lèvres de sa mère. Un contact répugnant. Horrible. Renversant. En parlant de reversement, elle sentait son esprit qui chavirait. Elle n'allait vraisemblablement pas pouvoir rester consciente très longtemps. Elle sentait en encore le coutelas dans sa main. Un dernier effort... Elle rata ce qui restait de son enfant de peu. L'arme s'échappa de ses mains, et vola dans les airs pour se ficher dans le poitrail d'une créature. Tandis que son dos s'arquait, ses traits prirent ceux d'un enfant. D'un enfant que Marie connaissait. Un enfant qui les avait accompagnés tout au long du voyage. Un pauvre gamin qu'elle croyait avoir protégé avec les autres... Elle s'évanouit...
***
Marie ouvrit les yeux tandis qu'un grand seau d'eau s'écrasait sur sa figure. Ses yeux se fermèrent sous l'impact. Elle s'ébouriffa, puis, histoire de bien montrer qu'elle était réveillée, leva les mains en l'air en signe de soumission. Elle s'aperçut enfin que le jour venait à peine de se lever. La petite foule qui l'avait encerclée lui jetait des regards interrogateurs, ils brûlaient de savoir ce qu'elle faisait ici, alors que l'aube pointait à peine, au milieu de la rue principale.
- Je sais.
Ce fut la première chose qu'elle dit. Un frisson parcourut l'assistance.
- Tout vient des enfants. Ce sont de leur faute.
L'incrédulité vint à se placer sur les visages des hommes et femme présents. Tous connaissaient l'histoire de cette femme (ils avaient eu le temps de se renseigner sur Marie pendant qu'elle était au sol), et ils comprirent instantanément de quoi elle parlait. Néanmoins...
- Vous êtes malade ? beugla un homme d'un certain âge.
- Il faut les tuer. Tuez les, avant qu'ils ne vous tuent.
- Nous avons vaincu. Ils sont finis. Mai avant de les achever, veuillez, je vous prie, accueillir notre... invité !
Les créatures se tournèrent vers Marie simultanément. Leurs yeux brillaient aussi... Elles l'encerclaient maintenant. Un dernier cri...
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