Solitude dure à supporter dans ces froides chambres d'hôtel où des vies passent, éphémères, éternellement en transit entre deux lieux impersonnels. L'inévitable tapisserie à fleurs ne parvient pas à égayer le décor presque sinistre. Le monde reste suspendu entre des souvenirs et des images. La pièce exiguë se nourrit de ces âmes de passage. Elle oublie un instant qu'elles viennent de nulle part pour seulement s'installer provisoirement. Propre, nette, cette petite chambre a tout connu : les pleurs des amours en partance et les rires des retrouvailles, peut-être aussi les gémissements d'une femme... Elle n'en révèle rien, n'en garde aucune trace. Elle accueille le voyageur avec une parfaite neutralité, comme vide d'imagination. Les passants n'ont pas d'histoire. Autre part, dans les prisons, les écoles, les lieux publics, les murs parlent un langage imagé, primaire souvent, articulé sous forme d'obscénités ou de dessins naïfs accrochés entre ciel et terre, indéfiniment. Ils ne tombent jamais. Graffitis sans importance réelle, ils révèlent les désirs instantanés, l'envie soudaine, l'instant fugace de folie anonyme d'un fantasme irréalisable. Ils reflètent l'impuissance désespérée à communiquer différemment pour s'envoler au-delà de l'expression, dans les sphères de l'imaginaire. Dans cette chambre, rien de tout cela. Tout se vautre dans le silence à l'exception parfois d'un moteur dont le ronflement rappelle au voyageur qu'il appartient au monde des vivants. Que reste-t-il comme sensation sinon ce désir de partir à la rencontre d'autres visages humains ou de réintégrer un foyer de chaleur ? Il vaut mieux essayer de ne plus penser en se jetant à corps perdu dans le sommeil ou bien dans les pages d'un livre afin d'anesthésier cette angoisse irraisonnée qui glace les entrailles. Elle traduit l'attente du départ qui sera délivrance. Pour le moment, il faut vivre cette réclusion comme une pénitence tenant le voyageur éloigné de tout ce qu'il aime. Il mesure ainsi sa merveilleuse chance de pouvoir retrouver un chez soi dans un autre ailleurs avec peut-être une compagne qui l'attend, un lit moulé à son corps, un décor familier où tout est à sa place avec des objets racontant une histoire lorsque le regard les enveloppe. Le voyageur sait que cela existe quelque part et qu'il ne tient qu'à lui de tout plaquer pour repartir vers cet Eden embelli par son rêve. Stoïque, il endure cependant sa punition consentie pour mieux apprécier ce qui lui manque et lui semble vital. Il vit d'espoir entre la chaise et le lit, attablé parfois au restaurant où il mange sans faim. Il végète en attente de quelque chose mais la pluie trouble ses visions. Chez lui, il en est persuadé, il fait bel et bon. Pas comme ici... Pour le raccorder à l'univers extérieur, un appareil banal relié à un fil tire-bouchonné. Le voyageur l'observe comme si la chose avait soudain le pouvoir de lui parler, d'entraîner son esprit tourmenté vers cet autre lieu qu'il idéalise. Il lui suffirait de décrocher et la chose parlerait effectivement en lui offrant seulement une douleur plus acerbe encore. Ces soirées n'en finissent pas... Rien sinon ce maudit silence. Dans une chambre contiguë, une femme rit. Sa joie blesse cruellement le désir du voyageur de briser son isolement, d'avoir une compagnie avec laquelle partager. Inconsciente, la femme rit toujours en imposant son bonheur et sa joie de vivre comme des injures jetées dans la nuit froide. Immobile dans la pénombre, le voyageur attend que le temps passe, monotone et languide. Cette femme ne lui appartient pas. Il pourrait certes partir mais il a une mission à accomplir. Sa vie présente dépend de son choix mais il a décidé de rester en ce lieu étranger parce que son départ était devenu nécessaire. Il lui avait fallu tout quitter, rompre des chaînes, se remettre en question pour comparer ce qu'il perdait avec ce qu'il gagnerait peut-être. Il s'était cru... libre. En réalité, il ne l'est pas puisqu'il s'est lui-même aliéné à un certain confort dont il éprouve douloureusement le manque pour se retrouver isolé, fragile et inconnu. Ailleurs, là-bas, il est devenu l'absent, l'assiette en moins à table. Ici, il incarne seulement le client qui a droit à tous les égards de l'indifférence. Parti, il ne laissera même pas une ombre et il sera oublié comme tous les autres pareils à lui. Etrange ressentiment envers cette aubergiste pourtant aimable et accueillante. Grimaces de convenance ! Savoir-vivre de façade ! Le commerce doit marcher et les clients représentent la clé vitale du tiroir-caisse. Cette notion de service l'irrite. Il ne comprend pas ces gens qui reçoivent l'intimité du voyageur pour mieux le persécuter d'une curiosité malsaine. Demain, il fera sans doute humide, plus froid encore. Si la brume se lève, peut-être le voyageur apercevra-t-il les montagnes, vieillardes à la chevelure blanche. Cette image symbolique de carte postale ne revêtira pourtant aucune valeur sauf, éventuellement, nostalgique. Ce nouveau jour naissant se pare déjà d'une frénésie égoïste balayant toute autre pensée ; il rapproche du retour vers cet autre ailleurs certainement moins beau mais plus intime au cœur. Le voyageur ne regarde déjà plus cette petite chambre du même œil. Elle devient subitement plus agréable. Elle se transforme en refuge abritant un espoir, une sorte de chez lui de remplacement. Rien en ce lieu pourtant ne porte son sceau à part peut-être un livre négligemment posé sur la table de nuit. Rien ne lui appartient mais il a marqué des repères invisibles stimulant sa mémoire. Il essaie de se souvenir des traits du visage de sa compagne qu'aucune photo dans son portefeuille ne peut véritablement l'aider à transposer. Un sommeil paisible le surprend et il s'endort seul dans ce lit, bateau voguant sur une mer hostile, mais persuadé qu'après une nouvelle journée de labeur, il pourra retourner dans ses pénates. Le retour approche. Les heures s'écoulent lentement du chapelet des pendules. Le voyageur, enchaîné par ses habitudes méthodiques qu'il transporte partout avec lui, ne les entend pas sonner. Il veut les oublier comme un sursis trop lourd à supporter. Il se voudrait libre mais s'enferme dans la prison du quotidien avec délectation. Il n'a pas le temps de s'établir ici. Ce constat le console. Il a certitude de son retour là-bas, vers la plaine, l'envahit et l'encourage à affronter des lendemains enfermés dans des valises ouvertes et refermées à la hâte, aussi ternes aujourd'hui qu'hier. Il ne s'installe jamais définitivement quelque part, même pas en cette ville rose qu'il appelle son chez lui. Sa vie serait trop monotone et malgré les racines qu'il s'attribue, il ne se sent pas l'âme d'un arbre.
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Style : Nouvelle | Par MARQUES Gilbert | Voir tous ses textes | Visite : 517
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Commentaires :
pseudo : monalisa
MAGNIFIQUE NOUVELLE D'UN ÊTRE A LA RECHERCHE DU PARADIS PERDU A TRAVERS LES VOYAGES. L'AILLEURS ENSORCELLE L'ESPRIT DE CELUI QUI PART AVEC LES BAGAGES D'UNE VIE EN SUSPENS. UN MOMENT INTENSE DE L'OUBLI DE SOI POUR MIEUX PARCOURIR LE MONDE AVEC UNE TOLÉRANCE QUI PERMET DE DÉCOUVRIR L'AUTRE. LE VOYAGEUR EST COMME UN OISEAU QUI SURVOLE L'UNIVERS EN SCRUTANT L'HORIZON POUR POUVOIR MIEUX SE POSER. GILBERT J'APPRÉCIE TON ÉCRITURE PROFONDE BELLE QUI RÊVE NOS VIES. MERCI.
pseudo : MARQUES Gilbert
Merci MONALISA pour ce commentaire pertinent. C'est parfois difficile en effet de se situer lorsque l'on se sent de nulle part, vivant une sorte d'exil perpétuel...
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