Cela faisait déjà un bon moment que j'étais dans la lune, hypnotisé, la bouche ouverte de stupéfaction, totalement ébahi par la vision que j'avais devant moi. Je m'entortillais les doigts en me rongeant les ongles, et puis, ravalant ma salive avec difficultés, j'ai fermé les yeux pour ne plus la voir.
Mais ça avait été plus fort que moi, tandis qu'une traître goutte de sueur dévalait mon front plissé pour emprunter le tremplin de mes sourcils, j'ai soulevé lentement les paupières en espérant à tout prix dans mon for intérieur qu'elle ait finalement disparu, et je l'ai contemplée.
Elle était toujours là, à quelques mètres à peine, juste deux tables plus loin.
Carole n'allait pas revenir avant une heure au moins, j'avais donc tout le temps.
A la table juste derrière, deux jeunes gens assez bruyants sont venus s'asseoir. Je les ai espionnés du coin de l'oeil, puis j'ai replongé sur cette blonde.
Cela faisait si longtemps maintenant que le temps était devenu mon allié !
En fait, cela faisait dix ans !
Plus de dix ans, puisque la dernière fois remontait à l'époque précédant mon mariage avec Carole !
Mais, le temps, que l'on prétend siccatif, n'avait rien arrangé du tout !
Une blonde extraordinaire !
Et l'envie ! Une envie irrésistible qui, sans prévenir, m'avait saisi à la gorge et aux tripes.
Dans ma tête confuse et en ébullition, deux voix se sont mélangées en se contredisant. Carole n'en saurait rien: ici, personne ne me connaissait argumentait une voix, tandis que l'autre me sermonnait en me rappelant que ce n'était pas bien et qu'après il serait trop tard !
Un homme vêtu d'un complet bleu très classe, et à l'after‑shave odorant a pris place en face de la blonde. J'ai nerveusement expiré en regrettant de ne pas m'être décidé plus tôt. Instinctivement, sans m'en rendre compte, j'ai frappé violemment mon poing serré sur la table, j'ai failli renverser la tasse de café qu'on venait de me servir, puis à nouveau, j'ai regardé dans leur direction.
Par chance, l'homme en costume s'était ravisé, abandonnant la blonde, pour déménager vers une banquette du fond, sans doute plus confortable à son idée.
Une blonde à en couper le souffle !
En pensées malsaines, Je me suis imaginé la kidnapper et l'embarquer dans les toilettes, là, m'y enfermer avec elle et ... Je me suis mordu les lèvres, j'ai dus m'éponger le front et, bien malgré moi, je me suis rappelé ...
La dernière fois, je m'en souvenais fort bien, ç'avait été une brune. Une grande brune interminable que je m'étais offert au terme d'une soirée bien arrosée malgré les bonnes résolutions que j'avais prises auparavant, jurant qu'ensuite ce serait la dernière fois !
‑ Fausses promesses que l'on ne tient pas très souvent ‑.
Mais j'avais, malgré tout, tenu bon, parce que depuis cette brune‑là, il n'y en avait plus eu d'autres ! Ni aucune blonde d'ailleurs. Je n'avais, à proprement parler, jamais essayé une blonde, cela ne m'avait jamais tenté, mais là, après si longtemps, cette blonde‑là me donnait envie comme jamais encore je n'avais eu envie !
Et Carole dans tout ça ? me suis‑je demandé en essayant en vain de penser à autre chose.
Carole, mon épouse.
Quand j'ai rencontré Carole, j'ai tout arrêté.
Pour elle, bien évidemment, mais aussi pour les enfants, que d'un commun accord nous avions décidé de faire ensemble, et cela, parce j'étais convaincu qu'il fallait toujours montrer le bon exemple aux enfants.
Seulement, des enfants, Carole et moi, nous n'en avons pas eu. C'est Carole la responsable: une maladie d'enfance mal soignée, les trompes condamnées, stérilité définitive ! Alors, les enfants et le bon exemple: ils pouvaient aller se faire voir ailleurs, parce que là, c'était plus fort que tout, plus fort qu'une passion soudaine, c'était devenu, en quelques secondes, un besoin vital, comme un appel atavique.
Une blonde bien roulée !
Pour sûr, si je parvenais à me décider, j'en profiterais un maximum en prenant mon temps, mes aises et en m'appliquant à la perfection !
Ce ne serait pas juste tirer un coup en vitesse, je commencerais doucement et savourerais ces moments intenses presque oubliés, en essayant de les faire durer une éternité.
Une fois de plus, j'ai exécuté un tour d'horizon en dévisageant tous les clients de la taverne, j'ai essayé de repérer quelqu'un qui aurait pu me reconnaître, puis, soulagé de ne pas y être parvenu, j'ai à nouveau fixé mon regard étrangement lubrique sur cette blonde incendiaire.
De la discrétion ! m'a supplié la voix qui à présent avait pris le dessus.
Je me suis levé et j'ai changé de table pour me rapprocher de celle où se trouvait la blonde, cette blonde que tout le monde, mis à part moi, ignorait totalement.
De grosses tâches de sueur avaient auréolé ma chemise propre du matin tellement j'avais chaud, je transpirais abondamment et, désagréablement, j'ai ressenti les battements sourds de mon coeur jusque dans mes tempes dégoulinantes.
J'ai voulu boire mon café, mais ma main tremblait si fort que j'ai été obligé de déposer ma tasse sur la soucoupe. Cette pulsion m'obsédait au point tel que j'étais entré en transe.
Et puis soudain, les choses se sont emballées. J'ai jeté un dernier coup d'oeil à l'horloge tricolore au‑dessus du grand miroir mural, j'ai calculé qu'il me restait une grosse demi‑heure avant le retour de Carole, et, sans plus me préoccuper de rien, je me suis précipité, en dépit de toutes les recommandations de ma bonne conscience désormais refoulée dans les limbes de ma désinvolture.
Je me suis levé d'un bond. En reculant d'une traite, la chaise que j'occupais a grincé bruyamment sur le carrelage grippé, j'ai contourné la table, pour d'un geste rapide, attraper la blonde. Je l'ai empoignée et, fuyant le regard inquisiteur de ceux qui auraient pu m'observer, je me suis dirigé aux toilettes en passant le long du comptoir où, par automatisme, j'ai plongé les doigts dans le panier en osier, dont la pancarte suggérait aux clients de s'y servir à volonté.
D'un coup d'épaule féroce, j'ai poussé la porte des commodités, j'ai failli bousculer un type qui en ressortait et qui m'a mitraillé d'une expression réprobatrice, je l'ai évité de justesse, et ai foncé tout droit dans les premiers waters libres que j'ai rencontré. Machinalement, j'ai abaissé le loquet et m'y suis enfermé.
La blonde entre mes mains moites sentait bon. Des effluves perdus que je n'avais plus respirés depuis des siècles, m'a‑t‑il semblé.
Je l'ai caressée du bout des doigts, hésitant un dernier instant, puis, me moquant éperdument de ce qui pouvait ensuite arriver, j'ai abaissé mon pantalon et me suis assis sur la cuvette.
Par miracle, mes mains avaient cessé de trembler. D'un geste que j'avais exécuté des milliers de fois auparavant, comme une habitude qui ne s'oublie pas, ‑ un peu comme rouler à bicyclette ‑, j'ai saisi la pochette d'allumettes que j'avais pêchée dans le panier, en ai craqué une, et j'ai allumé la blonde. Une blonde merveilleuse, au goût exquis.
Une terrible fièvre s'est mise à bouillonner en moi. J'ai eu la désagréable sensation d'avoir réellement trop chaud, et d'insupportables bouffées ont commencé à m'atomiser ! De petits chatoiements se sont mis à remuer devant mes yeux fous et embués. Des décors formolés. Des reliefs ébréchés de labyrinthes azurés, lumineux et flamboyants, des étincelles aveuglantes ont erré à l'arrière‑plan. Par dessus, une fumée spectrale s'est élevée et de brillants flashes m'ont donné le tournis.
La première bouffée.
Ca m'a piqué la gorge, j'ai du me retenir pour ne pas tousser. Les graffitis sur la porte des toilettes se sont mis à danser, mais, en manque de tabac depuis trop longtemps, j'ai tiré une seconde fois sur cette cigarette que j'avais trouvée. C'était bon. Cette douce et forte sensation, ce léger vertige, cette délicieuse impression de picotements à l'intérieur de moi ... Rien au monde ne valait ce bonheur extrême. Alors, pinçant les lèvres sur le filtre humide de ma cigarette blonde, j'ai tiré, encore, et encore, m'imbibant de ce poison enivrant aux bienfaits inénarrables.
Cette passion récurrente qu'est le tabagisme, que j'avais pourtant bannie de mes mauvaises habitudes, était revenue à la charge, comme une maladie impitoyable, comme un boomerang.
Grisé par les effets particuliers de la nicotine, je me suis dit que rien n'est plus fort que la passion lorsqu'elle est un vice ! Ni Carole, ni personne, plus rien n'avait d'importance !
Finalement, comme si j'allais plonger en apnée, j'ai inspiré de toutes mes forces en me grillant les poumons, alors seulement, la passion, teintée de risque et d'interdit, a pris sa véritable couleur ensorcelante.
FIN
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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 275
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