Le cavalier se mit alors à murmurer à l'oreille du pur-sang, qui abandonna ses dernières forces dans la course. Le sentier émergea enfin du bois et le cavalier s'échappa du couvert des arbres. Les sylphides, prisonnières de la forêt, ne purent que le regarder s'enfuir.
Le cavalier maintint son allure. Le silence revint, mais il entendit les hurlements de la horde résonner dans sa tête bien après qu'il eût quitté la forêt .
Les silhouettes noires des chaumières de Delphes se dessinaient déjà. Le cheval, animé d'une énergie nouvelle, poursuivit son galop effréné vers la cité endormie.
En traversant les quartiers plongés dans le silence, le cavalier jeta un regard alentours. Les villageois avaient tous enfermé leur bétail et leurs outils à l'abri dans leurs granges, transformant ainsi les ruelles de Delphes en des allées nues et sans vie. Les volets en bois des habitations étaient tous fermés, et aucune lumière ne filtrait à travers eux.
Delphes s'était barricadée afin de passer une nuit de plus.
Le cavalier ne pouvait leur reprocher cet excès de prudence. La région n'était plus sûre depuis bien longtemps, et les rues étroites des faubourgs de la grande cité devenaient dangereuses après le coucher du soleil.
Mais tout allait changer à présent.
Le galop du pur-sang les conduisit rapidement jusqu'à une grande bâtisse en hémicycle, située à l'entrée du centre de la ville.
Le Temple de Delphes.
Le cavalier descendit et contourna d'un pas vif le bâtiment, son cheval à ses côtés. Une fois arrivé devant l'imposante porte, il sortit une clef en fer de sa poche, qu'il fit tourner d'un geste fébrile dans la serrure. Le loquet se déverrouilla sans un bruit. Après avoir fait rentrer son cheval à l'intérieur, il jeta un dernier coup d'œil à l'extérieur. Personne. L'homme referma alors la porte sur le vent et la pluie qui commençait à tomber;
Il conduisit son cheval dans les confortables écuries intérieures, adjacentes au bâtiment.
« Repose-toi, Argo, fit l'homme en caressant le pur-sang. Nous repartons demain. »
Son cheval en sécurité, l'homme revint dans le vestibule et enleva enfin sa lourde cape de voyage. C'était un homme jeune, d'une trentaine d'années environ, à la carrure athlétique. Il avait les traits fins d'un visage noble, et les cheveux d'un brun très clair.
Il n'eût pas à patienter très longtemps avant d'être reçu, car un vieil homme sortit soudain et vint à sa rencontre.
« Que les dieux soient loués ! Démiolon, je suis si heureux et soulagé de te revoir en vie !
Je le suis moi aussi, Chléros. Moi aussi. » fit le cavalier.
Les deux hommes se serrèrent chaleureusement la main. A la vue du bras ensanglanté de Démiolon, le vieil homme reprit :
« Mon garçon, que t'es-t-il arrivé ? Une attaque ?
Longue histoire, fit l'homme d'une voix lasse. Une horde de sylphides a tenté de m'abattre. Dans le bois.
Elles ne voulaient certainement pas te voir rejoindre les tiens, commenta le vieil homme. Tu n'as rien ?
Je suis juste tombé de mon cheval, mais j'ai connu bien pire ces derniers temps, ironisa Démiolon. Sois sans crainte, à part cette plaie, je n'ai rien, fit-il en réponse au regard du vieillard. Je te raconterai mon voyage, mais nous devons parer au plus pressé. As-tu bien obtenu une audience avec l'Oracle de Delphes ?
Bien sûr. Elle nous recevra ce soir, comme ta lettre le demandais. Mais pourquoi la consulter ? Qu'avons-nous à craindre du futur, désormais ? Les Titans ne représentent plus une menace pour personne, à présent ! Le Temple divin est leur prison, l'Olympe leur gardien ! Le monde peut enfin respirer en paix, et ce grâce à toi, ajouta-t-il en esquissant un sourire.
Le temps des réjouissances est encore loin, fit Démiolon d'une voix grave. Le Temple n'est qu'une solution provisoire. »
La fragile allégresse s'effaça du visage du vieillard, qui se mit à fixer le jeune homme de ses yeux gris.
Quoi ? Explique-toi...
Comme tu l'as dis, les hommes sont saufs pour l'instant. Mais notre devoir est aussi de préserver le futur. Et c'est là que nous avons commis une erreur.
Une erreur?
Oui. Le Temple n'est pas une solution. Ses murs sont certes faits de la plus dure des pierres, mais même la pierre n'est pas éternelle, expliqua Démiolon. Quant aux Charmes de Protection qui l'encerclent, ils ne pourront résister longtemps à la noirceur de la magie qu'ils emprisonnent. Le Temple nous permettra certes de gagner un peu de temps. Mais il faudra, un jour, trouver un autre moyen...
Mais comment ? interrompit Chléros. Rien d'autre que l'Olympe ne peut parer la rage des Titans. Ce Temple est la seule issue que nous connaissons ! »
Le vieil homme s'approcha d'une des fenêtres de l'entrée et s'y appuya, l'air las. La pluie tombait a présent en averses sur la ville, et le vent lui donnait une violence plus grande encore. Au loin, le tonnere gronda.
Chléros, le regard absorbé par la tempête, reprit enfin la parole:
« Pour autant, ce que tu dis est juste. Il n'existe pas de pouvoir assez grand qui puisse enchaîner ces monstres pour l'éternité. Ils reviendront. Ett nous serons perdus. »
Le vieil homme soupira profondément en fixant d'un œil triste la ville endormie sur laquelle s'abattait l'orage. « Tous ces innocents, murmura-t-il. Ils ont déjà trop souffert et tout perdu. D'une manière où d'une autre, cette folie doit cesser. »
L'erreur serait de perdre l'espoir, mon ami, dit le cavalier.
Il s'approcha du vieillard et lui posa une main amicale sur son épaule.
« Il reste une solution, dit-il.
Laquelle ? lui demanda Chléros d'un air désabusé.
Si les Titans restent en exil, leur Magie se flétriera. Ils se repaîssent de souffrance et de folie, n'oublie pas. S'ils ne peuvent plus les répandre, ils finiront par s'affaiblir. En attendant, nous devrons empêcher leurs enfants d'approcher du Temple. La bataille sera rude, mais nos armées sont encore debout. Et les générations suivantes prendront la relève. Nous devons tenir la position jusqu'à ce qu' Il arrive ! Et là, Il pourra intervenir...
Tu parles d'un vrai suicide ! s'insurgea Chléros. L'Elu est le seul à pouvoir tenter un combat de front, je le sais bien, les Prophéties sont connues de tous. Mais j'ai vu les Titans, là-dehors! Je sais les horreurs qu'ils sont capables d'infliger aux mortels!
Je comprend ton point de vue, concéda Démiolon. Je reviens de Thermopyles. J'ai vu le spectacle d'une désolation dont tu n'as pas idée. J'étais en Thrace, aussi.
La Grande Bataille de Thrace! reprit Chléros. Un carnage sans nom... Aucun humain ne peut lutter contre ça!
Pour l'instant, les dieux ont gagné la bataille, c'est tout ce qui compte. Et aussi longtemps que les Titans resteront enfermés, ils s'affaibliront.
Ceci prendra des millénaires! Notre civilisation aura peut-être disparu, et nos Dieux seront morts!
Peut-être bien. Mais lorsque l'Elu arrivera, ils lutteront à armes égales.
On ne lutte jamais à armes égales avec la folie et la perversion, commenta Chléros. Mais peut-être que Lui pourra... C'est une grande responsabilité qui pèsera sur ses épaules, d'autant plus que, lorsque le moment sera venu, il sera seul. Contre quatre. Si seulement les Parques pouvaient nous en apprendre un peu plus sur la Ligne de Vie de ce Héros... »
Un cri déchirant retentit soudain à l'intérieur du Temple de l'Oracle, dans l'entrée duquel les deux hommes se tenaient. Démiolon et Chléros, après un regard alarmé, se précipitèrent vers la lourde porte, qu'ils l'ouvrirent d'un commun effort.
Ils pénétrèrent d'un pas vif dans la lumineuse salle destinée aux entretiens et aperçurent, au milieu de la pièce, deux servantes agenouillées à côté de l'Oracle. La jeune fille, en tenue d'apparat, était en proie à de violents spasmes, mais semblait être en même temps totalement inconsciente.
« Chrysalia! » gémit Chléros, la gorge nouée. Les deux hommes s'approchèrent rapidement de l'Oracle, que les deux femmes avaient bien du mal à maintenir au sol tant ses convulsions étaient violentes.
« Les Dieux lui inspirent une Vision, expliqua l'une des deux servantes lorsque Démiolon arriva à sa hauteur. Mais c'est la plus intense et la plus puissante qu'elle ait jamais eue. »
Démiolon se pencha sur le corps crispé de la jeune fille et lui palpa le front du dos de la main.
« Elle est brûlante de fièvre, conclut-il d'une voix blanche.
Transportez-la sur le lit près de l'autel, ordonna fermement Chléros. Il faut oindre son front d'huile de palme et de séné, afin qu'elle recouvre son esprit et ses sens. La Vision ne devrait plus tarder à se dissiper, à présent. Allons-y. »
Aidé des deux servantes, Démiolon prit l'Oracle inconsciente dans ses bras et se dirigea vers le lit, près de l'autel d'Apollon.
Mais avant qu'il ait pu l'atteindre, une bourrasque des plus violentes fit soudain irruption dans la pièce. S'insinuant par portes et fenêtres, elle traversa la salle et souleva le corps agité de la jeune fille dans les airs.
Interdits, Démiolon, le vieil homme et les servantes ne purent qu'observer Chrysalia s'élever lentement dans les airs. Son corps tourmenté tournoyait dans les airs, en proie à des sursauts incontrôlés.
Puis, en quelques secondes, la jeune fille retrouva le calme avant d'ouvrir doucement les yeux. Ses spasmes avaient peu à peu disparu, mais elle semblait maintenant subjuguée, en transe.
La brise redoubla alors d'intensité, et l'Oracle se mit à psalmodier d'une voix claire et forte. Couvrant sans peine les hurlements du vent, la jeune fille commença sa mélopée :
Voici venu le temps du Choix,
Lumières ou Ténèbres, il faut choisir sa voie
Votre Quête n'attend pas.
Trouvez l'Elu; de lui dépend le Monde,
Par monts et par vaux, trouvez-le avant qu'Il ne tombe.
Votre Quête n'attend pas.
L'oeil de Zeus est tombé, et l'Elu devra lutter.
Aidez-le, le temps presse, vous le savez
Votre Quête n'attend pas.
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Style : autre | Par evilstar101 | Voir tous ses textes | Visite : 647
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Commentaires :
pseudo : deborah58
J'aime toujours autant ton style d'écriture...Le passage sur l'oracle est selon moi le plus captivant de ce prologue. Je trouve vraiment ta nouvelle passionnante et attend la suite prochainement. Amitiés
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