Cette place respire une telle santé que l’urbaniste y serait une ecchymose.

Ses façades sont taquines qui montent au ciel sur des sgraffites; elle a la loggia bien pendue et la tuile très offrante.

Et puis elle plait de lyrique oubli, de civile patine.

Les jeux des enfants lui vont comme des mitaines et dans leur carré de sable, les chiens y lèvent la patte de très polie manière.

Cette place a la ride gaie. Le temps s’y trompe d’ailleurs, se croit il y a cent ans et marche à pas menus, la taille cambrée en levant le gibus devant les bancs qui ont chacun leurs fesses habituées.

Prenant le jour avec douceur, la vie y est de serein aloi, les souvenirs y trinquent et s’y tutoient.

C’est tout bas que les bises théorisent là avec les vieux papiers et, n’y comprenant rien, les fenêtres du voisinage mettent des doigts de tulle devant leurs rires fous.

Cette place sait de fiente immémoriale l’indulgence qui désarme les becs farceurs mettant perruque et moustaches sur son nombril de marbre.

Même si le soleil fait d’elle une clique radieuse, elle ne se départit guère de sourdine car, chaque fois qu’il le peut, le silence vient y panser ses plaies, s’y refaire des moeurs.

Les plus cruelles divagations du trafic ont pour elle d’étranges périphrases. Il n’est pas jusqu’à la Yamaha super-sportive qui, passant par ce chas, ne démette ses gaz.

Cette place est au creux des vagues urbaines et les ogres de béton affectent de se gaver plus loin. On les dirait déférents.

Et l’on se demande de quel consensus profite ce baril de paix pour se tenir hors de portée des chantiers et des charivaris?

Chambre-t'elle une appellation d'ombilic contrôlée? Ou, plus simplement, dans une ville toujours en chaleur, garde-t'elle le bonheur au frais?