Malgré une douceur et une
quiétude inhabituelle pour un début de mois d'octobre, un étrange tumulte jouait sournoisement dans ma tête. Voilà
plus d'un an que je poursuivais mon chemin de villes en villes, sans trop
savoir où ce voyage pourrait bien me mener. Il y avait-il une destination
finale ? Un endroit où poser ses valises, sans aucun état d'âmes, sans
aucune fuite en perspective.
Etaient-ce ces ruelles
labyrinthes, entraînant une masse compacte de promeneurs au fond du gouffre
urbain, qui transformaient mon esprit en un entonnoir. Ce flot perpétuel, qui
se déversait rigoureusement, commençait à m'envahir. Mais une issue de secours
s'offrit gracieusement à moi.
Un porche de style roman,
qui de toute sa sobriété, s'enfuyait à perte de vue vers la plage et la mer.
Plus je m'avançais et plus le calme me regagnait, ne laissant place qu'au
rythme érotique des vagues caressant le sable.
J'aperçus alors une
silhouette, à quelques mètres de là. Le regard plongé dans l'infini, rien ne
semblait atteindre cette ombre, si ce n'est la douceur de la brise maritime.
Elle se tenait là, sur la
digue, assise en tailleur. D'une majestueuse finesse qui dévoilait un corps
fragile et scintillant de toute sa pâleur, elle écoutait le monde comme pour
discuter avec lui, et savoir pourquoi elle attendait ici. Combien de temps
encore ?
Dans cet instant d'éternité,
tout me semblait en suspend. Quelques minutes auparavant, un flux violent
m'emprisonnait en résonnant dans chacune de mes cellules. Et là, c'était tout
le contraire qui me figeait sur place. Comme si la grande horloge avait décidé
de nous jouer un tour en mettant son mécanisme en pause. Au point que même
l'immensité semblait retenir son souffle devant cette fleur sauvage.
Mais je compris que cela
n'avait plus aucune importance, quand d'un simple regard, elle me dit du plus
profond de son cœur : Je patiente depuis l'éternité.
Puis, elle se détourna, se
leva, traversa l'avenue qui longeait la plage et commença à gravir les
escaliers menant au bout de la falaise.
Comme happé par cet être si
mystérieux, je me mis à la suivre sans savoir pourquoi et surtout sans
comprendre quelle magie pouvait ainsi m'aimanter au point de me transformer en
un simple voyeur sans discrétion.
Nous fîmes quelques haltes,
durant cette longue et pénible ascension. Mon souffle devenait de plus en plus
court. Mais elle me laissait quelques chances de finir ensemble ce voyage
imprévu. Sa destination m'était encore inconnue, mais j'étais prêt à la suivre
durant des heures, me laissant simplement guider par un parfum qui m'enivrait
un peu plus à chaque marche.
Parvenus au sommet, où la
brise plus forte et plus fraîche venait nous griffer le visage, comme pour nous
signifier que le réel avait bien sa place ici, elle s'approcha de la rambarde et se retourna une dernière fois.
Son regard profond fit
méthodiquement le tour de l'esplanade, sans que je sache pour autant si elle
aperçut le décor médiéval qui nous entourait. A la fois présente de tout son
corps mais aussi dans un ailleurs lointain, elle semblait encore communiquer
avec l'infini.
Je voulus l'arrêter pour lui
dire qu'elle n'aurait peut-être plus à attendre. Que l'infini si lointain
qu'elle recherchait se trouvait juste là, devant nous et avec nous. Que ce
présent qui nous était offert, juste à portée de main, était aussi réel que
cette brise marine qui ne cessait de nous gifler.
Mais tous ces mots
commençaient à s'entrechoquer en moi, comme quelques heures auparavant. Ils
reprenaient les ruelles sinueuses du monde d'en bas que j'avais pu fuir grâce à
cette rencontre. Je me sentais transporté dans un mouvement d'éternel
recommencement.
Alors le vide se fit tout autour de moi. Et comme la première fois, je m'éveillais à nouveau devant cette silhouette
étrangère, qui se tenait sur le rebord de la rambarde. Comme si l'origine du monde envahissait tout l'espace environnant, nous transportant à l'aube de l'humanité, nous avions tous les possibles juste devant nous.
Mais dans l'immensité de ce silence, un son vint déchirer la toile de mes pensées. Et du fond de son cœur
résonnèrent une dernière fois ces quelques mots : Je m'en retourne au
pays.
Puis elle s'envola au-dessus de la jetée, en direction de l'horizon; cet horizon que je fixe chaque jours, dans l'espoir de voir revenir cet oiseau au regard de lumière qui m'a quitté au début de l'automne, en cet endroit prénommé "le mont aux morts"
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Style : Nouvelle | Par Denis.Z | Voir tous ses textes | Visite : 794
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Commentaires :
pseudo : Motus
Ton texte est bien, mais je n'arrive pas a faire le lien avec le nom du mont...mais bon, continus tu as du talent!
pseudo : Denis.Z
Motus. Merci pour tes commentaires. Pour l'explication, le lien du texte avec le nom du mont aux morts réside dans l'image du secret du temps et de l'éternel recommencement. La vie et la mort font partie de notre expérience et le départ en est leur ambivalent où chacun peut en renaître ou en mourir.
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