L'orage approchait. La pleine lune, haute dans le ciel, se voilait de nuages noirs charriés par le vent. L'air était lourd, et une moiteur oppressante envellopait le paysage d'un étau tenace. L'obscurité grandissait. Les ombres s'étendaient peu à peu.
La faune elle-même sentait qu'une tempête se préparait. Des nuées d'oiseaux se réfugiaient au creux du feuillage touffu des arbres. Les biches quittaient hâtivement le bord de la rivière, menant leurs faons à l'abri des sous-bois. Un hibou se perchant sous un pin, et hulula tristement dans la nuit.
Puis le silence s'installa. La nature retenait son souffle.
Soudain, le galop vif d'un cheval se fit entendre sur la berge. Le pur-sang s'élançait le long des rives sablonneuses, insensible aux nuages de poussière soulevés par les bourrasques. Son cavalier, un homme vêtu d'une longue cape noire, guettait les eaux troubles de la rivière. Le passage à gué ne devait plus être loin, à présent.
Quelque peu après, le cavalier tira sur les rênes de sa monture, la guidant calmement vers le bord de l'eau. Le cheval, en confiance, entra progressivement dans les eaux noires pour commencer la traversée d'un pas lent.
L'homme caressa l'encolure trempée de sueur du pur-sang. Le cheval, les pattes dans l'eau glacée, tremblait de froid. « Courage, mon Argo. Nous y sommes presque...» lui murmura l'homme d'une voix douce. Le cheval hennit doucement.
Le cours d'eau, dont la surface était restée calme jusque-là, commençait à se rider sous les rafales. Le cheval eut bientôt le ventre dans l'eau. Il accéléra le pas.
Un éclair zébra alors le ciel. Le cheval se cabra alors de peur et parcourut aussi vite qu'il pût les derniers mètres qui le séparaient de la berge, avant de s'extirper des eaux froides de la rivière. Une fois à sec, le cavalier sauta à terre et caressa vigoureusement le pur-sang effrayé et transi de froid. Sous ses mains, il sentit le cheval se calmer peu à peu.
Il était grand temps d'arriver. Ils étaient partis de Thermopyles la veille au matin, et ne s'étaient accordés que quelques heures de repos. Le cheval était exténué.
Une fois que ce dernier eut retrouvé son sang-froid, le cavalier mena sa monture sur le sentier un peu plus loin. Ce chemin tortueux serpentait au cœur d'un bois touffu, dont les arbres étendaient leurs ramures loin au-dessus des têtes.
Après quelques minutes de traversée, il donnait directement sur les premiers faubourgs de la cité de Delphes.
Mais ces quelques minutes semblèrent alors une éternité pour le cavalier et sa monture hors d'haleine.
Une fois qu'ils furent sur le sentier, un silence étouffant les enveloppa brusquement. On n'entendait plus le chuchotement de la rivière, ni le souffle du vent. La forêt dense les isolait de l'extérieur, retenant tous les bruits. Seul le souffle rapide du cheval se faisait entendre.
Les arbres retenaient la lumière de la lune dans leurs branchages, et projetaient au sol de sinistres ombres portées. Leurs feuilles bruissaient sous le vent. La nervosité gagnait le cavalier, et son cheval en ressentait chaque bribes.
Tout en progressant sur le sentier, il scrutait l'obscurité impénétrable des sous-bois. Mais l'épais brouillard ajouté à l'ombre de la nuit empêchait de discerner quoi que ce soit.
Inquiet, le cavalier intima à son cheval l'ordre d'accélérer la cadence. Le pur-sang fila dans la nuit.
Alors que l'orée du bois se dessinait au bout du sentier, le chevalier perçut un craquement de branches sur sa gauche.
Une ombre se louvoyait entre les arbres.
Le cavalier tenta de la repérer mais, quoi qu'elle soit, elle se mouvait bien trop vite. Le cheval avait senti la présence. Il maintint son galop.
L'orée du bois n'était plus qu'à quelques centaines de mètres. Le cavalier tira son épée du fourreau attaché sur son dos, prêt à se frayer un chemin à la lame de son arme.
Une silhouette enténébrée sortit du couvert des arbres et bondit au milieu du sentier. Le cheval, effrayé, freina des quatre fers. Le cavalier retira sa capuche, et observa l'assaillant.
La silhouette s'apparentait à celle d'une femme. Mais son corps était aussi noir que la nuit. Vêtue de voiles et de lambeaux de tissus, elle avançait à son encontre. Son visage était encore masqué par l'obscurité.
« Sylphide, je t'ai reconnu, lança le cavalier d'une voix grave. Que me veux-tu ? Parle! »
La créature se contenta de le scruter un moment, puis éclata d'un rire sans âme :
« Petit être... Si fragile... Une feuille d'automne sous la brise... Un souffle d'air dans mes cheveux...»
Elle se rapprochait. Le cavalier resserra instinctivement son épée dans sa main. Elle avança encore.
« Nos pères... Nos pères pleurent dans le noir, prisonniers d'ici-bas... Ils implorent l'aide de leurs enfants... Ils nous appelent... Les entends-tu, toi aussi? Leur supplique résonne à travers le monde... Nous devons les rejoindre... »
La silhouette se trouvait à présent à quelques pas du cheval. Le cavalier brandit son épée.
« Alors tu périras, comme tous ceux de ton espèce ! Votre race est morte ! » lança-t-il.
La sylphide se cambra en arrière, puis poussa un hurlement d'outre-tombe. L'écho résonna dans le silence de la forêt. Une fraction de seconde plus tard, d'autres lui répondirent, venant de tous côtés.
La horde arrivait.
La sylphide bondit en avant, et entra dans la lumière. Ses yeux jaunes étaient ceux d'une louve en chasse, et ses lèvres ouvertes découvraient une bouche odieuse, aux crocs acérées maculés de sang.
Elle prit son envol et agrippa le cavalier par le bras. Les serres de la créature se plantèrent dans son bras, et la douleur arracha un cri au jeune homme. Mais celui-ci parvint à se dégager et s'échappa par une roulade. Au moment où la sylphide le chargeait à nouveau, il fit tournoyer sa lame.
La sylphide s'écroula, la gorge tranchée.
Sans perdre une seconde, le cavalier se remit en selle. Il fit claquer les rênes et son cheval reprit la course.
Le jeune homme l'avait senti sans même se retourner. La horde de sylphides l'avait encerclé. Elles couraient sans bruit à travers les arbres, tentant de se mettre à sa hauteur. Leurs hurlements sépulcraux se mirent à retentir tout autour de lui.
La chasse avait commencé.
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Style : autre | Par evilstar101 | Voir tous ses textes | Visite : 851
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Commentaires :
pseudo : deborah58
J'adore vraiment ta manière d'écrire... Deplus ton histoire est captivante. Aurons-nous la suite prochainement. En tout cas moi, je l'attends avec impatience...
pseudo : deborah58
Ah oui... j'allais oublier... J'écris moi aussi une nouvelle... Vu la qualité de ta plume, je serais vraiment enchantée si tu me donnais ton avis... Cette nouvelle s'intitule "Entre deux" et se trouve sur ma page auteur. Amicalement
pseudo : evilstar101
Pas de souci, je publie dès ce soir la suite !
pseudo : monalisa
QUELLE TRAVERSÉE DES ÂGES QUI NOUS EMMÈNE VERS UN MONDE MYSTÉRIEUX ET TROUBLANT. UNIVERS FASCINANT DU TEMPS QUI VOYAGE DANS LA FORÊT ÉTRANGE OU LES ÊTRES PARAISSENT HORS DU TEMPS. BRAVO ET BONNE CONTINUATION
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