(Suite du premier texte que j'ai publié ici, en interrogation sur les limites du langage poétique).
Traduire le monde à sa convenance revient à se l’approprier, le ramener à son échelle, le rationaliser. Qu’elle soit graphique, littéraire, onirique, la poésie consiste à se saisir de ce qui nous échappe, à le faire nôtre, le recréer par l’écriture et en le recréant, le conquérir : ainsi en va-t-il de la terre, du soleil et des nues… Ainsi en va-t-il de la mer, des étoiles et du vent qu’en soumettant, je peux offrir. Plus qu’une conquête, c’est une fusion, un échange, un partage. Mais elle… Comment pourrais-je avoir l’audace, l’insolence, même, de la réduire à un regard, si séduisant soit-il ? Comment pourrais-je la décrire alors qu’aucun mot, aucun vers n'en serait capable ? Les plus doux, les plus tendres et les plus mélodieux sonneraient creux, dissonants, méprisables. Des mots comme « merveilleuse », « divine » ou « magnifique » n’auraient aucun crédit, aucun poids, et je pourrais me démener, des jours durant, polir mes strophes jusqu’à user mes rimes, enchaîner les figures, renchérir et surenchérir, je ne serais que pathétique, misérable et verbeux. Chaque mot me trahirait, jusqu’aux plus beaux d’entre eux car il n’existe pas de mots aussi beaux qu’elle, et moi, hélas, je ne suis pas aussi doué, ni si présomptueux. Mettre en vers, c’est intellectualiser, réfléchir, raisonner, construire… Exprimer, parfois. Mais je ne peux exprimer ce qu’il faut ressentir, je ne peux que suggérer. Ecrire de la poésie, c’est tricher, mentir, prendre une distance vis-à-vis du sujet et de ce fait, nier sa vérité profonde. La beauté est mouvement, l’écriture est instantané… « Belle », de tous les mots que je connaisse, est le seul qui convienne : le reste ne serait qu’arabesques, artifices surannés, sonnets de pacotilles. « Belle » est simple, comme « aimer », et les mots les plus simples sont encore les plus beaux si l’on sait les entendre. Mieux, les respecter. Je n’ai qu’eux, aujourd’hui. Je ne peux qu’être sincère et je dois…
Souvenir…
Un regard ?
Non.
Je n’ai vu ni regard, ni sourire d’aucune sorte.
Je n’ai rien vu.
Quelques boucles de cheveux, à peine.
Un visage fragile, taillé de porcelaine.
Une impression étrange,
Comme dans les livres,
Comme si l’univers se figeait, une heure, une minute, une seconde
L’impression d’être frappé par…
Un éclat ? Une étincelle ? Une flamme ?
L’univers qui s'efface dans une brume de coton
Un cœur sur le point d’éclater
La sensation de basculer, d’étouffer, de manquer d’oxygène.
D’être perdu, désorienté,
Figé avec le reste de l’univers.
Flotter dans un état second, agir comme un pantin, un automate.
Ne revenir à soi que bien plus tard,
Trop tard, sans doute,
Avec si peu de souvenirs, une mémoire incomplète
Et la sensation persistante d’avoir effleuré quelque chose
Vécu quelque chose d’extraordinaire
Ne pas avoir de mots pour en parler, sinon des lieux communs, d’absurdes comparaisons
Des mots timides et maladroits
Tellement communs, en soi, qu’ils n’en ont aucune valeur.
Un sentiment si grand, si fort
Et pourtant rien,
Rien pour le retranscrire.
Un regard ?
Je n’ai même pas vu de regard.
Il se fond dans l’ensemble, dans ce visage de porcelaine,
Ces boucles sombres et pourtant lumineuses, ce vertige insensé à m’en tourner la tête,
Et cette sensation de flotter…
Voilà tout ce que je sais d’elle :
Des boucles sombres
Des traits de porcelaine.
Une femme plus belle, Infiniment
Infiniment plus belle que le plus beau des mondes.
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Style : Poème | Par L. | Voir tous ses textes | Visite : 658
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Commentaires :
pseudo : Brestine
"Voilà tout ce que je sais de [toi]" : des mots et des mots d'une grande sensibilité qui savent très bien transcrire un regard, des sensations, une pensée...
pseudo : ficelle
"beau". Simplement. Merci.
pseudo : PHIL
OUPS!TES NEURONES NE CHOMENT PAS. CHAPEAU.
pseudo : scribio
Trés trés beau, un bel hymne à la femme, bravo.
pseudo : L.
Merci (ENCORE) à toutes et tous ! J'espère que je suis et serai toujours à la hauteur de vos attentes ! Ces mots ne sont pas seulement des mots : ce sera sans doute un peu pompeux (et guère original) mais ils sont "moi" autant que je suis "eux"... Quant à me sneurones, elles ne semblent pas vouloir prendre de RTT (vu le mal que j'ai tous les soirs à m'endormir...)
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