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Logique par tehel

Logique

 

Les chiffres indiquant l'heure, dans le bas de l'écran, marquaient 10h27'.

A la lueur du soleil pâle de cette matinée de décembre qui pénétrait par le Vélux, Norbert achevait d'encoder son programme.

En bas, Frédérique, sa femme, jouait avec les enfants, il pouvait entendre leurs cris de joie.

‑ Norbert ? elle l'appela.

‑ Oui ?

‑ Tu descends bientôt ?

‑ Pour le dîner chérie, j'ai beaucoup de travail ! mentit‑il.  Norbert n'avait plus rien de particulier à faire, sinon attendre que le système informatique digère le virus !

Il s'accouda face à l'écran et il regarda les données défiler.  Imprimé dans le coin supérieur droit, un petit sablier clignotait rapidement en signalant à Norbert que la mémoire principale travaillait.

C'était une question de logique !  ‑ Tout est une question de logique ! se répéta‑t‑il mentalement.  ‑ Une simple soustraction ! lâcha‑t‑il encore tout bas en s'adressant comme à lui‑même.  Puis, tandis que la machine installait toujours le virus qu'il avait créé, il se rappela, avec beaucoup de plaisir, la magnifique énigme que son professeur avait un jour posée: ‑ Trois oiseaux se posent simultanément sur un fil électrique, avait dit l'homme en observant ses jeunes élèves par dessus ses lunettes, comme pour ne pas les user, un chasseur expérimenté et armé d'un fusil de haute précision s'approche, il vise, tire et d'une balle, il abat un oiseau.  L'homme avait marqué une pause, tandis que silencieusement, tous les étudiants, des garçons de 6 et 7 ans, buvaient aux flots de ses paroles et calculaient mentalement.  ‑ Combien en reste‑t‑il ?  Dans un cri d'ensemble tumultueux, au ton subversif, tout le monde se mit à hurler: ‑ DEUX !  Et l'homme, cette fois, ôta ses lunettes en se dirigeant au pupitre, où seul Norbert n'avait pas bougé.  Il questionna Norbert du regard parce qu'il souriait sournoisement.  ‑ Dites‑nous, Monsieur Wings, lâcha‑t‑il de sa voix gutturale que tout le monde craignait, expliquez‑nous les raisons de cette expression stupide qui illumine votre visage pâle et qui traduit votre scepticisme ! et les autres s'étaient retournés sur Norbert pour le dévisager.  Norbert, qui semblait se moquer éperdument de la planète entière, affichait effectivement un sourire narquois.

C'était précisément cette expression‑là qui, trente ans plus tard, enjolivait de nouveau la grimace de ses lèvres pincées: l'ordinateur venait d'indiquer: Registered, ce qui signifiait que le virus avait correctement été enregistré.  Tout était donc parfaitement en ordre !

Norbert tapa encore quelques instructions secrètes et puis, il coupa la liaison avec le réseau téléphonique et il descendit rejoindre sa petite famille au rez‑de‑chaussée, comme si de rien n'était !

 

Tout avait commencé trois jours plus tôt, au sein même de la Ultimate Incorporation, la multinationale qui employait Norbert et pour laquelle il avait magistralement accompli des miracles.

Ce mercredi‑là, Vernon Slizengher, le Chef du Service Informatique, le supérieur direct de Norbert, arriva au bureau après 10h00', comme son statut de cadre de haut niveau le lui permettait.  Norbert, qui lui avait pointé à 8h00, comme tous les autres spécialistes de la division, avait déjà réglé avec efficacité plusieurs problèmes épineux et, surtout, il avait ouvert discrètement l'enveloppe contenant sa fiche de paie.  Et une fois encore, il avait été déçu.

Norbert Wings était l'ingénieux inventeur‑créateur de la Carte Ultimate, c'était lui seul qui avait mis au point cette merveille de la technologie moderne, mais tout le monde l'ignorait !

Tout le monde l'ignorait car ça avait été Vernon qui avait signé le projet final. Vernon seul avait tiré profit de cette prodigieuse invention.

Vernon l'incapable, Vernon l'enflure, l'empêcheur de tourner en rond, l'ignare, l'ignoble personnage, le parvenu, qui avait été propulsé, à une vitesse VV', aux sommets de la réussite professionnelle grâce à son opportunisme et surtout grâce à sa félonie.  Car Vernon avait toujours exploité les découvertes et les travaux de Norbert pour son propre compte et cela, sans même lui en être reconnaissant !

La fiche de paie de Vernon arborait un montant net de plus du double de celui de Norbert.  C'était vraiment une injustice !

Vernon arriva par son ascenseur personnel.  Il salua brièvement deux collaborateurs à l'entrée de la salle, puis, il se pencha vers la secrétaire du kot gauche, il lui chuchota quelques mots au creux de l'oreille, en prenant soin, comme tous les jours, de ne pas perdre un millimètre du profond décolleté qu'elle portait expressément à son intention, et celle‑ci se mit stupidement à rire aux éclats.  Une autre secrétaire le félicita pour son magnifique costume rouge (Vernon s'habillait toujours avec goût !), tandis qu'un type ennuyé essayait d'attirer son attention.

‑ Quoi Dievel ? cracha Vernon hargneusement à l'employé.

‑ Le programme 16 bis, Monsieur Slizengher‑

‑ Pas d'emblée le matin Dievel, adressez‑vous à Wings, il pourra certainement vous aider presque aussi bien que moi !

‑ Dieval, Monsieur Slizengher !

‑ Pardon ?

‑ Mon nom c'est Dieval, pas Dievel !

‑ Remettez‑vous au travail, ne perdez pas de temps à des broutilles pareilles ! ordonna Vernon en pénétrant dans le double bureau qu'il partageait avec Norbert.  Vernon était un type exécrable sans tact et sans savoir‑vivre !  Tout au moins avec les hommes...

‑ Salut Norbert, tout va bien ? dit‑il distraitement.

‑ Mes respects Monsieur Slizengher, tout va bien ce matin ! répondit Norbert sans même quitter l'écran des yeux.

Vernon s'était installé à son bureau et il avait ouvert son journal à la page des faits divers, la seule rubrique qu'il comprenait réellement !

La secrétaire du kot gauche, Alison de son prénom, frappa au chambranle de la séparation et attendit que Vernon daigne lever les yeux sur elle.

‑ Oui ?

‑ Monsieur Slizengher, nous venons d'obtenir les dernières statistiques du Service Commercial, nous avons dépassé le chiffre exceptionnel de 100.000.000 !

‑ 100.000.000 ?  Formidable !  Vous entendez Norbert ?

‑ Oui, j'ai entendu Monsieur Slizengher, c'est parfait et ça va encore progresser, croyez‑moi !

‑ 100.000.000 de cartes Ultimate !  C'est fabuleux !  Merci Alison, vous pouvez disposer !

‑ A tantôt Monsieur Slizengher ! dit‑elle encore en pivotant sur elle‑même d'une manière assez lascive qui plaisait à Vernon.

‑ Ah, Norbert, c'est fantastique, cette carte que nous avons créée ensemble, est la plus merveilleuse invention de notre siècle ! récita‑t‑il d'une traite à l'adresse de Norbert.

Celui‑ci lâcha la souris qu'il manipulait et regarda l'autre en face.

‑ Que j'ai créé, Monsieur Slizengher, c'est moi qui ai inventé‑

‑ Oui, oui, nous savons tout cela Norbert, nous savons tout cela, allez, continuez, ne dormez pas sur vos lauriers ! coupa Vernon de sa voix de dictateur, car il n'aimait pas qu'on lui rappelle cette vérité.

Vernon s'était levé et il s'était dirigé vers la machine à café.  Norbert l'avait suivi du regard et en l'examinant déambuler innocemment vers le percolateur, il eut soudain envie de l'assassiner !

Deux jeunes femmes s'étaient approchées de Vernon et elles s'étaient mises à lui parler; Norbert replongea dans son travail sans plus prendre attention à eux.  Vernon, parce qu'il était un bel homme, stylé, maniéré et éduqué, mais surtout parce qu'il était le Chef, avait l'art d'attirer les jeunes femmes avides de promotions.

Norbert leva les yeux au plafond et réfléchit un instant.  ‑ La merde attire immanquablement les mouches à merde ! spécula‑t‑il, puis, il songea à nouveau aux résultats: 100.000.000 de cartes Ultimate, c'était un record !

Cette fameuse carte Ultimate, qu'il avait mise au point, avait en effet séduit bien du monde et cela allait inévitablement continuer !

La carte Ultimate était une carte magnétique ordinaire, de même format qu'une carte de banque classique, sauf que cette carte‑là, c'était la carte qui fonctionnait pour tout.  Elle servait à payer et à gérer l'argent en compte, elle faisait également office de document officiel d'identité, elle reprenait en plus les coordonnées de la Sécurité sociale, c'est avec cette carte‑là qu'on pouvait se faire soigner en cas de maladie et se procurer des médicaments, elle permettait aussi l'accès à toutes les portes codées du domicile, des bureaux de travail, des magasins chics sous surveillance, des parkings, cette carte‑là autorisait également d'emprunter les autoroutes, de prendre l'avion, de téléphoner, de correspondre par courrier ou par satellite, la carte Ultimate était également un parfait curriculum vitae, elle avait remplacé toutes les paperasses depuis bien longtemps oubliées, c'était entre autres, grâce à cette carte qu'on ne pouvait plus voler votre voiture, elle seule commandait à l'ordinateur de bord de démarrer, avec cette carte, tous ceux qui la possédaient, c'est‑à‑dire près de 71% de la population active continentale, pouvait tout faire, c'était une espèce de talisman qui avait judicieusement pallié aux tas de papiers administratifs, aux piles de cartes à puce et à toutes les autres tracasseries y afférent.  Un code, 6 chiffres qu'il fallait retenir, à introduire, et le tour était joué.  Son prix ?  Ridicule !  Le prix de la carte Ultimate était près de 10 fois moins élevé que le prix de revient global de tous les autres moyens archaïques qu'elle avait définitivement remplacés.

Et c'était Norbert l'ingénieux concepteur de cette carte, mais le monde entier l'ignorait, la planète entière croyait qu'il s'agissait de Vernon, cet imbécile de Vernon qui n'avait même pas été capable de résoudre le problème de la perte ou du vol !

 

Puis, Vernon avait hurlé à plein poumons.  Si fort que tout le monde avait sursauté pour ensuite se précipiter près de la machine à café où l'homme s'était lourdement écroulé sur la moquette.  Norbert s'était lui aussi levé de sa chaise et il s'était avancé.

‑ Un court‑circuit ! dit l'un.

‑ Ca devait arriver avec cette foutue cafetière ! prétendit un autre, tandis qu'on aidait Vernon à sa remettre debout.

On le fit asseoir et on lui apporta un verre d'eau.

Alison avait proposé d'appeler les services médicaux, mais Vernon avait vite repris ses esprits, il avait juste été légèrement électrocuté et il allait déjà beaucoup mieux.  Deux employés l'aidèrent à regagner sa place.

‑ Dites‑moi Norbert, vous pensez que la puce en aura pris un coup ?

‑ J'en sais rien Monsieur Slizengher, il faut que je vérifie !

‑ Laissez‑moi encore respirer quelques minutes, ensuite, vous vérifierez ! Vernon avait penché la tête en arrière et il s'était recoiffé en tentant de retrouver son calme.  Les autres avaient regagné leur place.

La puce en question était aussi une invention de Norbert.  Cette puce, qu'on installait par simple incision indolore sous l'ongle du pouce, était directement reliée en corrélation avec la carte Ultimate, c'était la garantie antivol et anti perte.  Sans la puce, la carte Ultimate était inutilisable, et la puce, sans la carte Ultimate, était inefficace.

 

‑ Norbert ?  Ta femme au téléphone, sur la trois ! lança un homme depuis le bureau voisin.

‑ Ok merci, je la prends ! répondit Norbert. ‑ Allo ?

‑ Norbert ? chevrota Frédérique, l'air paniquée.

‑ Oui !

‑ Ecoute, j'en ai assez, ce salopard de Vernon m'a encore abordée ce matin, il m'a de nouveau fait des avances, cette fois, c'en est trop, fais quelque chose, dis‑lui, je ne sais pas moi, signale‑le à la direction, en tous cas, je ne supporterai plus cela longtemps, je te préviens !

‑ Oui, je vois !

‑ Quoi ?  Il est là ? soupçonna‑t‑elle intelligemment.

‑ Oui !

‑ Je m'en balance Norbert, j'en ai assez !

‑ Oui, je comprends ma chérie, je vais m'occuper de tout cela au plus vite !

‑ Je compte sur toi Norbert, ça ne peut plus durer ainsi !

‑ Oui, à tantôt !

‑ A tantôt mon amour, je t'embrasse bien fort !

Norbert avait raccroché et il avait eu l'insupportable envie de bondir sur ce salaud de Vernon pour l'étrangler, mais tout à coup, il eut une idée, une idée machiavélique et géniale à la fois, qui résoudrait tous ses problèmes.

‑ Monsieur Slizengher ? Norbert s'était efforcé de rester calme.

‑ Quoi Norbert ? dit l'homme sur un ton exaspéré.

‑ On y va ?

‑ Où donc ?

‑ Vérifier votre puce !

‑ Ha oui, c'est juste, je vous suis !

Ils étaient alors montés au laboratoire des Services techniques et Norbert le fit s'asseoir dans le siège des tests.  Il brancha l'ordinateur au gant tactile et interrogea les contrôles.

L'écran précisa immédiatement : ON SERVICE ‑ LITTLE FAILURE IN ACCORDANCE WITH CARD RESOLUTION.

‑ Alors Norbert ? s'impatienta Vernon.

‑ Tout est en ordre Monsieur, tout fonctionne normalement !

‑ Bon, c'est encore heureux !  Allez, nous pouvons retourner au boulot.

Ils avaient ensuite regagné leur bureau et Norbert avait continué de réfléchir et d'élaborer son plan, suite à l'idée qu'il avait eue tantôt.  L'écran de contrôle venait de lui confirmer une opportunité exceptionnelle puisqu'il lui avait révélé que la puce comportait une légère altération dans la liaison avec la carte Ultimate !

Ce satané Vernon !  En plus des honneurs et des avantages de la situation, il lui fallait aussi la femme de Norbert !  Cette fois, Norbert avait décidé d'agir !

Ce jour‑là, Norbert travailla très tard.  En fait, il resta le dernier jusqu'à la fermeture de la Ultimate Incorporation, il resta jusqu'à ce qu'il trouve, dans les banques de données, les codes de référence de la carte Ultimate de Vernon Slizengher.

Il lui avait encore fallu une journée entière pour mettre au point les bases d'un virus et ensuite, il fut prêt.

 

Le vendredi midi, Vernon Slizengher eut un petit problème.

Il était sorti, comme tous les midi, pour déjeuner, et cette fois‑là, il avait invité la belle Alison.  Ils s'étaient rendus dans un petit restaurant qu'ils avaient l'habitude de fréquenter et ils prirent une chambre pour le restant de l'après‑midi.  Quand le maître d'hôtel apporta le menu, Vernon réquisitionna le téléphone et il appela Norbert.

‑ Norbert ?  Vernon à l'appareil.

‑ Oui ?

‑ Ecoutez, je suis en compagnie de Madame Digghan, j'ai plusieurs choses à lui dicter, nous serons absents le restant de la journée, vous veillerez à faire le nécessaire auprès du Service de contrôle n'est‑ce pas ?

‑ Bien entendu Monsieur Slizengher ! répondit Norbert d'une voix fausse.

‑ A lundi Norbert ! et le patron avait coupé la communication.

‑ Ca m'étonnerait ! dit encore Norbert en réponse à la tonalité monocorde du haut‑parleur.

Vernon et la fille prirent un copieux repas, puis, ils montèrent et ils finirent l'après‑midi à faire l'amour et à assouvir leurs vices.  Vernon ne dicta aucune lettre à la secrétaire, il lui insuffla juste quelques injonctions qui tenaient plus du désir libidineux que de la correspondance.

Et cela arrangea bien les affaires de Norbert, qui s'employa tout ce temps à parachever les derniers préparatifs de son virus.

Quand, en début de soirée, Alison Digghan et Vernon Slizengher quittèrent leur chambre, ils passèrent par la réception, comme de coutume, pour régler l'addition.

L'homme en complet noir tendit amicalement la fiche à Vernon, qui ne prit même pas la peine de la lire.

‑ Je paie avec la carte Ultimate ! lança‑t‑il fièrement.

‑ Bien entendu ! lui concéda l'autre en prenant la carte et en l'introduisant dans l'appareil relié au réseau téléphonique.

Tandis que Vernon caressait la croupe incendiaire de la fille, la carte fut éjectée de l'appareil.

‑ Ca ne fonctionne pas dit l'employé, l'air navré.

‑ Pardon ? Vernon s'était penché au dessus du comptoir.

‑ Attendez, j'essaye à nouveau. ... Non, désolé, cela ne fonctionne pas !

‑ C'est impossible, vous me connaissez, c'est moi qui ai inventé cette carte ! s'emporta Vernon en introduisant une nouvelle fois la carte dans le lecteur.

OUT OF SERVICE ! dirent les lettres en vert fluorescent du mini écran.

‑ Faudra que j'en parle à Wings ! ajouta encore Vernon en faisant signe de la tête à Alison afin qu'elle essaye sa propre carte.  La fille paya l'addition sans aucun problème et ils repartirent.

Quand Vernon introduisit sa carte dans l'ordinateur de bord de sa voiture, il eut une sérieuse appréhension qu'elle ne fonctionnât pas, mais tout avait fort heureusement marché correctement.  Il raccompagna la fille jusqu'à la station de métro la plus proche en s'excusant.

 

A 11h00', le samedi, le virus de Norbert infecta précisément le réseau informatique en partie.

Ce n'était pas un simple virus, c'était une composition complexe de programmes savants qui allaient détruire toutes les données correspondant à la carte Ultimate de Vernon Slizengher.

 

A 11h03, Vernon, qui achevait ses courses au grand Magasin, tendit sa carte Ultimate pour régler le compte des marchandises entassées dans son chariot bondé.

SOLDE INSUFFISANT ! imprima la machine.

‑ Je suis désolée Monsieur !

Une nouvelle fois, l'homme s'emporta, il ordonna à la vendeuse de recommencer l'opération, mais la machine confirma son premier diagnostic.

Vernon dut quitter le magasin en abandonnant, momentanément, son chariot à commissions.

Quand il voulut reprendre le volant, la voiture refusa de démarrer et le système antivol signala aux forces de l'ordre l'effraction.

Quand la police arriva sur les lieux, le détecteur d'identité ne fonctionna pas.  Ou alors, suggéra un agent perspicace, ce fût l'infaillible carte Ultimate qui était défectueuse ???

Au poste, Vernon éprouva toutes les peines du monde à convaincre les policiers de sa bonne foi, du fait qu'ils ne parvinrent pas à l'identifier, mais finalement, il fut relâché malgré tout, car le propriétaire de la voiture n'avait pas répondu aux appels téléphoniques.  Et pour cause !

Quand Vernon essaya sa carte Ultimate pour emprunter le métro, l'accès lui en fut refusé.  Il voulut téléphoner aux Services de garde de permanences 24 heures sur 24 pour les utilisateurs de la carte Ultimate qui rencontraient des problèmes, mais les cabines, fonctionnant toutes avec des systèmes exclusivement compatibles avec la carte Ultimate, ne lui accordèrent aucune communication.

Vernon faillit en perdre la tête.  Cela ne se pouvait pas !  Norbert Wings avait mis au point le système de la puce, qui malgré la perte ou le vol de la carte, permettait à l'utilisateur de s'identifier et de prendre contact avec la Ultimate Incorporation afin de tout remettre en ordre.  Et cette puce, elle était toujours bien là, l'ingénieur l'avait même vérifiée trois jours plus tôt.  Ce qui arrivait, était tout bonnement impossible, incompréhensible !

Vernon voulut réintégrer son domicile, mais l'entrée de son appartenant lui fut refusée.  Ni le badge, ni le code n'étaient conformes !

Il tenta encore de prévenir les voisins, mais ceux‑ci étaient absents !

Il avait faim, il voulut manger dans un restaurant de la rue principale, mais comme on vérifia sa carte auparavant, on le pria de déguerpir !

Finalement, Vernon troqua son complet bleu ciel de velours satiné contre un peu d'argent, à un type qu'il rencontra sous un pont malfamé.  Il put alors manger à sa faim dans un fast food bon marché.

Le soir, alors qu'il avait bien dû encore tenter d'utiliser sa carte Ultimate une centaine de fois, Vernon fut obligé de dormir sur un banc dans le parc en face de chez lui.  Le lendemain matin, un clochard lui offrit à boire en échange de ses chaussures en croco véritable.  Ensuite, Vernon parvint à obtenir de la nourriture contre son pantalon à pinces confectionné sur mesure.  A midi, il se retrouva dans un accoutrement étrange et sale, qui lui donnait une drôle d'allure.  Il était chaussé de basket trouées beaucoup trop petites pour ses pieds, il avait passé un survêtement de sport poisseux et déchiré à la hanche et il avait endossé une veste immonde qui puait la rage, mais il avait en poche le peu d'argent qui lui permettrait de tenir jusqu'au lundi, grâce à la revente de ses vêtements de luxe et de sa montre en plaqué or.

 

A 8h30, le lundi, Vernon appela Norbert.

‑ Wings ?

‑ Lui‑même, à qui ai-je l'honneur ?  feinta Norbert.

‑ Slizengher imbécile !  Dites, j'ai un sérieux problème avec ma carte Ultimate, en fait, depuis vendredi soir, je vis reclus comme un clochard parce que plus rien ne fonctionne !

‑ Désolé Monsieur, je ne comprends pas ce que vous me dites‑là !

‑ La carte Norbert, la carte ne fonctionne plus ! paniquait l'autre.

‑ Lorsque votre carte ne fonctionne plus, il y a toujours la puce qui vous garantit toute une série d'opérations de première urgence, il n'y a donc aucun risque avec notre carte Ultimate !

‑ Mais Norbert, vous êtes sourd ou quoi, ma puce est foutue, grouillez‑vous de m'envoyer un taxi, je me trouve‑

‑ Désolé Monsieur, je ne peux plus rien pour vous !

Norbert raccrocha.

Le crédit de temps de la cabine scintilla sur zéro.

 

Norbert souriait, il se rappelait encore cette fois‑là où le professeur s'était approché de son pupitre, l'air menaçant.

‑ Dites‑nous, Monsieur Wings, avait‑il lâché de sa voix gutturale que tout le monde craignait, expliquez‑nous les raisons de cette expression stupide qui illumine votre visage pâle et qui traduit votre scepticisme ! et les autres s'étaient retournés sur Norbert pour le dévisager.

‑ Et bien Monsieur, sauf le respect que je vous dois, je voudrais vous signaler que la réponse n'est pas deux, mais zéro !

‑ Comment cela Wings, expliquez‑vous ! avait hurlé le professeur.

‑ Quand l'homme, le chasseur, tirera, suite à la détonation, les deux oiseaux sains et saufs s'envoleront, donc il n'y aura plus aucun oiseau sur le fil ! expliqua calmement Norbert, toujours sur le même ton tranquille et serein.

‑ Bon raisonnement Monsieur Wings, mais vous vous écartez du fondement de la soustraction pure et simple ! tenta de le dissuader l'homme, cette fois en souriant.

‑ Tout cela dépend sous quel angle on envisage la question, Monsieur !  Si on tient compte d'une autre dimension, qui en l'occurrence ici, est l'espace, trois moins un, donne zéro !

‑ Exact, vous avez raison Monsieur Wings !  Prenez en de la graine vous autres ! avait‑il encore ajouté en regagnant sa place, et Norbert avait fièrement redressé les épaules.

 

Un peu comme ce lundi‑là, ce lundi‑là où il venait d'expédier ad vitam aeternam cette merde de Vernon Slizengher dans une autre dimension, dans la dimension des anonymes, des sans adresse, des sans ressource, des crève la faim, des parias, des inutiles pour qui il n'y avait pas de place dans la civilisation moderne.

Vernon  Slizengher tenta encore inutilement de se faire identifier, notamment auprès de la Ultimate Incorporation.  Mais l'homme, qui prétendait s'appeler Vernon Slizengher, n'avait ni papier ni carte Ultimate en ordre de fonctionnement, et de sur

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