(à un copain de mon fils)
C’est une histoire.
Très triste.
D’un jour ordinaire.
Un moment de silence dans une symphonie qui semblait si bien orchestrée, un couac.
Le petit était rentré chez lui après sa journée d’école, comme beaucoup d’enfants. Après son goûter, il avait décidé d’aller s’installer dans sa chambre, essayer sa messagerie msn, ses parents la lui avaient installée. Parce qu'il l’avait réclamée, comme tous ses copains d’école. Et puis l’année prochaine il ferait son entrée au collège... alors.
C’était un mardi soir ordinaire, d’un mois de février, le petit s’essayait sur un clavier, encore malhabile de ses doigts.
Bientôt il allait dîner.
Ses parents étaient rentrés, de sa chambre il les entendait discuter.
Lui, était fier d’avoir déjà autant de contacts dans son carnet d’adresses.
La nuit était vite tombée dans le lotissement, quelques bruits de voiture, de portières qui claquent. Oui, c’était l’heure du retour au foyer. Tous les voisins étaient chez eux maintenant.
Les maisons éclairées.
C’était un mardi soir, un de ces soirs où beaucoup d’enfants ont la permission de ne pas faire leurs devoirs, parce que le lendemain c’est mercredi, un soir de février où l’on est mieux blotti dans son chez-soi, à l’abri, bien au chaud.
Le petit se concentrait sur son écran, les copains étaient nombreux à se connecter.
Et puis, dans ce ronron, cette musique quotidienne, il y avait eu des éclats de voix, ses parents. Et puis.
Et puis soudain, un bruit inhabituel.
Et le cri de sa mère.
Et puis un deuxième bruit aussi inhabituel que le premier, mais le même, enfin presque, parce là, sa mère n’avait pas crié.
C’était comme.
Comme deux coups de feu.
Comme le bruit que faisait le fusil de chasse de son père.
Quand il partait chasser.
Ca venait du salon.
Ces deux détonations.
Alors, il s’était levé de sa chaise, inquiet, avait couru jusqu’aux bruits.
Et là.
Et là, ses deux parents, allongés.
Il avait su tout de suite qu’ils étaient morts.
Alors livide.
Il était allé sonner chez les voisins.
-” Vite, venez, mes parents sont morts “.
Et puis.
Et puis, la stupeur.
Et puis les sirènes.
Les gyrophares.
Les gendarmes, les pompiers, l’attroupement, les voisins.
Que s’était-il passé?
Le petit le savait, il l’avait déjà dit: ils étaient morts.
Alors.
Alors il y avait à comprendre.
Comprendre ce qui s’était passé dans cette ville bourgeoise bien ordinaire.
Les gendarmes avaient pris des notes, ramassé les pièces éparses de l’histoire pour savoir ce qui s’était passé, dans cette petite ville si tranquille.
Des notes brisées.
Toutes noires.
Alors, on a su qu’ils s’étaient disputé, que la mère avait tourné les talons, que le père avait saisi son fusil de chasse, qu’il lui avait tiré dans le dos, qu’ elle avait crié avant de mourir, qu’il avait retourné l’arme contre lui pour mourir.
Mais on a pas compris ce qui s'était passé. Parce que les morts n'ont pas la parole.
Des gens sans histoires apparentes, ou plutôt dont on ne connaissait pas l’histoire, les histoires, ou qu’on avait pas voulu connaître.
Et puis, et puis.
On se côtoyait les uns les autres toujours poliment, parce que la politesse aide aux rapports humains.
Et là, dans notre vie quotidienne, ça avait été un drame, un temps d’arrêt.
Elle, tuée, et lui l’assassin, suicidé.
Et cet enfant qui les avait trouvé là.
Il y a des fois où la vie semble suivre son cours. Et d’autres où elle semble s’enrayer.
Mais ce fusil
Un rappel cinglant de l’imprévisible.
Une vie, un mouvement qui s’arrête.
Deux vies, deux mouvements qui s’arrêtent.
Et une troisième vie qui continue.
Un enfant qui va tenter de survivre.
Une troisième vie qui devra accepter la violence.
L’assassinat.
L’abandon.
Accepter d’être orphelin.
Accepter d’être le fils.
Le survivant de sa mère.
Le survivant de son père.
Aujourd’hui, il tente d’oublier, a demandé à retourner à l’école, comme si... parce que l’école ça rassure, et puis là, il y a des enseignants qui se sont mobilisés, bienveillants, et qui avec l’aide de psychologues encadrent le petit orphelin, les autres enfants, les autres parents...
Il y a des moments où la vie est une cacophonie.
Et il y a des moments où on ose plus faire de bruit où la respiration nous manque.
C’est un silence, le silence qui suit les cataclysmes.
Et puis, petit à petit, revient le souffle.
Mais aussi vient une rumeur.
Une rumeur de l’entourage, des gens “bien pensants”...
Alors la vie reprend sournoisement.
Petit à petit, on en parle, les gens “bien pensants" qui déjà condamnent l’enfant.
La graine.
Il leur faut un coupable, et le coupable réel a eu la lâcheté de se tuer, ils réclament justice, alors ils se tournent vers le petit, ils parlent de lui, dans son dos et le condamnent déjà.
Pourtant ce sont des gens d’un milieu aisé, qui ont lu Dolto (parce que c’est bien de l’avoir lu, elle, la pionière, ça prouve qu’on est ouvert...).
Mais il faut qu’ils jugent et qu’ils donnent leur verdict: déjà condamné avant d’avoir grandi: il sera comme son père.
Mais qu’en savent-ils?
Simplement ils ont peur, très peur, alors ils essayent de trouver un raisonnement, logique, qui les rassurerait, des statistiques.
Lui aussi, le petit, il a peur, très peur.
Comme eux.
Mais heureusement, il n’y a pas que des gens “bien pensants”.
Il y a aussi les autres.
Bienveillants.
Qui n’oublient pas qu'ils ont un coeur.
Qui savent à quel point cet enfant devra être courageux.
Plus courageux.
Plus courageux que ces adultes.
Et moins fou.
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Style : autre | Par VIVAL33 | Voir tous ses textes | Visite : 820
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Commentaires :
pseudo : monalisa
VIVAL MON COEUR PALPITE DE TRISTESSE DEVANT CETTE HISTOIRE DRAMATIQUE. MON DIEU QUE DE POURQUOI SONNE A LA PORTE DE CE QU'EST LA VIE DANS LA NORMALITÉ DES CHOSES. QUE DE DRAME SE TRAME SOUS NOS YEUX ET L'ON NE VOIT RIEN VENIR CAR CE SONT DANS DES LIEUX BIEN AISÉ DE FAÇADE MAIS RIEN N'EST AISÉ DANS LE FOND INTÉRIEUR. JE SOUHAITE DU COURAGE DE LA FORCE ET QUI SOIT ENTOURÉ D'AMOUR POUR QU'IL PUISSE SE RECONSTRUIRE CET ENFANT.
pseudo : PHIL
JE COMPRENDS MIEUX TON SENTIMENT FACE A MON ACROSTICHE " TU NE TUERAS PAS". C EST UN DRAME HORRIBLE COMME IL ARRIVE PARFOIS QUELQUE SOIT LE MILIEU. UN ACTE INCONSIDERE SOUS L EMPRISE D UNE COLERE AVEUGLE. MAIS QUE L ON JUGE CET ENFANT DEJA BIEN FRAGILISE PAR LE SORT ET UNE AUTRE HORREUR. JE SOUHAITE QU IL SOIT ENTOURE PAR DES GENS SENSES.J ESPERE POR TOI QUE D AVOIR RELATE CETTE HISTOIRE AURA PERMI D ALLEGER TA BLESSURE.AMITIES VIVAL
pseudo : Brestine
C'est un vrai drame que tu nous racontes là. J'espère que cet enfant ne sera pas complètement abandonné et qu'on saura bien l'accompagner le plus longtemps possible, car il en aura besoin. Ce que tu dis sur "les bien-pensants" m'affligent. Serais-je à ce point naïve ? Heureusement que vous êtes là.
pseudo : VIVAL33
Merci monalisa, PHIL, Brestine. C'est une histoire qui me tient à coeur, et que je souhaitais raconter, mais j'avais du mal à trouver les mots, et c'est l'acrostiche de PHIL, son commentaire, le commentaire de ciloum, qui en ont déclenché l'écriture... Malheureusement, cette violence, ces drames jalonnent notre existence, et certaines personnes, par peur, décident de condamner... Merci pour vos commentaires
pseudo : scribio
Vival, en lisant ton texte, je te l'avoue, j'ai le coeur au bord des larmes, c'est un coup de coeur que je te donne. Ce drame nous fait réaliser que nous ne savons rien ou nous ne voulons pas savoir ce qui se passe à côté de chez nous. Je pense à cet enfant, il lui faudra beaucoup de force, de courage et d'amour pour arriver à se construire, j'éspère qu'il est bien entouré. Malheureusement, on entend trop souvent des "faits divers" de ce genre, et l'on ne comprend pas. Merci pour ce texte poignant. A +, et aussi merci pour ton com.
pseudo : VIVAL33
Merci scribio. Moi aussi, à cet enfant, je lui souhaite beaucoup, beaucoup d'amour.Merci.
pseudo : obsidienne
Même si c'est incompréhensible, c'est peut-être bien que des parents capables de mourir de cette manière soit morts. Qu'aurait-il dû supporter d'eux vivants ? Bon, on peut avoir une histoire moins morbide ?
pseudo : VIVAL33
Obsidienne, je trouve ton commentaire... "étonnant" ?, un commentaire que j'ai déjà entendu, par d'autres... le but de ce texte n'était pas sentencieux, il racontait une scène violente, un drame, maintenant ce n'est pas à moi de dire s'il "est peut-être bien que des parents capables de mourir de cette manière soit morts". Je raconte effectivement un "fait divers" horrible, la violence, comme on en entend d'autres (bébés congelés, enfants torturés, séquestrés, violés...). Alors c'est sûr que cette histoire est "morbide", comme il y a le bien, le mal... ça fait partie de la vie... Maintenant, je n'ai pas cette capacité, et je ne le veux pas, de fermer les yeux et croire que nous baignons dans la guimauve. Ici, c'est un espace où nous racontons nos émotions, de quelques sortes qu'elle soient.
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
C'est une histoire terrible. La vie réserve bien des surprises... Le plus dur, est de devoir composer chaque fois avec les cartes qui nous sont distribuées... Puisse cet enfant trouver la force de survivre après un tel drame! Texte fort.
pseudo : volatile
Nous sommes tous des gens bien pensants: autour de nous, tout près de nous, même sur ce site... Dure réalité. Heureusement qu'il y a parfois de la bienveillance autour de nous aussi.
pseudo : VIVAL33
Merci Cécile, c'est vrai que la vie est imprévisible, et qu'il faut savoir se reconstruire. Merci volatile, oui, heureusement qu'il y a de la bienveillance (et personne, non plus, n'est à l'abri d'émettre des préjugés, des idées toutes faites...), et heureusement qu'il y a un peu d'amour aussi. Amicalement
pseudo : deborah58
Vival33, je n'ai pas lu ton texte avant car je tenais à le lire à tête reposée, persuadée de la profondeur de tes mots que laissait entendre la dédicace au début. Je suis complètement bouleversée à la lecture de celui-ci... Qu'y a t'il de plus cruel pour un enfant que de perdre ainsi ses parents,sans même avoir pu comprendre l'engrenage qui a conduit à cet acte dramatique ? Comment pourra t'-il se construire en tant qu'adulte et quel rapport à la mort entretiendra t'il ? Ces gens "bien pensants" me font horreur. Ce n'est pas parce que l'on est témoin de violence que l'on devient violent... La question n'est pas là...La question fondamentale il me semble est la suivante : comment aider cet enfant à recoller les morceaux de son coeur brisé? Comment chasser les cauchemars qui doivent hanter ses nuits? L'école pourra peut-être l'aider dans la mesure où dans ce lieu il redeviendra un enfant parmi d'autres et que son passé douloureux ne sera pas mis constamment en avant. Je trouve que tu as vraiment beaucoup de courage Vival33,d'avoir su nous relater avec sensibilité et pudeur ce drame de la vie quotidienne qui t'a touché personnellement. La bonté dont tu fais preuve dans ton texte me touche et m'émeut profondément.Merci.Amitiés.
pseudo : VIVAL33
Merci deborah58 pour ton commentaire. Dans ce texte, j'ai voulu raconter ce qui est arrivé, et qu'on ne pourra changer, une fatalité. Et surtout faire prendre conscience de la cruauté de certaines pensées, paroles dures qui condamnent... Ce à quoi cet enfant devra aussi faire front? Maintenant, je ne sais pas quelle sera sa vie future (je ne peux que lui souhaiter de rencontrer des gens bienveillants qui vont l'aider). Je voulais aussi rappeler combien la violence, on ne s'y attend jamais, peut-être subite, et qu'elle est présente dans notre quotidien, partout, et qu'on ne peut la nier. Même si elle fait peur. Tout comme la mort. Merci pour ton très touchant commentaire. Amicalement.
pseudo : ciloum
Vival, cela s'est passé près de chez toi? On a tous peur de la mort, la mort de nos proches, celle de nos voisins, amis, connaissances. On a aussi tous peur de la folie, la folie meurtrière ou pas, la folie dévastatrice, la folie des hommes...Il y a aussi celle qui nous pousse à créer, et peut-être également à procréer...amitiés Ciloum
pseudo : VIVAL33
Oui ciloum, c'est arrivé près de chez moi. Et je préfère la folie, l'instinct de vie qui nous pousse à créer... Amitiés ;-).
pseudo : BAMBE
Pauvres humains que nous sommes souvent, emportés par les passions, capables du pire comme du meilleur, trop souvent lâches et injustes terrassés par nos peurs. Mais l'enfant grandira, il apprendra et comme, tant d'autres, il se reconstruira, plus fort, peut être, que ce que les adultes lui renvoient parce que la Vie est là.
pseudo : princedudesert
Un tres bon texte...J ai aussi visité tn site artistique et j ai decouvert que tu as du talent.Mon pseudo sur my art est bulledor.Amitiés
pseudo : Claire de lune
Merci pour ton commentaire sur mon poème "mon frère". quelle tristesse pour ce petit!tu m'as mis les larmes aux yeux...
pseudo : VIVAL33
Merci à vous BAMBE princedudesert et Claire de lune. Amitiés.
pseudo : princedudesert
Raconte nous encore des histoires.c est tres plaisant!.J ai apprecié ce que tu peind.Amitiés
pseudo : princedudesert
Merci pour ta visite sur mon texte...Tu es la bienvenue dans ma coquette ville Miliana..Cordillement
pseudo : ombres et lumières, une vie
Bonjour. Je passais, pour cause d'haïku. J'ai été accroché par votre texte : il est remarquablement écrit, ce qui n'est pas rien, et pose une question qui me travaille toujours : pourquoi les victimes finissent si souvent coupables, en notre monde de duretés ? Coup de coeur, c'est peu de le dire.
pseudo : VIVAL33
Merci Bruno pour ton message et ton commentaire qui m'ont beaucoup, beaucoup touchés. Cordialement.
pseudo : briyor
une bien belle petite histoire qui aura rongé a jamais le monde virtuel d'un enfant au début de son initiation pour etre rappellé a l'image réel et terrible d'une triste réalité cauchemardesque!merci pour cette petite histoire
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