Kayl se réveilla en sursaut. Son corps trempé de sueur fut parcouru d'un frisson. Il ferma les paupières, priant le ciel pour que son cœur ne rate pas un battement de plus. Mais au bout de quelques secondes, sa respiration reprit un rythme normal et il put ouvrir les yeux.
Il balaya du regard sa chambre, inondée de soleil en ce tiède matin de juillet. Tout était normal.
Kayl s'affala sur son oreiller, épuisé. Les cauchemars, il en était coutumier, depuis sa plus tendre enfance. Mais cela faisait bien longtemps qu'ils ne le terrifiaient plus. Jusqu'à celui-là.
Nauséeux, il n'osait pourtant pas fermer les paupières, de peur de voir ces images surgir à nouveau devant ses yeux. Ce cauchemar atroce, chacune des fibres de son être en avait souffert. Cette traversée de la forêt, en pleine nuit, poursuivi par une armée de créatures meurtrières, il l'avait vécue, du moins en avait-il éprouvé toutes les sensations. De la chute du cheval jusqu'à l'odeur du sang de cette créature, il se souvenait de tout. La prédiction de cet Oracle, il y avait aussi assisté, comme spectateur de son propre inconscient.
Tout ceci était bien plus qu'un simple rêve.
Dans une colère noire, le jeune homme bondit de son lit et se rendit dans la salle de bains attenante à sa chambre. Il se plaça devant le miroir, et observa son visage exténué. Il fallait convaincre son reflet dans le miroir de chasser de son esprit ces visions apocalyptiques, et de profiter de la belle journée qui s'annonçait.
Pour lui, il était hors de question de prêter attention à ce qui était sûrement le contre-coup du stress des partiels universitaires, deux semaines auparavant. Mais cette explication peinait à conserver sa place dans son esprit.
Lorsque, quelques minutes plus tard, il descendit l'imposant escalier de marbre pour se rendre au rez-de-chaussée, Oxal, le majordome de la famille, montait justement. Ce dernier l'apostropha avec un sourire :
« Vous voilà! Enfin! Je montais vous proposer de prendre un petit-déjeuner, avant de partir. Votre séance de jujitsu commençant dans une petite demi-heure, je pensais que... Seigneur, qu'avez-vous fait, à l'avant-bras ? »
Kayl regarda machinalement son bras, qu'Oxal désignait du regard, et laissa échapper un hoquet de surprise. Une plaie courte mais large béait à la pliure du coude. Plaie qu'il découvrait, mais qui semblait être là depuis plusieurs heures déjà.
Abasourdi, Kayl resta sans voix, le regard fixé sur la plaie, qui suintait encore. Devant le regard stupéfait du majordome, il bégaya enfin :
« Je... Euh ... J'ai probablement voulu m'échauffer pour le jujitsu dans mon sommeil et je me suis griffé, voilà tout ! »
Oxal sembla adhérer à cette théorie, et se lança alors dans une liste impressionnante d'interventions médicales à programmer pour éviter la septicémie. Mais ce n'était pas cette égratignure en elle-même qui inquiétait Kayl, mais son origine. Car il savait très bien d'où est-ce qu'elle provenait.
De la sylphide.
Kayl parvint à détacher le regard de son bras, et coupa le majordome dans son discours :
« N'en faites pas une syncope, mon cher Oxal. Cette petite plaie guérira d'elle-même. Par contre, si jamais mon bras devient rouge et enflé, je risque de vous emprunter la scie ! »
De toute façon, vous n'en ferez qu'à votre tête, mauvaise graine, maugréa Oxal en souriant. En attendant, je constate que ces maudits examens vous ont réellement vidé de toute énergie. Vous avez toujours l'air aussi fourbu qu'il y a quinze jours !
Fourbu, fourbu, je vous en prie, cher Monsieur ! ironisa Kayl. Je peux encore vous battre aux 100 mètres, rassurez-vous !
Jeune homme, ce ne serait pas un exploit de défier à la course un vieux monsieur, railla Oxal. Soyons sérieux un instant, êtes-vous sûr que c'est raisonnable de vouloir aller à votre séance ?
C'est plus que raisonnable, c'est indispensable, répondit Kayl. Je ne compte plus le nombre de séances manquées au profit des révisions, alors il est hors de question d'en rater encore d'autres. Et puis j'ai grand besoin de me défouler, vous le savez. De toute façon, vous ne me voulez certainement pas dans vos pattes toute la matinée, je présume...
Bon, d'accord, finit par concéder Oxal, tout en redescendant l'escalier. Mais si vous renoncez une fois là-bas, n'hésitez pas à appeler. En attendant, si vous voulez un thé avant de partir, la bouilloire vous attend dans la cuisine. »
Au fond de lui, Kayl savait que cette fatigue n'avait rien de passager. Tout comme il savait que cette blessure au bras ne lui tombait pas du ciel. Mais trop de choses se bousculaient en même temps dans son esprit pour que Kayl y voie clair. De toute façon, se dit-il en suivant Oxal dans la cuisine, deux heures de sport intensif ne pourraient lui faire que le plus grand bien.
Peut-être aurait-il les idées plus claires à son retour.
Kayl se servit le thé fumant dans une tasse et s'appuya contre le chambranle de la porte. Sirotant le liquide encore fumant, il demanda :
« Au fait, savez-vous pourquoi Papa est parti si tôt, aujourd'hui ? Il est à peine sept heures et demie...»
Le vieux majordome réfléchit un instant puis répondit, cherchant ses mots :
"Il... Il est parti au centre-ville... pour un congrès de l'Ecole des Chartes, me semble-t-il. Il ne sera pas là de la journée, m'a-t-il dit.
Ah ! Dommage. »
Mais son ton qui se voulait dégagé, n'était que façade. Le père de Kayl, directeur d'un des plus illustres musées de Londres, n'était que rarement à la maison et ses absences fréquentes laissaient depuis longtemps son fils quasi-indifférent. Pourtant, aujourd'hui, le jeune homme aurait bien aimé le savoir à ses côtés.
Celui-ci s'approcha de la fenêtre pour contempler le jardin. Baignée d'un soleil éclatant, la rosée sur l'herbe réfléchissait la lumière du matin, et donnaient aux pelouses un aspect velouté. Les arbres balançaient doucement leurs branches sous la brise, et les fleurs dans les plates-bandes ouvraient peu à peu leurs corolles.
Tout semblait si paisible... Kayl aurait bien eu besoin de ce calme intérieur, ce matin.
Mais le crissement de pneus sur le gravier de l'allée le ramena vite à la réalité.
« Ah, s'exclama le jeune homme, Jack est arrivé. Je file !
Bonne séance ! Essayez de ne rien vous casser ! » répondit Oxal, narquois, en le regardant partir.
Kayl traversa l'allée et entra dans le cabriolet de son père, en jetant son sac de sport à l'arrière. Jack, le chauffeur de la famille, mit le contact et démarra. La voiture quitta rapidement le manoir pour s'engager sur la nationale, presque déserte à cette heure-ci.
Tout en regardant d'un air absent la route défiler, Kayl songea au conseil que lui avait donné Oxal, un peu plus tôt. N'aurait-il pas mieux fait de lézarder le reste de la matinée sur la terrasse, avec le dernier Dan Brown dans une main et une citronnade dans l'autre ?
Non, se morigéna-t-il en souriant intérieurement. Ce n'était pas son genre. Cela dit, il ne pourrait empêcher le vieux majordome de s'inquiéter pour lui.
Le jeune homme aimait profondément Oxal. Le majordome n'avait en effet pas hésité à prendre en charge son éducation, lors de la mort de sa mère Iris, survenue lors des premiers mois de Kayl. Le vieux monsieur avait ainsi remplacé un père malgré lui inexistant, pris par des réunions ou des colloques de dernière minute.
En tous les cas, Kayl Rochwald n'avait jamais manqué de rien.
Lui et son père vivaient dans un splendide manoir de style colonial où avaient vécu nombre de générations Rochwald. Situé en périphérie de Londres, le domaine possédait un gigantesque bois où Kayl aimait vagabonder dans ces moments perdus.
Côté études, Kayl achevait sa troisième année d'Histoire, passion qu'il avait décidé de transformer en vocation. Il avait obtenu d'excellents résultats l'an passé et envisageait d'un œil confiant les trois dernières années d'études qui lui restaient.
Actuellement, il vivait paisiblement les premiers jours des vacances d'été et suivait plus assidûment que jamais ses cours de ju-jitsu. Petit, le vide créé par l'absence de sa mère avait laissé un traumatisme si violent en lui qu'il s'était renfermé, associable et taciturne. Pratiquer ce sport depuis ses quatre ans lui avait progressivement permis d'évacuer toute sa haine et sa rancœur.
Aujourd'hui, il vivait tout à fait normalement, comme un jeune homme de dix-neuf ans. Seuls ces terrifiants cauchemars venaient perturber ces moments de détente, et c'est donc un peu soucieux qu'il poussa la porte du gymnase privé de Mr Nia-Lon, son senseï.
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Style : Poème | Par evilstar101 | Voir tous ses textes | Visite : 790
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Commentaires :
pseudo : deborah58
Toujours aussi interessant... Bien joué pour le coup du rêve... j'avoue que je ne l'avais pas vu venir... De plus le héros, Kayl me fait pensé à une autre persone,dont j'ai parcouru un blog ... Etrange non, comme coincidence : même âge... mêmes études peut-être (là je polémique)... Bon pour le sport de combat, je n'en sais rien... donc je m'arrête là dans mes supppositions... En tout cas, j'attends la suite... Nouveau rêve ? Nouvelles perspectives ?
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