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Pourquoi le Romantisme ? - 1/2 par L.

Pourquoi le Romantisme ? - 1/2

Vrai-fausse dissertation en trois partie pour un seul thème : "Oui ? Pourquoi, en ces glorieux temps de XXIème siècle, choisir ce style désuet, daté, pompeux, naïf et profondément agaçant (à long terme), au risque d'encourir moultes foudres et quolibets ?" 
 
Eh bien...

 
 
Au cours de siècles, peu de courants artistiques auront autant prêté à controverse que celui du Romantisme, lequel aura déchaîné les passions, en son temps comme encore aujourd'hui. Considéré souvent comme trop « naïf » ou « excessif » par ceux-là même qui l'étudient, taxé hâtivement d'« égoïsme », voire de « narcissisme », fréquemment confondu avec le « romanesque » et accusé (à tort ?) de privilégier le culte du « Moi » à l'Art lui-même, le Romantisme prête tant à débat qu'il s'est rapidement vu relégué au rang de « vilain petit canard de la littérature ». Or si comme chacun sait, derrière tout « vilain petit canard » se cache un cygne en devenir, nous pouvons légitimement nous poser la question : l'essence profonde du Romantisme peut-elle vraiment se voir réduite à une forme de « crise d'adolescence artistique universelle » ou au contraire, n'a-t-elle pas des fondements plus nobles et plus profonds ?  

1.
 
 
S'il apparaîtra évident à tout lecteur avisé qu'exaltation et lyrisme représentent le cœur-même de l'écriture romantique, ramener celle-ci à l'expression du « moi » ne saurait qu'en donner une vision parcellaire. Tout comme l' « être » et l'« individualité », la « nature » occupe ainsi une place fondamentale dans l'écriture lyrique, elle en est même souvent le noyau, voire le vecteur. Le « moi » romantique ne finit-il pas souvent par disparaître, étouffé par le foisonnement, la richesse, l'immensité d'une Nature déifiée qui seule, importe à l'écrivain ? Ainsi, petit à petit, le personnage romantique finit par s'évanouir, par s'effacer, par perdre ses traits et son individualité pour céder place à une Nature si souveraine qu'elle refuse de lui en laisser, une Nature prenant littéralement le dessus, occupant à elle seule la totalité du premier plan, occultant tous les autres. Narrateurs comme personnages cessent d'exister, littérairement parlant, car c'est là leur finalité, leur véritable fonction : se faire témoins de cette nature, la célébrer, lui prêter leur plume pour lui rendre un peu de ce qu'elle leur a donné ; en d'autres termes : en tant que « faiseur de mots », l'écrivain n'existe que pour qu'elle existe et n'écrit que pour l'écrire « Elle ». En effet, si nous considérons très attentivement le « personnage romantique », nous pouvons constater que bien qu'il revendique son « identité » à corps et à cris, il n'en a pas réellement : Werther, Sorel, tous ne sont finalement que des variations d'un unique archétype, une même entité générique commune qui n'est pas tant le sujet de l'œuvre d'art que les « yeux » à travers lesquels celle-ci pourra naître.  
 
Ne versons pourtant pas dans l'idéalisation : s'il se laisse aller à s'évanouir et n'occupe pas la place principale, le « moi » n'est pas absent de l'écriture romantique, il y a même la part belle. Doit-on nécessairement y lire de l'égoïsme ou de l'égocentrisme pour autant ? Ce serait perdre de vue une nuance de taille : en effet, l'écriture romantique se veut moins comme prônant « l'importance d'un moi » souvent fondu dans les descriptions que comme « expression de ce moi ». Il ne s'agit donc pas pour l'auteur de « s'imposer » mais de « se raconter ». L'acte d'écriture reflète ici moins une « prétention d'être » qu'une « volonté d'exister » : or, de quoi naît cette dernière, si ce n'est, justement, du rapport ambigu qui lie l'auteur à la Nature ? S'il en a fait sa muse et la laisse volontiers prendre le pas sur sa psyché, elle le renvoie nécessairement à sa propre petitesse : comment, alors, pourrait-il ne pas ressentir un profond désespoir en se voulant témoin privilégié de l'immensité d'un univers si vaste que l'idée de grandeur finit par en perdre toute espèce de sens ? Si la nature fascine le romantique, elle lui fait mal. 
La démarche romantique est donc une démarche de célébration mais aussi conjointement de souffrance, en cela qu'elle est implicitement « négation de soi », prise de conscience de la futilité de l'existence humaine : se poser comme « Je » avec un « j » majuscule représente le seul moyen trouvé par l'écrivain pour lutter contre l'étouffement, l'écrasement de cette éternité qui ne sera jamais sienne, de repousser ce qui ne saurait l'être, de supporter le poids de cette immensité qui ne met que plus en relief sa propre fragilité.  
Le Romantique ne dit pas « je » : il le crie, et il le crie parce que s'il veut bien s'effacer humblement devant la grandeur des choses qui le dépassent, comme tout être humain, il ne veut pas disparaître pour autant. « Ecrire » devient pour lui une tentative désespérée de dire « j'ai existé », de faire un ultime et pathétique pied de nez à la fatalité et de briller encore « pour soi, non pour sa plume ou son talent » longtemps après que sa lumière se soit éteinte, comme ces étoiles qu'il se plait tant à contempler.  
Le désespoir constitue lui aussi un des cœur de l'écriture romantique, car celle-ci, contrairement aux idées reçues, ne se résume pas à de sinueuses circonvolutions stylistiques autour de thèmes légers tels que la nature ou le sentiment amoureux : bien qu'il s'agisse le plus souvent d'une écriture très lumineuse, elle renferme aussi sa part d'ombre, et quelle part d'ombre ! La mort plane derrière chaque déclaration d'amour. La douleur du « fini » pointe derrière chaque louange de l'infini. La contemplation prend naissance dans la fameuse bile noire de la mélancolie. Le Romantique n'est pas éternel et il le sait : son écriture est tout à la fois réaction face à cette douloureuse lucidité, et unique moyen d'échapper à la désespérance qui ne peut qu'en découler, de se débattre en sachant que cela est vain, de redonner un semblant de sens à une existence qui n'en a aucun.  
 
Ainsi donc, si par l'écriture l'individu se place « au centre de l'univers », c'est avant tout pour y résister, pour éviter de se perdre avant l'heure dans ces flots d'étoiles, ces mers de néants auxquelles il s'abandonne cependant volontiers à la faveur d'une nuit d'automne ou d'un rendez-vous amoureux. Le « Moi » romantique n'existe que pour peindre la nature, et la nature n'existe que pour que puisse s'exprimer un tel « moi ». 

(à suivre... En admettant que cela intéresse quelqu'un ! ; ) !)
 

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Style : Réflexion | Par L. | Voir tous ses textes | Visite : 2324

Coup de cœur : 12 / Technique : 15

Commentaires :

pseudo : PHIL

TOUT SIMPLEMENT GENIAL.je me demande par instants et en tenant compte de mon expérience si le romantique n'est pas taxé de marginalité , d'orgueil, et à la limite si on ne doute pas de son équilibre mental.A+

pseudo : L.

N'exagérons rien, mais tant mieux si ça t'a plu ou si tu t'y retrouves ! ; ) Bien spur, que le romantique sera forcément taxé de marginalité, puisqu'il sera toujours minoritaire et donc, réduit à l'image qu'il renvoit ! Ceci étant, je doute moi-même de mon équilibre mental ! Vu le monde dans lequel on vit, ça vaut peut-êtr emieux que d'être "sain d'esprit" (ou considéré tel !)

pseudo : ifrit

Belle réflexion sur le romantisme en vérité. Ta dissertation est somptueuse et précieuse, mais n'en garde pas moins tout son sens en nous décrivant, sinon en nous expliquant le romantisme sous ses véritables traits malheureusement fort peu connus et trop souvent confondus. Je vais de ce pas lire la suite.